Un gynécologue septuagénaire radié 9 mois pour des suivis défaillants

Il n’y a pas pire aveugle et pire sourd que celui qui ne veut ni voir ni entendre. C’est l’impression qui se dégage en filigrane de la décision rendue le 9 février par le Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec (CMQ) à l’encontre du Dr Maan Malouf. En situation de récidive, l’obstétricien-gynécologue a fait preuve de négligence et d’imprudence auprès de deux patientes qu’il suivait depuis des années. Celles-ci présentaient notamment des cytologies anormales, mais le médecin n’a pas jugé bon de leur prescrire – entre autres – des colposcopies dans les délais requis afin d’établir un diagnostic avisé. Il s’agit d’infractions «intrinsèquement très graves», affirme le Conseil, qui s’appuie sur les rapports de la gynécologue oncologue Béatrice Cormier, mandatée à titre d’experte. Bien qu’il ait une grande expérience (son inscription au tableau de l’Ordre remonte à 1975), le Dr Malouf a commis des «erreurs de base», estime la Dre Cormier: «Ces notions médicales ne sont pas du ressort d’une surspécialité pointue ou d’une condition pathologique très rare. La gestion des cytologies anormales et des saignements postménopauses relève de connaissances de base pour tout gynécologue, et même j’ajouterais pour tout médecin de famille.» Ce constat accablant n’est guère sécurisant pour les patientes appelées à être examinées par le clinicien, considère le Conseil, qui veut dissuader les autres membres de la profession de poser de tels gestes. Pourtant, il impose simplement au Dr Malouf une radiation de six mois et deux de neuf mois à purger simultanément. La première patiente concernée était suivie par l’intéressé depuis 2000 sur une base annuelle. Ménopausée depuis 2001, elle présente un historique de fibromes utérins. Le 12 décembre 2017, un premier examen cytologique révèle une «altération des cellules glandulaires de significations indéterminées». Le 20 mars 2018, une note manuscrite signale qu’un rendez-vous est demandé pour le 31 juillet suivant. Ce jour-là, le Dr Malouf rapporte un léger «spotting», mentionne «cyto à reprendre» (laquelle est réalisée le jour même) et prescrit une échographie, sans consigner le saignement évoqué par sa patiente ni détailler la cytologie anormale de décembre 2017. Le 8 août 2018, l’échographie pelvienne montre un endomètre épaissi et une lésion vasculaire. Deux mois plus tard, le résultat de la cytologie du 31 juillet est imprimé. Il indique: «Cellules glandulaires atypiques de nature probablement néoplasiques». Un rendez-vous en colposcopie est alors donné à la patiente pour le 5 novembre 2018. Un second rendez-vous pour une prise en charge par la gynécologie oncologique est également programmé le 11 janvier 2019. Le diagnostic est sérieux. La femme de 67 ans souffre d’un adénocarcinome séreux de l’endomètre de stade 4, dont le pronostic de survie à cinq ans est de 10%. La Dre Cormier indique que «la bonne pratique médicale est d’effectuer une biopsie de l’endomètre chez toute femme qui présente des saignements après la ménopause. (...) De plus, l’échographie du 8 août 2018 rend encore plus pressante l’indication» d’une telle biopsie, affirme-t-elle. Or, celle-ci n’a eu lieu que le 5 novembre suivant. L’experte ajoute que les résultats anormaux de la cytologie du 12 décembre 2017 auraient dû alerter son confrère. «Il y a une indication d’une référence immédiate en colposcopie» qui, en l'occurrence, aurait normalement abouti à une biopsie de l’endomètre, observe-t-elle. Huit mois entre une cytologie anormale et une colposcopie La seconde patiente dans ce dossier était suivie par le Dr Malouf depuis 2007. Jusqu’en juillet 2019, il la voit une fois par an pour renouveler ses contraceptifs et effectuer les cytologies de dépistage pour le cancer du col de l’utérus. Le 3 juillet de cette année-là, l’examen donne lieu au résultat suivant: «Atypies des cellules épidermoïdes de haut grade ne peut être exclue (ASC-H)». Le rapport suggère au gynécologue de réaliser un examen colposcopique. Il sera effectué huit mois plus tard. Lors de cette consultation du 2 mars 2020, le clinicien inscrit comme motif «haut grade», alors qu’il s’agit d’un ASC-H. Il effectue une seule biopsie et un contrôle de cytologie, mais pas de colposcopie. Il prévoit «conisation vs LEEP [Loop Electrosurgical Excision Procedure] en priorité», sans même avoir les résultats de pathologie. La cytologie montre de nouveau un ASC-H et le médecin indique sur le rapport: «colpo conisation». Le résultat histologique démontre quant à lui une néoplasie cervicale intraépithéliale (CIN) de grade 3. À lire aussi: Échec d'une vasectomie: un urologue sanctionné pour un manque de suivi Le 4 mai 2020, un LEEP est effectué en salle d’opération. Il révèle un carcinome épidermoïde infiltrant, les marges profondes et latérales étant positives. Le pathologiste appelle aussitôt le Dr Malouf pour lui communiquer ces résultats. Ce dernier voit la patiente le jour même et la réfère en gynéco-oncologie. Elle subira par la suite une conisation et exérèse de ganglion sentinelle, puis une trachélectomie radicale pour un cancer épidermoïde du col, de stade IB1. La Dre Cormier est catégorique: «Les recommandations de toutes les sociétés savantes sont non équivoques quant à la prise en charge d’une patiente dont la cytologie démontre un ASC-H. Il y a lieu de la référer en colposcopie dès que les résultats sont disponibles, peu importe l’âge de la patiente», indique l’experte préoccupée par les explications données par le Dr Malouf qui se justifie évoquant la jeunesse de la patiente (30 ans), ses antécédents cytologiques normaux ou le fait que le diagnostic de haut grade était incertain. Or, «la patiente est en plein dans l’âge où les néoplasies du col font leur apparition. Le diagnostic précoce est essentiel pour préserver (sa) fertilité», note la gynéco-oncologue dans son rapport. Finalement, les gestes du Dr Malouf, ou plutôt leur absence, ont eu des conséquences significatives. Dans le cas de la première patiente, les délais pour établir son diagnostic ont «probablement eu un impact sur la progression (de son) cancer et (son) pronostic», note l’experte. S’agissant de la seconde, «le délai de huit mois entre la cytologie et la colposcopie a possiblement pu permettre l’émergence d’un cancer, et un cancer précoce aurait pu être révélé dès la première colposcopie si un examen plus complet avait été effectué», estime la Dre Cormier. Un lourd passif Devant un tel tableau, le Dr Malouf a plaidé coupable aux trois chefs d’inculpation auxquels il devait répondre. En audition, il a admis qu’il n’avait pas suivi les règles de l’art et s’est déclaré «sincèrement navré des délais encourus par (ses) deux patientes dans leurs traitements». Cela dit, le médecin a également cherché à atténuer sa responsabilité, une tendance déjà observée par le Conseil de discipline lors de deux affaires précédentes le visant, et qui avaient déjà trait à des manquements en matière de suivi médical. S’agissant de la première patiente, le gynécologue suggère par exemple que les délais ont pu être occasionnés par le système de rendez-vous de l’hôpital, la liste des autres cas urgents à traiter ou encore par la patiente elle-même qui aurait tardé à appeler pour prendre rendez-vous. Pour la seconde femme, il invoque une possible période d’achalandage, sans la caractériser, et évoque les cytologies précédentes qui étaient normales. Comme si le passé était garant du présent. À lire aussi: Patient décédé du cancer: un urologue reconnaît un manque de suivi et de supervision De plus, le médecin indique que les normes médicales évoluent rapidement, raison pour laquelle ses connaissances n’étaient pas à jour. Or, les lignes directrices en question datent de 2012 et le clinicien venait en outre d’accomplir un stage en colposcopie au printemps 2018. Loin d’amadouer ses pairs, la défense du Dr Malouf n’a pas joué en sa faveur. Il faut dire que le spécialiste a un passif chargé. Son dossier montre que «les instances d’inspection professionnelle sont intervenues à de nombreuses reprises (à son égard) depuis 1989», peut-on lire dans la décision où l’on apprend également que le comité d’inspection professionnelle (CIP) du CMQ a, par le passé, qualifié sa conduite de «dangereuse». En novembre 2022, ce même CIP a par ailleurs constaté des lacunes au niveau de son évaluation clinique et lui a imposé un stage de perfectionnement de 20 jours en obstétrique et gynécologie hospitalière et de cabinet. Après avoir souligné ses antécédents professionnels et disciplinaires, et rappelé qu’il est en situation de récidive, le Conseil de discipline considère que le jugement du gynécologue est problématique et déficient. «Il se fie à son jugement au lieu de s’en tenir aux normes de base que tout médecin devrait connaître. Le CIP lui a déjà fait ce reproche en 2012 et 2017 en lui suggérant de suivre les recommandations des sociétés savantes, notamment concernant la cytologie vaginale et la colposcopie. (...) Ce qui caractérise ses gestes, c’est la négligence dans le suivi des deux patientes et son manque de professionnalisme», ajoute le Conseil, qui n’est pas rassuré, car le Dr Malouf «n’a pas suffisamment cheminé sur cet aspect», son «introspection (étant) incomplète». En conclusion, le Conseil assène qu’il «ne suffit pas de démontrer qu’on est capable de réussir des tutorats et des stages. Le Dr Maalouf doit éviter d’être négligent, faire preuve de professionnalisme et cesser de chercher à diluer sa responsabilité».

Un gynécologue septuagénaire radié 9 mois pour des suivis défaillants

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