Brûlés

Habituellement, les mots me viennent facilement. Récemment, c’est plus difficile. Ça doit s’appeler la fatigue. Celle à laquelle on n’a pas droit, nous, les médecins paresseux de Barrette sur lesquels il est encore payant de taper, pour se faire du capital politique, dix ans plus tard.Le problème, c’est que les activistes motivés du temps… les dirigeants n’arrêtent pas de les brûler, depuis (sauf pendant la pandémie parce que c’était gagnant de nous flatter pour une fois et qu’on a été assez dupes pour mordre à l’hameçon et continuer à tout donner en pensant que notre valeur allait peut-être finalement être reconnue. Notre erreur).La valorisation et les mercis de pandémie, c’était de la frime. On nous utilise encore pour détourner l’attention du fait que personne n’adresse les vrais enjeux qui font du terrain le champ de mines qu’il est devenu.On a juste le dos large devant l’apparence du compte de banque bien rempli, faut croire.(Plusieurs d’entre nous n’ont ni l'un ni l’autre, en passant.)Qui adresse les pistes de solutions soulevées par le comité d’experts supposé conseiller le gouvernement, celui qui a émis des recommandations bien loin de l’approche coercitive qui enflamme les médias et les esprits, depuis une semaine?Qui adresse les manques d’effectifs qui nous empêchent de les soigner efficacement, de manière «performante», nos patients, dans les salles d’opérations vides et fermées, dans les CLSC sans soutien administratif, aux soins à domicile sans autres professionnels pour partager les prises en charges complexes de patients si vulnérables? Où est-ce qu’on adresse les vraies lacunes du système, dans les soi-disant indicateurs de performance du gouvernement? Qui adresse les coupures qui nuisent directement aux soins du terrain, qui privent les familles des services de soutien à domicile avec des chèques emploi service qui deviennent aussi petits que la motivation des troupes qui tentent de compenser et consoler les aidants naturels?Qui questionne les autres professionnels de soins en première ligne qui se privatisent, eux, sans se faire lapider à coups de mépris sur la place publique?Personne n’adresse ça, ni les autres affaires qui n’ont ni queue ni tête et qui ne roulent plus seulement carré mais reculent, en santé. C’est plus payant de taper sur la tête des docteurs qui sont donc ben riches.Un rappel à la réalité pour vous tous:Les docteurs, supposément des travailleurs autonomes (malgré toutes les contraintes des décideurs politiques et les aberrations qui viennent avec et qui sont loin d’être tous incorporés, en passant), qui décident de pratiquer auprès de populations vulnérables et de se placer volontairement dans les tranches inférieures des revenus de leur profession, pour le bien commun de la société: LE GOUVERNEMENT NE FAIT QUE LES PÉNALISER DAVANTAGE. Aucun soutien. Aucune carotte. Juste du bâton. Bang. Kin toé. Comme dans l’temps. On garde nos vieilles habitudes, au Québec.Bonne chance quand on sera vieux et malade. Parce que les décideurs politiques actuels ont clairement exprimé que ce dont ils font la promotion, ce ne sont ni les soins à domicile, ni les vulnérables, ni les patients âgés, ni l’amélioration d’un système via les recommandations du comité d’experts qu’il a lui-même mis sur pied et payé. Et l’imputabilité? Le gouvernement aime blâmer les médecins sous prétexte que la société paie pour leur formation et leur salaire. Ça ne finira jamais, cet argument-là. Newsflash: on paie aussi le leur. Et ce comité d’experts qu’ils ignorent. Et la formation des autres professionnels qu’il est moins populaire de menacer. C’est vrai, qui veut lire en première page du journal que son IPS, son dentiste, son physio, son optométriste ou son psy est un gros pas fin? Personne ne veut lire ça. Pourquoi? Parce qu’on n'a pas brainwashé personne pour croire que c’est une bonne idée, d’intimider ces soignants-là.Il fut un temps où on respectait et on aimait son docteur de famille. Où on était fier de faire sa médecine.Le «doctor bashing», ça a assez duré. Ils enlèvent les cellulaires des écoles pour limiter l’intimidation, mais la tête de notre gouvernement en fait à tour de bras contre les médecins depuis des années.Cycle de violence typique: «T’es beau, t’es fin, on a besoin de toi»… jusqu’à la prochaine claque. Et on recommence, avec l’espoir que ça sera différent, la prochaine fois.Sauf que là, la maison est en train d’y passer et les abusés ont soit décidé de porter plainte une dernière fois ou ils font juste s’en aller. Le sac de secours avec les papiers importants est prêt dans l’entrée, pour plusieurs.La promotion des politiques actuelles c’est dangereux. Le système est en feu.Les approches préconisées par les décideurs n’ont rien à voir avec l’avenir de notre population vieillissante ni les besoins grandissants qui s’y rattachent.Ce qui est mis de l’avant, c’est de la médecine McDo qui donne de bonnes statistiques en vue des prochaines élections. On éteint des petits feux sans adresser le circuit fautif à l’origine ni ceux qui mettent le courant dedans.Ce qui est mis de l’avant, c’est l’intimidation des mêmes professionnels parce que c’est plus payant que d’adresser les vraies dépenses nécessaires à vraiment l’améliorer, notre système de soins. Bien rebâtir, ça coûte cher.Ça coûte cher, écouter des experts.Ça coûte du temps. Ça coûte de l’argent.Ça coûte cher en négo et en égo, admettre que les promesses passées sont irréalisables.Ça coûte cher, travailler ensemble sur des pistes de solutions pérennes.Nah. C’est plus rapide de reprendre les mêmes vieilles habitudes.J’en connais qui pensent que c’est une tactique de négociation. J’ai répondu qu’à ce stade-ci, ce qu’ils risquent, ça dépasse les ententes.Tout le monde a une limite. Tout système a un point de non retour.On en porte déjà lourd, pour soigner la population. On compense déjà pour nos collègues, toutes professions confondues, et pour un système qui nous prouve à répétition que l’écoute et le soutien de ses soignants ne représentent pas des priorités.Je ne sais pas qui se retrouvera à les soigner, nos vieux hommes politiques privilégiés au pouce carré mais honnêtement - bonne chance pour la trouver, l’empathie. Contrairement à ce que dégage l’émission Empathie (qui est extraordinaire, en passant) dont le premier ministre a fait la promotion sur les réseaux sociaux… je pense que le réveil sera brutal devant la réalité des soins, quand le temps viendra. De la médecine McDo, ce sera…… faute d’avoir eu l’empathie d’écouter les humains du terrain, quand ils en avaient encore, de l’empathie à donner, avant d’être complètement brûlés.Ne sous estimez pas à quel point notre profession représente une grande part de notre identité ni à quel point nous sommes prêts à nous battre pour les offrir, nos soins.Mais surtout, ne sous-estimez pas l’ampleur des dommages créés par les politiques de ce gouvernement… ni les décennies que ça prendra pour espérer les réparer, un jour.

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Derrière ce blogue:

Cynthia Lauriault

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