Entendre ceux qui parlent trop en sachant écouter ceux qui parlent moins

Quel mois. De la défaite de Harris au vote sur l’avortement aux États-Unis en passant par les invités douteux à TLMEP et les annonces de la CAQ sur Santé Québec… Il y a tant à dire, comme société.Personnellement, j’ai beaucoup à dire: comme femme, comme femme médecin, comme maman de deux filles, comme belle-maman de deux autres, comme belle-maman d’un garçon.Je pourrais vous parler du chemin parcouru et celui dont j’ai été témoin, au fil d’une vingtaine d’années à naviguer dans le système de santé, en passant d’une adolescente rêveuse à une médecin assumée, des pieds jusqu’au bout de sa plume. J’ai été une étudiante activiste, offusquée qu’on réprimande les jeunes femmes du comité d’initiation de la faculté d’avoir fait jouer au soccer les recrues masculines en boxers, alors qu’on avait mis les recrues féminines en bikini dans une piscine de Jello à quatre pattes sans conséquence, tout juste l’année précédente. J’ai été une résidente outrée de voir mes collègues se faire présenter par leur prénoms dans des articles et lors de congrès, alors que leurs homonymes masculins l’étaient via leurs noms de famille, bien précédés d’un «docteur».Je pourrais vous en raconter, des moments-clés qui m’ont façonnée, jusqu’à répondre avec aise aujourd’hui lorsqu’on m’appelle «madame» que je ne suis non seulement pas mariée, mais aussi divorcée. Je renchéris d’ailleurs souvent lorsqu’un «mademoiselle» se pointe le bout du nez, que c’est plutôt «docteure» qui s’applique.Je pourrais vous parler de l’importance de s’approprier son corps, comme survivante d’un cancer du sein… ou de décider librement de son sort, comme survivante de violence familiale et conjugale. Je pourrais vous parler de la nécessité de promouvoir des exemples de femmes indépendantes, autonomes, résilientes et débrouillardes, comme enfant élevée par une mère infirmière monoparentale, dans une maison de campagne strictement féminine.Je pourrais ajouter que j’en ai beaucoup à dire comme féministe, que tous les messages se bousculent, de ma gorge à mes doigts, et qu’ils dépassent de loin la sémantique et toutes les étiquettes qu’on voudrait leur attribuer.Je pourrais ajouter que ma profession, majoritairement féminine, se bute à des décideurs qui ne semblent pas en reconnaître la valeur, peu importe le nombre d’études qui prouvent que la survie des patients est en fait meilleure lorsqu’ils sont soignés par des femmes. Je pourrais parler du fait qu’on ne priorise pas les soins de qualité qui prennent du temps, qu’on n’a pas augmenté le tarif horaire des médecins en CLSC depuis plus de 10 ans, qu’on abolit à toute fin pratique les téléconsultations qui augmentent l’accès à nos plus vulnérables, sans parler de l’épargne de temps et de pollution pour tous les acteurs concernés.Oui, je pourrais en dire, des choses.Ça dépasse les mots, c’est ça la vérité.Mais je continue quand même d’essayer.Je continue parce que c’est important, comme humains, de porter davantage que des voix qui cherchent à éteindre celles des autres. C’est important, de réaliser qu’en autorisant les mauvaises langues à déverser leur flot de paroles sur diverses plateformes, qu’en tentant de nier l’impact du pouvoir qu’on leur donne, on en fait non seulement la promotion… mais aussi la validation.J’ai entendu dire (comme plusieurs d’entre vous) qu’on ne «pouvait pas gagner nos élections», aux États-Unis, car on n’y vote pas.J’espère ne pas vous apprendre que ce qui se produit au sud de la frontière frappe depuis longtemps à notre porte, et que faire la sourde d’oreille n’y changera rien.Ni qu’en autorisant les voix de personnages désuets à la Barrette, déconnectés du terrain et de l’empathie nécessaire pour y travailler (au soutien à domicile, par exemple), on endosse les messages de mépris qui minent les troupes qui peinent déjà à s’autoriser un minimum de compassion. Un collègue lançait d’ailleurs un cri à l’aide dans La Presse, ce matin, invitant la culture médicale à s’améliorer et mieux se soigner, avant qu’il ne soit trop tard.Autoriser le mépris et la désinformation, ça coûte cher à tous. Plus cher que le déficit de 1,5 milliard qu’on attribue notamment «aux soins à domicile» et «au vieillissement de la population». Ça pourrait être cute si c’était vrai; si on y investissait réellement, concrètement et conjointement avec ceux qui s’époumonent à offrir les soins à domicile. Et ce, au lieu de leur prouver encore qu’ils demeurent les enfants pauvres en santé, au CLSC, qu’on a vidés de ses professionnels au profit des GMF et en raison de la poursuite vouée à l’échec de l’interminable promesse électorale d’un «médecin de famille pour tous». C’est peut-être le temps qu’on allume et qu’on avoue que c’est non seulement pas réalisable, mais que les méthodes et le mépris utilisés sont aussi responsables de ce fameux «exode» dont on parle.Se déresponsabiliser collectivement, face aux prises de position qu’on arbore ou qu’on déplore, ça a des conséquences.Les voix qu’on choisit d’écouter attentivement, tout comme celles qu’on décide d’ignorer, ont une importance. Et l’ampleur de cette portée ne devrait jamais être sous-estimée.

Entendre ceux qui parlent trop en sachant écouter ceux qui parlent moins

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Derrière ce blogue:

Cynthia Lauriault

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