D’abord, ne pas nuire (1 de …)

Dans le titre de ce billet, vous reconnaissez sans doute le primum non noncere d’Hippocrate ou, beaucoup plus récemment, le first do no harm de Florence Nightingale. Le médecin grec et l'infirmière britannique ont enseigné ce principe visant les patients. Aujourd’hui, j’aimerais l’amener plus loin en exposant mon point de vue de pharmacien interagissant avec d’autres professionnels: des médecins, infirmières, dentistes, optométristes, physiothérapeutes et même des pharmaciens auxquels je peux nuire et qui peuvent me nuire, du moins opérationnellement. Je prône que tous les professionnels évitent de lancer dans la cour d’un autre des problèmes qu’ils peuvent ou devraient régler eux-mêmes. Certains pharmaciens ont encore le réflexe d’envoyer des télécopies aux prescripteurs au lieu d’utiliser leur champ de pratique étendu pour réaliser des prolongations ou ajustements de doses. C’est aussi déplorable que compréhensible si on considère l’information limitée visant les diagnostics ou intentions thérapeutiques dont nous disposons, ainsi que la rémunération qui ne couvre pas le temps requis pour faire des évaluations. Cela dit, j’encourage mes confrères et consœurs à utiliser leur champ de pratique au maximum et d’aller au bout de leur jugement professionnel, car les prescripteurs ont d’autres choses à faire que de gérer des télécopies à la fin de leur journée alors qu’ils ne sont pas au sommet de leur forme.Lire aussi: Sommes-nous conscients de notre pouvoir?Je vais maintenant vous décrire un cas vécu où c’est un prescripteur, soumis aux pressions de notre réseau de la santé, qui va causer des maux de tête à une équipe de pharmacie. Pardonnez-moi le manque de détails et le camouflage de certains faits. car je dois préserver la confidentialité des personnes en cause et éviter qu'elles ne soient reconnues. Le cas sera aussi «romancé» juste un petit peu.Monsieur X est un patient ayant des enjeux de santé mentale et physique qui a aussi une faible littératie en santé. Il est servi en pilulier par la pharmacie et il fait livrer ses médicaments, car il ne peut pas se déplacer. Un jour, le livreur va chez lui pour rien, car il apprend d’un voisin que monsieur X est à l’hôpital. Plusieurs semaines plus tard, la pharmacie reçoit une ordonnance de sortie d’hôpital par télécopieur. Un antibiotique per os rarement prescrit est ajouté à la médication de M. X, qui reste la même sauf pour l’ISRS cessé progressivement. L’équipe de la pharmacie communautaire a été gâtée par celle de l’hôpital, car une dose d’antibiotique a été remise au patient afin qu’il puisse être servi le lendemain. L’ordonnance ne comporte pas la raison de l’hospitalisation ou d’intention thérapeutique, mais il y est indiqué que le risque de syndrome sérotoninergique secondaire à l’interaction entre l’antibiotique et deux autres médicaments est connu et sera géré. L’ISRS est prescrit en doses décroissantes pour gérer cette interaction, mais l’autre médicament ne peut pas être cessé. Mon collègue fait la validation de cette ordonnance et constate que l’interaction se produit de deux façons et la première est du plus haut niveau de signification clinique qui existe. L’avertissement est le suivant «X Éviter combinaison. Mécanisme inconnu. Des réactions graves impliquant le système respiratoire, cardiaque et nerveux peuvent survenir rapidement après la coadministration des deux agents. Une toxicité sérotoninergique (syndrome sérotoninergique) pourrait également survenir.» Il y a donc plus qu’un éventuel syndrome sérotoninergique de préoccupant chez ce patient. Il faut aussi tenir compte d’une interaction dont le mécanisme est inconnu à court terme. L’ordonnance ne mentionne pas du tout cet enjeu.Je termine bientôt mon quart de travail en ce vendredi et ce jeune pharmacien est probablement mieux outillé que moi pour gérer la situation. Je me concentre donc sur les autres patients. Il consulte le DSQ, espérant obtenir plus d’informations. Il y constate qu’un dosage d’un autre antibiotique administré IV a été fait. Ceci amène un doute concernant la date du début de l’antibiothérapie orale qui pourrait être récente, mais il est impossible d’infirmer cette hypothèse, car le DSQ ne donne pas accès à l’historique des médicaments administrés en CH. Mon collègue ne peut donc exclure la possibilité d’une première administration récente pouvant générer une réaction potentiellement mortelle. Il décide donc d’essayer de contacter le résident qui a prescrit l’antibiotique, mais il doit se satisfaire de parler à l’infectiologue de garde. Ce dernier mentionne qu’il «n’aurait jamais prescrit cet antibiotique chez ce patient» et il ajoute ne pas vouloir que «son nom soit mentionné à quiconque dans ce dossier».Lire aussi: Passons-nous à côté de l'efficacité?Alarmé par cette discussion avec l’infectiologue, le pharmacien décide de contacter le patient. Il apprend que l’antibiothérapie était administrée par intraveineuse jusqu’à la veille et que personne ne lui a confirmé de relance téléphonique ou de soins à domicile. Le doute persiste concernant la possibilité que la première dose de cet antibiotique ait été administrée le matin même et qu’une réaction grave pourrait se préparer. Le pharmacien informe le patient et sa fille qu’ils devront appeler à la pharmacie si M. X présente de l’agitation, de la confusion mentale, des frissons, une rigidité musculaire ou commence à mal se sentir. Il ajoute que l’apparition de ces symptômes est peu probable et que le personnel de la pharmacie saura quoi faire pour régler la situation. Le patient exprime ne pas aller «super bien» actuellement, mais que c’est probablement normal considérant sa «grosse infection». Son état ne s’est pas aggravé depuis le matin. Mon collègue documente sa conversation au dossier en notant sa suggestion d’accélérer le sevrage d’ISRS si le patient rapporte des signes de syndrome sérotoninergique. Il demeure toujours hésitant face à la possibilité que survienne une autre réaction grave dont le mécanisme est inconnu et prend connaissance de l’étude de cas que j’ai trouvé sur Pub Med pour lui. C’est alors que le résident retourne l’appel à la pharmacie. Il est malheureusement incapable d’affirmer avoir de l’expérience ou quelques données que ce soit pour soutenir cette combinaison de médicaments, mais il confirme que selon le médecin patron, cette infection ne peut pas être traitée par un autre antibiotique. Avant d’avoir pu demander si l’antibiotique per os avait été administré IV auparavant, mon collègue doit prendre un appel de la fille du patient. Elle l’informe qu’elle a dû appeler l’ambulance pour son père devenu agité, confus et qui tremblait. Il faut donc annuler la livraison de médicaments prévue. Triste tournure, mais qui enlève de la pression sur le pharmacien. Le lundi suivant, M. X reçoit son congé avec la même combinaison de médicaments que le vendredi précédent. Le pharmacien propriétaire qui n’était pas au courant de ce cas reçoit un appel de l’hôpital qui demande pourquoi l’ordonnance d’antibiotique avait été bloquée par la pharmacie auparavant? Je vous laisse imaginer le reste de la conversation.Je ne juge personne et ne veut plaindre personne ici. Je vois plusieurs enjeux systémiques dans cette situation, dont un manque de ressources, qui peuvent mettre de la pression pour accélérer les congés d’hôpitaux. Il y a aussi absence de technologies de l’information permettant une meilleure communication et coordination entre intervenants, puis finalement un mode de rémunération irrespectueux de tout le travail fait en pharmacie. Et vous, qu’en pensez-vous?

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Denis Roy

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