L'approche psychocorporelle, outil d'intervention chez les enfants

La pratique psychocorporelle intégrative (PCI) est une initiative de Jack Rosenberg, un psychothérapeute californien qui s’est inspiré de divers courants cliniques psychodynamiques et de techniques orientales pour favoriser une meilleure adéquation entre le besoin de lien (relation) et de séparation (réalisation).Si la PCI s’adresse principalement aux adultes, cela fait une douzaine d’années que j’essaie d’intégrer les principes fondateurs de la PCI à ceux de la psychomotricité, notamment avec l’aide des psychologues Stéphanie Dagenais, Ginette Lépine et André Duchesne.Mon précédent billet, qui décrivait les interventions effectuées avec Jérôme, dressait un bref aperçu de la pratique mixée psychomotricité-PCI.En 2015, je publierai un manuel offrant des activités à utiliser en milieu scolaire pour soutenir le développement affectif des enfants de 7 à 14 ans de manière à compléter la pratique proposée par Bernard Aucouturier.En continuité avec mon récent livre (Soutenir le développement affectif des enfants), ce manuel proposera une série de jeux à faire en classe ou en gymnase pour outiller les enfants scolarisés à l’école primaire et pour soutenir leur développement global.La période de latence n’existe pasComme nous l’avons précédemment expliqué, la psychomotricité est une fonction de l’être humain, un regard globalisant sur le développement de l’enfant et une technique d’intervention émergeant des milieux cliniques en neurologie et en psychiatrie.Initialement, cette pratique s’est centrée sur les besoins en termes de développement des enfants de moins de sept ans et, comme nous l’avons vu précédemment, a offert un cadre de développement intéressant pour les enfants en milieu scolaire.Longtemps, on a toutefois cru que les années suivantes, caractérisées comme une période de latence, ne représentaient que peu de défis pour les enfants.Bien sûr, ils font généralement des apprentissages scolaires et sociaux, alors qu’on observe peu de moments de crise.Pourtant, l’explosion du nombre d’enfants recevant un diagnostic en pédopsychiatrie – tant en Amérique du Nord qu’en Europe – et, bien souvent, une médication, laisse craindre autant un manque de compréhension du processus émotionnel des enfants que des difficultés à proposer des interventions éducatives ou thérapeutiques qui répondraient à leurs besoins et leur permettent de déployer leurs habiletés sociales.C’est ainsi qu’il y a un réel besoin de trouver de nouvelles pistes d’intervention éducative tenant compte des quatre dimensions décrites à travers la pratique de la psychomotricité (affective, corporelle, relationnelle et motrice) pour les enfants de plus de sept ans.C’est là qu’en adaptant les pratiques thérapeutiques psychocorporelles, il est possible d’offrir de nouvelles ressources aux enfants et aux adolescents.En effet, ils n’ont pas nécessairement encore développé suffisamment de ressources affectives pour être capables de nommer leur vécu émotionnel de manière fluide et adéquate, surtout quand leur environnement familial et scolaire revêt un nombre de défis tellement important que les moments où ils se désorganisent sont fréquents.La pratique PCILa pratique thérapeutique psychocorporelle intégrative est, depuis quelques années, reconnue à part entière par l’Ordre des psychologues du Québec. En effet, ses bases cliniques et neuroscientifiques contribuent largement à offrir le cadre scientifique qui permet cette reconnaissance.Fondamentalement, la pratique se centre plus sur le processus que sur les symptômes. Si la recherche du sens du geste préoccupe moins le thérapeute PCI que le psychomotricien, il n’en reste pas moins que, dans les deux cas, on cerne les défis (et le degré d’urgence-conscience), sans nécessairement travailler à faire disparaître le symptôme.L’idée est que le symptôme reflète avant toute chose le fait qu’un conflit émotionnel n’est pas résolu ou, du moins, qu’il y a une difficulté à gérer les contraintes pour engager les conditions idéales pour vivre en relation et pour déterminer une distance affective suffisante qui permette de se réaliser pleinement.Comme l’expliquaient récemment Duchesne et Lépine, la PCI permet aux adultes de soutenir ou de développer leurs habiletés relationnelles.Plusieurs techniques favorisent une réappropriation consciente des sentis et ressentis qui contribuent à un meilleur équilibre émotionnel dans les relations personnelles, familiales et professionnelles.Cette pratique vise également à répondre aux besoins en termes de développement global des enfants, tel que je le démontre notamment (avec la complicité de Delphine Gentais) dans le livre Soutenir le développement affectif des enfants paru en mai 2014 aux Éditions CARD.Pour comprendre les richesses d’une telle pratique tant éducative que thérapeutique, il faut savoir que les sensations corporelles – essentiellement nociceptives, cutanées et proprioceptives – jouent un rôle crucial pour tempérer l’excès des émotions et, conséquemment, limiter le nombre de comportements dérangeants, voire réduire la force des troubles psychiatriques.Page 1/2Par ailleurs, le modèle décrivant les processus émotionnels que propose Rosenberg permet d’aborder des aspects qui étaient peu décrits à travers les fondements théoriques de la psychomotricité, notamment l’importance d’activités favorisant le lien significatif et rassurant entre l’enfant, ses pairs et l’intervenant, ainsi que le besoin de développer des habiletés pour contenir les émotions par une présence à soi, à travers l’expérience corporelle.En fait, Rosenberg a proposé une synthèse de plusieurs approches psychologiques émergeant de l’expérience de la Gestalt, des travaux de Willem Reich, de la psychologie du soi, etc.Elle utilise également plusieurs techniques permettant d'intégrer l'expérience corporelle au cœur du processus de développement et d'intégration du soi.Principalement développée dans une perspective psychothérapeutique, cette approche multimodale fait intervenir plusieurs dimensions au cours d'une même séance de thérapie, afin de permettre une intégration somatique de la conscience.En effet, cette approche repose sur la prémisse suivant laquelle c’est essentiellement à travers le corps que l'expérience psychologique se vit et se met en mémoire.L'expérience clinique a montré que le travail simultané entre les enjeux psychologiques et leur enracinement corporel permet d'accéder à une expérience de soi différente du passé et d’échapper aux schémas défensifs habituellement reproduits dans la vie présente.La psychologie corporelle intégrative porte attention à la vitalité de la personne, ainsi qu’aux habiletés lui permettant de retrouver et de maintenir un enracinement corporel capable de fournir au sentiment de soi une base stable pour affronter les changements liés aux mouvements de la vie.Comme l’approche psychocorporelle est basée sur des principes fondamentaux similaires à ceux de la psychomotricité – surtout ceux de la pratique développée par Bernard Aucouturier –, elle est devenue une piste d’intervention intéressante pour compléter le processus de développement des enfants dans un cadre éducatif autant que thérapeutique.Dès lors, cette approche s’est enrichie, ces dernières années, d’une dynamique d’éducation auprès des enfants de manière à proposer des outils aux enseignants et au personnel psychosocial œuvrant dans les écoles.L’exploration de cette approche innovante auprès de différents groupes d’enfants et d’adolescents a montré des résultats très encourageants: ils y développent des habiletés qui leur permettent de mieux gérer leurs émotions, de mieux maîtriser leur corps (orientation spatiotemporelle et motricité fine) et d’être plus disponibles à l’apprentissage.Direction d’intervention éducative ou thérapeutiqueLes objectifs de la pratique visent à court, moyen ou long termes:- améliorer le contact visuel (voir, entendre et reconnaître)- sentir et utiliser les frontières (séparation soi/autrui)- apprivoiser l’espace personnel et les états intérieurs- utiliser la respiration pour augmenter sa vitalité et réguler ses émotions, de manière à réduire les comportements de défense)- apprendre à mieux contenir l’expérience émotionnelle, sans décharger, ni diminuer sa vitalité- améliorer la conscience corporelle pour mieux sentir les variations corporelles liées aux émotions- améliorer la qualité de la présence (attention et bienveillance).Dans le chapitre co-rédigé avec Delphine Gentais ou celui d’André Duchesne et Ginette Lépine, vous trouverez des explications complémentaires quant à la pratique éducative ou psychothérapeutique chez les enfants et chez les adultes.Les objectifs ci-dessus y sont d’ailleurs décrits plus largement. Et, dans les prochains textes, je reviendrai pour vous proposer des exemples cliniques, notamment avec des enfants qu’on pourrait identifier comme TDA ou TDAH.RemarqueIl est à noter que la traduction en français de l’approche proposée par J. Rosenberg a été «psychothérapie corporelle intégrée», alors que l’auteur parlait de «integrative body psychotherapy». Le terme «intégrative», aujourd’hui admis grâce au monde de l’ingénierie, est donc privilégié, puisqu’il sous-entend le processus qui conduit à intégrer le plus possible le corps, le cœur et l’esprit dans une démarche thérapeutique.Dans la série «La pratique psychomotrice» À lire aussiUne initiative du milieu médical dès les années 1940 (1re partie)Une réponse aux difficultés des enfants (2e partie)Comprendre la symbolique du mouvement (3e partie)Droitier ou gaucher: latéralité et apprentissage (4e partie)Ce qui peut se cacher derrière un manque de dextérité (5e partie)La pratique psychomotrice chez l'enfant avec un diagnostic d'Asperger (6e partie)L’approche psychocorporelle, outil d’intervention chez les enfants (7e partie)Comportements dérangeants et anxiété viscérale (8e partie)Une responsabilité partagée (9e partie)Pour aller plus loinB. Aucouturier, La méthode Aucouturier: fantasmes d'action et pratique psychomotrice, Bruxelles, De Boeck, 2005.A. Duchesne et G. Lépine, «Le processus de psychothérapie», J. Monzée (dir.), Neurosciences et psychothérapie. Éditions Liber, Montréal, 2009:221-251.J. Monzée. «Émotion, mouvement et psychothérapie». J. Monzée (dir.), Neurosciences et psychothérapie. Éditions Liber, Montréal, 2009:221-251J. Monzée. «Développement de l’enfant et représentations symboliques». J. Monzée (dir.), Ce que le cerveau a dans la tête : perception, apparences et personnalité, Éditions Liber, Montréal, 2011: 107-144J. Monzée (dir), Soutenir le développement affectif des enfants, Eds C.A.R.D., Québec, publication en mai 2014.J.L. Rosenberg, Le corps, le soi et l’âme, Éditions Québec Amérique, Montréal, 1989.Page 2/2

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JOEL MONZEE