De cœur

Fin janvier, je présentais une conférence dans un congrès de gériatrie sur la pratique du médecin au soutien à domicile (SAD) et en résidence privée pour aînés (RPA). Honnêtement, je suis du genre à saisir chaque perche tendue pour parler de mon travail et valoriser ce qu’on fait, sur le terrain, au CLSC. Pas juste parce que je trouve que c’est la plus belle job du monde… mais aussi parce qu’elle est impossible à faire seul, et qu’il faut en parler.J’étais accompagnée d’une alliée infirmière afin de faire la conférence devant plus d’une centaine de nos collègues de la région. C’était quand même un défi, surtout que je présentais, une après l’autre, les deux dernières conférences du vendredi après-midi et que celle qui nous intéresse ici se trouvait juste avant le fameux souper thématique (qui était sold out, en passant). Disons simplement que je craignais que l’attrait de la douche et des déguisements pour la soirée ne prenne le dessus sur le soutien à domicile, passé 17h. On allait devoir rendre ça intéressant.On pourrait en parler longtemps, mais les soins à domicile, les vrais, ceux du terrain qui urgent la nuit, la fin de semaine et le matin de Noël, sont juste possibles grâce au duo de garde (l’infirmière au chevet des patients et le doc sur speed dial).L’interdisciplinarité, c’est la clef. Dans un monde idéal, tous les autres professionnels nécessaires seraient, eux aussi, de garde avec nous et disponibles les soirs, les nuits, les fins de semaine et les fériés. Mais c’est pas de même que ça marche. En tout cas, pas chez nous.Eh oui, les effectifs sont plutôt maigres, surtout au SAD. C’est pas nouveau. Peu importe ce qu’on entend aux nouvelles le soir, les CLSC s’appellent entre eux «les p’tits enfants pauvres du système» et à juste titre. Pauvres. Les CLSC l’étaient déjà après qu’on les a vidés pour renflouer les GMF. Puis, M. Barrette est arrivé et ce qu’il a fait n’a pas aidé non plus. La pandémie a poursuivi le travail pour tenter d’achever ce qui nous restait. Alors vous pouvez imaginer de quoi ça peut bien avoir l’air chez nous, à Gatineau, juste à côté du pont national des promesses dorées menant au pays des merveilles des conditions de travail.Ceux qui continuent malgré tout, c’est du monde de cœur. C’est pour cela que j’ai demandé à cette collègue infirmière de cœur de venir présenter avec moi, afin qu’on puisse montrer aux collègues ce qu’on sait faire. Pour qu’on tente de verbaliser, ensemble, nos pistes de solutions, histoire qu’on puisse le continuer, notre si beau travail (sans s’y brûler, idéalement). On a partagé des anecdotes et on a essayé de faire des blagues, en se croisant les doigts dans le dos pour faire passer notre message entre deux rires, juste avant le souper thématique.Parce qu’à la fin de la journée, aussi douce soit la gratitude reçue et la bienveillance qu’on chérit, après les larmes, les pertes et après les succès… il reste quand même souvent un arrière-goût d’incompréhension de la part de nos collègues des autres milieux. De l’incompréhension envers ce qu’on fait vraiment… mais surtout envers ce qu’on peut vraiment faire.Alors c’était ça, notre but. Leur montrer.Et vous savez, parfois on présente une conférence et ça se sent, après, quand on a réussi. C’est palpable dans la pièce, quand le message passe bien.Mais ce vendredi-là, après cette conférence-là, ce n’était pas tout à fait le cas, selon moi.Ce sont des doigts déçus qui se sont décroisés dans mon dos. Nous étions encore perplexes que l’on ait tenté d’obtenir d’avance nos diapos – ça aussi dans mon dos – pour des motivations qui nous échappaient et en nous laissant un goût de censure, au passage. J’ai donc fini par déposer à contre-cœur le micro et mes bottines sont allées à l’opposé de mes babines. Comme si, elles aussi, étaient incapables de se convaincre qu’il était bel et bien passé, notre message.En y repensant, l’arrière-goût que j’avais dans la gorge, après avoir trop parlé sans réussir à tout dire, était probablement celui de ne pas avoir su être à la hauteur de l’importance qu’il revêtait, ledit message.En plus d’être sèche, elle était serrée aussi, ma gorge. Ça frôlait la nausée.Peut-être que ça venait de l’espoir qu’on comprenne finalement quoi se communiquer mais surtout comment mieux le faire, entre nous, entre nos milieux. Peut-être que ça venait des fameux «niveaux d’intervention médicale» (NIM) que j’avais tant voulu inclure sur chaque diapo ou de l’importance de transmettre les coordonnées des aidants et des professionnels impliqués au dossier.Peut-être que ce qui poussait sur ma gorge, ça venait de mes propres épaules et de la pression qu’elles trimbalent, à la journée longue. Je devrais le savoir; c’est moi qui l’ai mise là, cette pression. Et c’est aussi moi qui en rajoute, chaque fois qu’on apprend sur le tard qu’un patient est à l’urgence ou qu’un autre n’a pas les soins alignés avec le NIM qu’on venait de signer (parce qu’il est resté sur le frigo ou au fond d’une sacoche).Oui, j’ai quitté ce congrès la gorge nouée, les épaules et le cœur lourds.Ils étaient lourds de regrets, certes, aussi de frustrations affichées dans tous les coins, gracieuseté de ma tête de cochon qui s’obstine à marteler et meubler chaque opportunité avec les mêmes messages (NDLR, cet article écrit par Geoffrey Dirat).Parce que, voyez-vous, notre job, c’est plus qu’une job. Ça fait partie intégrante de notre identité. Ça pave le chemin qu’on a décidé de prendre avec nos mêmes bottines, le bagage sur les épaules et le souffle court (à force d’avoir les babines qui n’arrêtent pas). Et pardonnez mon frenglish mais I’ll be damned si je laisse s’appauvrir davantage les soins pour lesquels on donne tant.En revenant chez moi, auprès de mon équipe et de nos patients, j’étais déjà en train de réfléchir à ce que j’allais vous raconter ici, dans mon premier billet. À comment revamper le look de nos vieux meubles du SAD pour les rendre présentables.Et ma collègue m’a appelée. «Est-ce que Claudine t’a parlé?»Claudine est une autre infirmière de cœur avec qui on travaille au SAD (et non, elle ne m’avait pas appelée).«Elle capote. TOUTES les nouvelles demandes reçues depuis le congrès sont PAR-FAITES. NIM à jour. Résumés de dossiers. Contacts. Équipes impliquées. Tout y est. Je pense qu’ils nous ont entendues, vendredi, Cyn.»Comme quoi les mots, au final, ceux qui décrivent les vraies choses, sont importants même s’ils ne sont pas à la hauteur de tout ce qu’on voudrait leur faire dire. Les mots de cœur (pun intended) peuvent devenir, eux aussi, des partenaires du changement.Et un changement à la fois, c’est juste ça que ça prend, quand on y pense, pour avancer dans la direction du message plus long qui trace la route.Suffit d’oser les partager aux bonnes oreilles… … ou de les écrire à la bonne place.

Docteure, où est-ce qu’on s’en va?

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Derrière ce blogue:

Cynthia Lauriault

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