Gouvernance clinique: un nouvel espace de discussion à créer

Récemment, j’ai eu l’occasion de présenter la conférence d’ouverture du congrès annuel de l’Association médicale du Québec dont le thème était la gouvernance clinique. En 20 minutes, je devais retracer l’évolution de la gouvernance clinique exercée par les médecins. Cet exercice était périlleux compte tenu du temps imparti, mais il m’a permis d’illustrer comment le pouvoir médical a façonné en profondeur le réseau de la santé d'octobre 1970 jusqu'au projet de loi 20.À la lecture des expériences passées et du contexte actuel, j’en suis arrivé à la conclusion que nous devons, comme médecins, occuper un domaine de gouvernance que nous avons plutôt négligé à ce jour: celui de l’organisation des services. La question principale réside surtout dans la nécessité de créer un nouvel espace de discussion entre le gouvernement, les professionnels de la santé (dont la communauté médicale) et la population.Les bases législatives de la pratique médicaleLa Loi médicale et le Code de déontologie régissent la pratique médicale, tant dans nos rapports avec nos collègues que dans notre relation privilégiée avec nos patients. Le législateur nous offre ainsi le privilège de pouvoir poser un diagnostic et de proposer un traitement ou une conduite à tenir. C’est ce qu’on appelle une profession libérale soumise au contrôle des pairs par un ordre professionnel, dans notre cas le Collège des médecins, lui-même régulé par les dispositions du Code des professions mis en place au Québec en 1973.La Loi sur l’assurance maladie couvre les honoraires des médecins pour tout service assuré. L’article 19 de cette loi est capital pour comprendre comment les dossiers ont évolué au fil du temps. Le premier alinéa se lit comme suit: «Le ministre peut, avec l'approbation du Conseil du trésor, conclure avec les organismes représentatifs de toute catégorie de professionnels de la santé, toute entente pour l'application de la présente loi.»Dans les faits, c’est le ministre qui choisit l’organisme représentatif avec qui il veut négocier. Certains d’entre vous se rappelleront sûrement les tentatives infructueuses devant les tribunaux de certaines associations de médecins spécialistes qui voulaient négocier au nom de leurs membres. Tous les ministres, depuis l’implantation de la Loi sur l’assurance maladie en 1970, ont choisi de négocier avec la FMOQ et la FMSQ, fondées respectivement en 1963 et 1965. Il y a derrière cette situation une logique qui fait l’affaire de toutes les parties, mais ce n’est pas ici le but de mon propos.Le ministre conclut donc avec les fédérations des ententes qui portent sur les conditions d’exercice et les modalités de rémunération des médecins. Bien qu’il ne s’agisse pas d’ententes concernant l’organisation des services de santé, il n’en demeure pas moins que celles-ci ont une très grande influence sur la manière dont les établissements – et les cliniques médicales – organisent la prestation des services médicaux. Comme les médecins sont des travailleurs autonomes et qu’ils peuvent exercer dans un établissement en vertu d’une nomination au sein du CMDP assortie de privilèges et d’obligations, il va de soi que les conditions d’exercice et les modalités de rémunération auront une influence directe sur l’organisation du travail.La cogestion de l’utilisation des ressourcesLorsque le médecin ne peut répondre complètement aux besoins exprimés par le patient lors d’une consultation, il se transforme alors en demandeur de services en raison du droit et du devoir de requérir des interventions diagnostiques ou thérapeutiques pour le bien de son patient. À défaut de mécanismes de régulation et de rationnement, ce devoir de moyens – faire ce qu’il y a de mieux pour son patient – peut entrer en conflit avec le devoir de résultats des gestionnaires – utiliser de manière optimale les ressources disponibles et respecter l’équilibre budgétaire. Il faut donc que les gestionnaires et les médecins trouvent une façon de s’entendre pour offrir les services dont la population a besoin. On retrouve les modalités sur la façon de travailler ensemble dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS).C’est là où la gouvernance médicale est la plus faible. Puisqu'il faut parvenir à un équilibre en conciliant les moyens à utiliser et les résultats à obtenir, pourquoi n'y a-t-il pas d’ententes formelles ou de conventions entre gestionnaires et médecins afin de cogérer l’utilisation des ressources et d'atteindre des objectifs communs? D’ailleurs, les systèmes les plus performants reposent sur ce type de collaboration. Le Kaiser (portion HMO) Permanente (portion médicale) en est l’exemple le plus éloquent.Certains me diront que le DRMG et la Table régionale des chefs de département de médecine spécialisée (aujourd’hui disparue et intégrée dans le comité consultatif des chefs de département auprès du PDG du CISSS/CIUSSS) en sont un exemple. Je répondrai que bien que ces organisations relèvent de la LSSSS et du Règlement sur l’organisation et l’administration des établissements, elles gèrent surtout l’application des ententes conclues entre le gouvernement et les fédérations (particulièrement le DRMG).Les chefs de département ont bel et bien la responsabilité de voir à l’élaboration des règles d’utilisation des ressources dans un établissement et à leur respect, mais ont-ils les moyens – ou la volonté – de véritablement gérer leur département avec l’aide de gestionnaires compétents?Bien qu'ayant une organisation plus souple, les GMF sont aussi confrontés à ce type d’enjeu. En effet, le nouveau cadre de gestion prévoit l’arrivée de nombreux autres professionnels sous l’autorité fonctionnelle des médecins membres du GMF. Comment exerceront-ils leur gouvernance? Comment rendront-ils des comptes? À cet égard, les médecins devront consacrer les ressources financières qui leur sont consenties pour bien gérer les activités de leur clinique et optimiser les soins et les services aux patients.Je crois sincèrement que nous devrions tous nous préoccuper d’occuper le champ de la gouverne clinique en établissement et en GMF avant que des lois contraignantes viennent occuper la place laissée vacante. Si l’AMQ prévoit un plan d’action pour soutenir les médecins sur le terrain, il faudra tout de même voir en quoi le gouvernement est prêt à dépasser le statu quo législatif et à inventer une gouvernance clinique qui incarne davantage la réalité d’une organisation des services de qualité répondant à des parcours de soins axés sur les besoins des patients. Ce faisant, il va de soi que des économies seraient au rendez-vous!

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Derrière ce blogue:

Alain Larouche