L’appétit vient en mangeant… moins!

Selon la firme GlobalData, le marché des médicaments contre l’obésité pourrait atteindre plus de 111 milliards de dollars américains d’ici 2033. Cette projection n’est pas la plus optimiste; d’autres firmes estiment qu’il pourrait dépasser 150 milliards. Évidemment, la quasi-totalité du marché est actuellement occupée par Novo Nordisk, avec ses produits à base de sémaglutide (OzempicMD et RybelsusMD pour le diabète et WegovyMD pour l’obésité), et Eli Lilly, avec le tirzépatide (MounjaroMD pour le diabète et ZepboundMD pour l’obésité). Jusqu’à récemment, le marché pharmaceutique de l’obésité ne semblait pas très intéressant pour l’industrie pharmaceutique. Les seules molécules pouvant possiblement aider les patients n’étaient pas très efficaces ou présentaient des effets secondaires limitant fortement leur utilisation. Les amphétamines et leurs dérivés réduisaient l’appétit, mais leur potentiel d’abus décourageait leur prescription. Dans les années 90, la fenfluramine, son isomère la dexfenfluramine et la combinaison fen-phen (fenfluramine-phentermine) ont été utilisées sans créer de l’abus, mais leurs effets sur les valves cardiaques et l’hypertension pulmonaire ont causé leur retrait du marché. Par la suite, plusieurs autres molécules ont été commercialisées puis retirées du marché… la sibutramine, le rimonabant, la lorcasérine… À la fin des années 90, on a vu arriver un produit différent, l’orlistat, qui est toujours disponible. En inhibant la lipase, l’orlistat réduit l’absorption des graisses ce qui peut aider à réduire l’apport calorique… mais ses effets secondaires gastrointestinaux découragent plusieurs patients… et son impact sur la perte de poids n’est pas très impressionnante. Il y a une dizaine d’années, l’arrivée du Contrave (naltrexone/bupropion) a ajouté une option intéressante pour les patients. Mais c’est l’arrivée des agonistes GLP-1 et surtout du luraglutide (Victoza/Saxenda) qui a fait tourner les têtes. Cependant, malgré un effet significatif, cette molécule n’a pas été un immense succès pour le traitement de l’obésité. Son administration quotidienne et ses effets secondaires ont empêché ce produit de vraiment devenir un blockbuster. À lire aussi: QUIZ: Testez vos connaissances sur la prise en charge de l'obésitéL’arrivée du sémaglutide puis du tirzépatide a fait littéralement exploser le marché. Jetons un coup d’œil sur ces produits et leur impact économique. Pour le fabricant du sémaglutide, Novo Nordisk, cette molécule est devenue une incroyable machine à revenus. Les dernières données financières de la compagnie indiquent des revenus totaux pour le premier trimestre de 2024 de 9,5 milliards $ US, en hausse de 22% par rapport à l’année précédente. La valeur boursière de Novo Nordisk est maintenant de 635 milliards $ US, soit la valeur la plus élevée de toutes les compagnies européennes peu importe le secteur!Selon la revue The Economist, l’impact de Novo Nordisk sur l’économie danoise est tel qu’il faut pratiquement évaluer la croissance du PIB de ce pays avec et sans la contribution de la compagnie. Plus de 3% de la population du pays (6 millions d’habitants) a un boulot chez ou associé à Novo Nordisk!Ce genre de succès ne passe pas inaperçu. Déjà, on se demande qui de Novo Nordisk ou de Eli Lilly dominera ce marché. Les premières études comparant le tirzépatide au sémaglutide commencent à être publiées…Les autres grands joueurs de l’industrie pharmaceutique ne sont pas fous et veulent prendre une part de ce marché. Boehringer Ingelheim mise sur le survodutide, et Pfizer développe un produit oral à prise quotidienne, le danuglipron, afin de prendre part à la course.Plusieurs autres compagnies développent également leurs propres molécules, notamment pour administration orale. Roche a récemment publié des données intéressantes pour sa molécule obtenue lors de l’acquisition de la compagnie Carmot. À lire aussi: Dossier | Obésité: le nouveau paradigmeIl y aurait maintenant près d’une centaine de produits en développement clinique pour le traitement de l’obésité. Aux États-Unis, certaines compagnies et pharmacies en ligne profitent du fait que le sémaglutide est en rupture de stock pour vendre des préparations magistrales malgré le fait que le produit soit toujours breveté. Évidemment, Novo Nordisk défend vigoureusement son produit contre ce genre d’alternatives… Ça garde leurs avocats pas mal occupés! Les compagnies de génériques sont déjà très actives et préparent leurs versions de ces molécules. Déjà, la FDA a approuvé les premiers génériques du liraglutide (Victoza/Saxenda). Teva a annoncé le lancement d’un premier générique autorisé de Victoza et d'autres versions vont suivre en 2024. Ce tableau montre les expirations prochaines des brevets sur les agonistes du GLP-1 au Canada:https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK602920/table/t03/ On remarque que le sémaglutide pourrait perdre son exclusivité dès 2026… Il est facile de prédire que les procédures légales concernant ces brevets vont rapidement se multiplier et potentiellement retarder le tout mais on peut toujours espérer…Déjà, les compagnies indiennes et chinoises ont développé des versions génériques des produits à base de sémaglutide. Vous pouvez être certains que ces produits seront éventuellement disponibles ici par l’entremise d’un distributeur local. Je mettrais ma main au feu que des accords de licence sont déjà en place et que des dossiers ont déjà été soumis à Santé Canada.L’importance de traiter l’obésité comme problème de santé en soi et comme cause de problèmes secondaires est évidente. Bien que les bénéfices et les risques des agonistes GLP-1 ne soient pas encore tout à fait bien connus, l’engouement des patients pour ces produits est non seulement indéniable, mais il est littéralement en train de transformer l’industrie pharmaceutique. Aucune autre classe de médicaments n’a généré autant d’intérêt depuis les statines dans les années 1990 et 2000. Si on se fie à l’histoire des statines, l’une des classes de médicaments les plus étudiées de l’histoire, les investissements en recherche clinique des compagnies impliquées devraient nous en apprendre encore plus sur les risques et bénéfices de cette classe thérapeutique.Peut-être qu’on ne règlera pas les causes de l’obésité avec ces produits, mais nous pouvons enfin la traiter efficacement. En attendant de pouvoir corriger les causes génétiques, une option qui pourrait arriver plus rapidement qu’on l’imagine, les agonistes GLP-1 permettent de perdre beaucoup de poids… et génèrent un très gros marché!

L’appétit vient en mangeant… moins!

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Derrière ce blogue:

Bertrand Bolduc

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