Vieillir et mourir dans la dignité

L’hécatombe de décès dans les résidences pour personnes âgées a rappelé à l’ensemble de la population du Québec plusieurs choses pas toujours agréables à se mettre devant les yeux et dans les oreilles.Bâtiments vétustes, insuffisance du personnel, qui est sous-payé, tendance à loger les aînés dans divers foyers plutôt qu’investir dans les soins à domicile, peu d’élan pour intégrer les aînés dans les familles.De toute évidence, les soins de longue durée auront besoin de rénovations et de rajustements substantiels. Et ça presse ! Une commission d’enquête, comme certains proposent, ne devrait pas servir d’excuse pour retarder l’action.Je ne voudrais pas mourir ainsi !En même temps que l’on se préoccupe et qu’on s’occupe de fournir un cadre de vie aussi agréable que possible aux aînés, il faudrait s’intéresser à leur philosophie de vie : de quelle façon et dans quel état chaque personne désire-t-elle mourir ?La manière dont chacun envisage son décès est éminemment personnelle. Beaucoup de personnes souhaitent vivre le plus longtemps possible, peu importe leurs handicaps physiques et mentaux. Elles s’en remettent au Dieu ou au destin : une telle attitude doit être respectée, bien sûr.D’autres personnes, même avec les soins les plus prévenants que l’on puisse imaginer et offrir, refusent de se trouver dans une situation où elles seraient totalement dépendantes des soins d’autrui. Se faire changer les couches, se faire laver, se faire nourrir et hydrater sans perspective d’amélioration constituent des limites auxquelles plusieurs personnes (moi incluse) ne veulent pas se rendre. Et que dire de l’impossibilité de communiquer avec ses proches, d’être complètement coupé du monde, de n’avoir aucune activité de loisir !Les failles de l’aide médicale à mourir Le Québec fait figure de précurseur dans sa façon d’aborder l’aide médicale à mourir (l’AMM) en offrant ce choix pour des personnes en fin de vie ou atteintes de handicaps graves et incurables. La loi actuelle prévoit que la personne qui fait la demande d’AMM doit être capable de donner un consentement libre et éclairé au moment de la demande et de réitérer son consentement jusqu’à l’administration de l’AMM. La Loi prive ainsi une personne incapable de consentir de se prévaloir de l’AMM. Cette exigence, bienveillante de prime abord, s’avère discriminatoire.Les directives médicales anticipées permettent de signifier le refus de certains traitements : la réanimation cardio-respiratoire, la dialyse, la ventilation artificielle, l’hydratation et l’alimentation artificielles. Toutefois, il est impossible d’y inclure une demande d’AMM.Il faudra adapter l’AMM aux personnes qui développeront une incapacité à demander cette aide parce qu’elles ne seront pas aptes à consentir. Cette modification toucherait surtout les personnes atteintes de maladies neurodégénératives, mais pas exclusivement. Il est possible de perdre sa capacité à demander l’AMM après un accident vasculaire cérébral ou un accident tout court en se trouvant dans un état neurovégétatif.Le rapport des expertsL’automne dernier, un groupe d’experts a déposé un rapport intitulé L’aide médicale à mourir pour les personnes en situation d’inaptitude : le juste équilibre entre le droit à l’autodétermination, la compassion et la prudence. Ce groupe recommande « qu’une demande anticipée d’AMM puisse être rédigée après l’obtention du diagnostic de maladie grave et incurable ». Les experts reconnaissent que dans une société plurielle comme la nôtre les opinions personnelles sur ce qui constitue la vie valant la peine d’être vécue divergent. Il s’appuie dans sa réflexion sur des principes du respect de la dignité et d’autonomie de l’individu, le droit à l’égalité et à la non-discrimination et à la protection des personnes en situation de vulnérabilité, la solidarité avec ces personnes et la compassion pour elles.Si on admet le droit à l’autodétermination, comment peut-on priver de ce droit quelqu’un qui perd la capacité de décider, mais qui possédait cette capacité et a exprimé ces désirs ? Le groupe écrit : « Le consentement exercé par anticipation permettrait en effet de protéger le droit à l’autodétermination des personnes qui ont perdu l’aptitude à juger le traitement qui leur est fait. »L’équipe d’experts a formulé plusieurs recommandations dans leur rapport très bien documenté, clair, impeccablement rédigé de 175 pages. Celles-ci sont toutes, à mon avis, raisonnables.Les objections prévisiblesDéjà, l’AMM constitue un sujet de discorde, même si le soutien de la population québécoise est important.« On veut épargner de l’argent en forçant les vieux à se faire euthanasier ! » Vous pouvez être certains que le mot euthanasie surgira dans cette discussion. Il faudra rappeler encore et encore que l’AMM répondra à la demande anticipée, libre et éclairée, de la personne concernée selon les critères que celle-ci pourra établir à l’avance.« On n’a aucune compassion pour les vieux ! » Respecter les désirs des personnes âgées est une façon de les aimer et les apprécier. Cependant, il faudra s’assurer que personne ne se sent poussé vers l’AMM faute de soins de longue durée adéquats.Évidemment, le gouvernement a d’autres chats à fouetter par les temps qui courent. Une préoccupation concernant l’élargissement de l’AMM serait probablement considérée par plusieurs commentateurs comme inopportune, même cynique, dans les circonstances. Mais inévitablement, le sujet devra être abordé pour que tous les vieux puissent vivre et mourir dans la dignité. Pour certains, le temps presse…

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Derrière ce blogue:

Jana Bryan Havrankova