Le grand marché du médicament

À Québec, il y a le Grand Marché. À Montréal, le marché Jean-Talon, le marché Atwater et plusieurs autres. Presque toutes les villes au Québec et ailleurs dans le monde ont leur marché public. C’est toujours agréable d’en faire le tour, de rencontrer les producteurs locaux et de goûter leurs produits. À Barcelone, il y a eu le grand marché mondial de l’industrie pharmaceutique, le Congress of Pharmaceutical Ingredients (CPhI), qui s’est tenu du 23 au 26 octobre derniers. Au fil des années, ce congrès a aussi ajouté des exposants présentant des produits finis, de l’équipement, des compagnies offrant des services de développement clinique, de formulation ou de fabrication pharmaceutique. Entre 40 000 et 50 000 personnes y participent et plus de 2 200 exposants sont sur place afin de vendre leurs produits et services sur une surface équivalente à 1 000 000 pieds carrés. Mon podomètre s’est promené entre 15 et 20 km chaque jour juste dans le centre d’exposition! On y retrouve des compagnies de partout dans le monde. Ce qui frappe le plus: la grande majorité des exposants, au moins 75%, sont des compagnies de Chine et d’Inde. Il existe plus de 4 500 compagnies pharmaceutiques en Chine et plus de 3 000 en Inde. L’Inde possède plus de 10 000 usines pharmaceutiques. En comparaison, le Canada compte environ 140 compagnies locales… et elles sont nombreuses à importer des produits licenciés de Chine ou d’Inde. À lire aussi: Médicaments: perspectives stratégiques et tendances 2023 Parcourir les gigantesques halls d’exposition du CPhI, c’est comme se promener en Inde ou en Chine avec les multinationales qui sont au milieu. On y retrouve de tout: intermédiaires de synthèse, ingrédients actifs, produits finis de toutes les formes pharmaceutiques, services de développement, d’analyse, de recherche clinique ainsi que façonniers (fabricants contractuels). Nos compagnies québécoises et canadiennes sont aussi présentes. Pharmascience, Jamp et Apotex, entre autres, y ont un kiosque… et elles ont toutes des employés en Inde. Pourquoi l’industrie pharmaceutique s’est-elle développée de façon aussi impressionnante dans ces pays? Pour les mêmes raisons que pour bien d’autres industries: le coût de la main-d’œuvre est très bas, et les normes environnementales, bien moins contraignantes. Ces pays ont aussi une population de plus d’un milliard d’individus chacun, ce qui leur permet de générer d’énormes économies d’échelle. Aujourd’hui, on peut dire qu’à peu près tous les produits pharmaceutiques que nous utilisons ont un composant provenant de ces pays ou sont carrément importés sous forme de produits finis. D’ailleurs, il y a de plus en plus de sociétés indiennes qui ont des filiales au Canada et qui commercialisent leurs produits elles-mêmes. Sommes-nous devenus dépendants de ces pays pour notre approvisionnement en médicaments? Clairement oui. Pour certaines catégories de produits comme les antibiotiques de type pénicilline / céphalosporine et les cytotoxiques, pratiquement 100% des produits sont fabriqués en Chine ou en Inde. Est-ce que la qualité est au rendez-vous? Il y a évidemment deux catégories de sociétés pharmaceutiques. D’abord, il y a celles qui exportent vers les marchés «réglementés», comme les États-Unis, l’Europe de l’Ouest, l’Australie et le Canada, et qui se soumettent aux inspections de nos agences réglementaires. Et puis, il y a les autres, qui produisent pour les marchés non réglementés, comme le continent africain, les pays de l’est de l’Europe ou les marchés asiatiques. Cela ne veut pas dire que leurs produits ne sont pas de qualité, mais ces sociétés n’ont pas encore atteint le niveau de qualité exigé par nos agences. D’autres constats me frappent chaque année. D’abord, il existe des centaines de médicaments qui ne sont pas disponibles au Canada. De vieilles molécules dont les études datent, mais qui sont toujours utiles… ou des plus récentes, mais dont les compagnies n’ont pas les ressources pour s’établir chez nous ou n’ont pas trouvé de partenaire pour le marché canadien. À lire aussi: Les produits de santé: une filière de poids dans les échanges internationaux Le marché pharmaceutique canadien ne représente que 2% du marché mondial. De nombreux produits ne présentent pas le potentiel commercial nécessaire pour intéresser les compagnies pharmaceutiques à investir pour y lancer ces produits. Comme la FDA américaine ou l’Agence européenne des médicaments, Santé Canada a la réputation d’être parmi les plus strictes au monde. Si on ajoute les contraintes de prix que le fédéral et que les gouvernements provinciaux imposent, ça ne donne pas beaucoup d’incitatifs pour que de nouveaux joueurs viennent s’élancer sur notre patinoire. Le Canada est donc un marché perçu comme étant peu intéressant par plusieurs sociétés pharmaceutiques. Trop petit, trop difficile, trop cheap. Le résultat? Des ruptures de stock fréquentes et des produits qui reviennent sur le marché canadien après que les marchés plus profitables eurent été satisfaits. Pour nous, en hôpital et en pharmacie, beaucoup de temps et d’énergie perdus à chercher une solution temporaire pour nos patients. Des médecins et des pharmaciens hospitaliers qui doivent remplir de la paperasse pour faire des demandes d’accès spécial pour des produits non disponibles au Canada dont certains patients ont besoin. De la frustration et des soins qui ne sont pas optimisés pour chaque patient. C’est fascinant de parcourir le grand marché, mais c’est décevant de revenir chez nous et de constater que notre marché à nous, il est petit et moins varié. Me semble qu’on mériterait de pouvoir goûter à tout!

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Derrière ce blogue:

Bertrand Bolduc

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