La bâtonnière et moi

La saga au sujet de Lu Chan Khuong m’a interpellé durant tout l’été. Cette avocate a été démise de ses fonctions de bâtonnière par le Conseil d’administration du Barreau, à la suite de la publication dans La Presse d’une information concernant la déjudiciarisation d’un incident survenu dans un centre commercial. Un bras de fer juridique s’est ouvert, mais le fond du problème est loin d’être réglé.Officiellement, Maître Khuong a été démise de ses fonctions par le Conseil d’administration du Barreau pour avoir commenté d’une «manière inadéquate» son propre dossier, étalé dans La Presse.En quelques mots, voici l'affaire: Lu Chan Khuong se rend, en avril 2014, dans la succursale d’une chaîne de vêtements, à Laval. Elle y entre avec deux pantalons achetés dans une succursale de la même bannière, à Québec. Elle veut acheter deux autres pantalons.Or, au moment de payer, il survient un imbroglio. Il appert qu'elle paie une seconde fois les deux pantalons achetés à Québec et sort donc sans avoir payé ceux de Laval. On l’interpelle. On appelle la police. On lui propose une déjudiciarisation de son dossier si elle reconnaît les faits, à savoir «être sortie du magasin sans avoir payé les deux pantalons choisis à Laval». Elle s’en tire, comme quelque 100 000 autres citoyens du Québec, avec son nom dans un registre.Cet acte était-il planifié, délibéré? Était-ce une simple étourderie? Ou un simple imbroglio dont l’employée du magasin, qui a fait payer les mauvais items, porte une part de responsabilité? Ou peut-on y voir, quelque part, une forme d’auto-sabotage, comme Joël Legendre ou l’ancienne présidente d’un syndicat l’ont tristement fait à leur manière?Mon cas En juin dernier, je me rendais aux Îles de la Madeleine en famille. Nous nous dirigions vers Souris (Î-P-E) pour prendre un traversier. Or, ce jour-là, nous avions roulé 700 km sous une pluie aussi diluvienne que continue. Compte tenu des conditions épouvantables, nous décidons de nous arrêter une nuit à Miramichi (N-B). Avant d'arriver à l'hôtel, je m'arrête pour remettre de l’essence.Je vérifie avec le préposé de la station si je suis sur la bonne route, et, par mesure de précaution, je lui demande une carte routière. L’adolescent m’en propose deux. Une du Nouveau-Brunswick et une autre, moins précise, mais utile pour traverser les Îles du Prince Édouard. Je prends les deux.Je paie avec ma carte de crédit et reprends la route jusqu'à un hôtel.Dans la soirée, alors que je prépare l'itinéraire pour le lendemain, je vérifie le coût de l’essence et je constate alors que le préposé ne m'a pas facturé les cartes routières. Elles coûtaient pourtant 6$ chacune.Si on m’avait filmé, si le patron du préposé m’avait interpellé, si on avait appelé la police, si… aurais-je dû alors accepté de plaider coupable et d’être inscrit au registre des affaires déjudiciarisées plutôt que de subir un procès (et payer des milliers de dollars en frais d’avocat) pour prouver mon innocence? Aurais-je ensuite dû transmettre cette information confidentielle à l’ordre professionnel dont je relève, même s'il n'y avait pas eu pas de condamnation? Aurais-je dû le signaler aux écoles de mes enfants, puisqu’il faut – à juste titre – être «blanc comme neige» pour les accompagner lors des sorties de classe ? En écrivant ces lignes, me serais-je mis en situation problématique?Transgression de confidentialitéFondamentalement, le problème juridique, pour ne pas dire social, qui secoue le Barreau découle d’une transgression de la confidentialité du Registre. Comme l’expliquait Richard Martineau, il y a quelques semaines: «Ce registre est censé être confidentiel. Les détails qu’il contient ne sont accessibles ni au public ni aux avocats, et ils ne figurent pas dans les systèmes informatiques du Barreau du Québec.»Il est curieux que La Presse ait choisi de diffuser ces informations, sachant que cela contribue à une action peut-être pas illégale, mais potentiellement amorale et probablement pas très éthique.Il est amusant de constater que les journaux de Québecor tendent à défendre la bâtonnière déchue.Par ailleurs, il est inquiétant que la ministre de la Justice n’ait pas demandé une enquête pour savoir qui a transgressé la confidentialité. Elle a seulement envoyé un observateur aux réunions du Conseil d’administration du Barreau. Si la Justice est séparée du politique, pourquoi une action est correcte et l’autre pas?Dans le même temps, l'ancien bâtonnier devenu député, Gilles Ouimet, est clairement mis sur la touche depuis des mois. Son défaut? Il est idéaliste, et peut collaborer avec les autres partis pour faire avancer des dossiers.Me Ouimet a sauté en politique, car il voulait contribuer à la réforme de certaines institutions pour mieux protéger autant les institutions en elles-mêmes que, et surtout, la population qui dépend de leur efficacité pour disposer de services singuliers.Arrivé au pouvoir, le premier ministre Couillard lui a préféré l’avocate Stéphanie Vallée comme ministre de la Justice. Celle-là même qui n’a pas encore demandé d’enquête pour savoir qui, au sein des services judiciaires, a coulé l’information concernant Me Khuong.Contre mauvaise fortune, bon cœur, Me Ouimet s’est impliqué dans divers comités parlementaires avec l’ambition de servir la population. Toutefois, ceux-ci agissent comme les célèbres singes: ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire. Il s’est écœuré, il s’en va. «Il y a des exceptions, comme Mourir dans la dignité. Mais pour le reste, le Parlement est une machine à saucisses qui ne fait qu’exécuter les décisions des partis», raconte-t-il à Yves Boisvert, chroniqueur à La Presse.Élue avec 63% des voix de ses membres (mai 2015) et soutenue par 68% des 900 avocats présents lors de l’assemblée générale extraordinaire (août 2015), Me Khuong n’a toujours pas réintégré son poste. Elle voulait réformer le Barreau, notamment réduire les privilèges des administrateurs… et réduire la cotisation annuelle de 2500$ pour être membre du Barreau (sans compter les assurances).Alors qu’elle était encore vice-présidente du Barreau, Me Khuong était entrée en contact avec moi. Au printemps dernier, nous avions échangé quelques courriels quant aux défis que les enfants d’aujourd’hui avaient à relever… Nous avions convenu de nous rencontrer, notamment pour discuter de la protection des droits des enfants.

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JOEL MONZEE