Un grand forum citoyen pour mieux prendre en charge la maladie cœliaque

Encore mal connue et peu diagnostiquée, la maladie cœliaque concerne pourtant plus de 82 000 personnes au Québec, dont 90% subiraient les symptômes et complications tout en ignorant de quoi elles souffrent selon les données de l’organisme Cœliaque Québec. Ce dernier a publié, en 2022, une vaste étude sur la qualité de vie des personnes atteintes de la maladie cœliaque, en partenariat avec le Département de nutrition de l’Université de Montréal (UdeM).Les constats de cette enquête (disponibles au bas de cet article) ont incité Cœliaque Québec et le Département de nutrition de l’UdeM, en collaboration avec le Bureau de la responsabilité sociale de la Faculté de médecine et du Département de nutrition de l’UdeM ainsi que du Département de pédiatrie du CHU Sainte-Justine, à lancer un grand forum citoyen sur la question, prévu le 16 novembre prochain, afin de mieux accompagner les patients et leur famille dans leur parcours de soins et, ultimement, d’améliorer leur qualité de vie.Pour en savoir plus, Profession Santé s’est entretenu avec les deux instigatrices du projet – Edith Lalanne, directrice générale de Cœliaque Québec, et Maude Perreault, nutritionniste, professeure adjointe au département de nutrition de l’Université de Montréal et chercheuse au centre Jean-Jacques-Gauthier du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal.L’étude publiée en 2022 par Cœliaque Québec vous a amenées à concevoir un projet inédit de recherche-action participative pour aider les personnes atteintes de la maladie cœliaque…Edith Lalanne: Depuis un an, nous travaillons avec le Dr Ahmed Maherzi [le directeur du Bureau de la responsabilité sociale de la Faculté de médecine de l'UdeM, ndlr] sur l'organisation d'une grande journée d'échanges et de réflexion sur la maladie cœliaque. Interpelé par les résultats de notre enquête, le Dr Maherzi a voulu tester la formule des forums citoyens, qu'il avait déjà menée sur d'autres thèmes. C’est un projet ambitieux et innovant.Maude Perreault: On veut aussi créer une collaboration entre les chercheurs et professionnels de la santé, axée sur les priorités des patients. Nous voulons mieux former la relève en écoutant les patients.Edith Lalanne: C’est pour ça que nous avons choisi de le faire au Campus MIL, pour dire aux patients que la recherche, l’industrie et les universités sont à leurs côtés. On attend entre 70 et 80 personnes d’horizons très divers, dont une trentaine de personnes de la communauté cœliaque, puis des médecins omnipraticiens et spécialistes, des infirmières, des chercheurs, des directeurs de programme d'enseignement dans les universités, un représentant du ministère de la Santé… Un plan d’action va suivre dans les mois à venir.Diriez-vous que cette maladie est sous-estimée, prise à la légère présentement?Edith Lalanne: Tellement! Parce qu’elle est confondue, tant par la population générale que les professionnels de la santé, avec une intolérance ou une allergie alimentaire, elle est moins prise au sérieux et moins diagnostiquée. Cette maladie est auto-immune, elle attaque les intestins et on ne peut pas en guérir même si on peut la traiter. Le seul et unique traitement est un régime sans gluten à vie. Mais comme ce traitement n’est pas un médicament prescrit à aller chercher en pharmacie, les médecins auront tendance à seulement conseiller aux patients de retirer le gluten de leur alimentation. Sauf que pour diagnostiquer la maladie cœliaque, il faut consommer du gluten et faire une prise de sang! Selon certaines études, jusqu’à 87% des gens qui souffrent de cette maladie n’ont pas encore été diagnostiqués… C’est un grand fléau, et l’errance médicale est énorme. Maude Perreault: Et quand on parle de ce traitement, ça va au-delà de savoir lire les étiquettes. Cette maladie a des conséquences sur plein de facettes de la vie de la personne et de ses proches. À lire aussi: Maladie cœliaque et sensibilité au gluten non cœliaque: quelle est la différence?Quelles conséquences justement?Maude Perreault: Il y a de nombreux symptômes et donc de nombreuses implications pour la personne, parfois insoupçonnées, comme les retards de croissance chez les enfants ou un manque d’énergie chez les adultes. Plus tard, cela va affecter la fertilité et la santé des os. Au-delà de la santé physique, on a aussi des impacts sur la santé psychologique pour la personne et pour ses proches. Tous les changements alimentaires peuvent être difficiles à supporter, surtout en contexte social – avoir le réflexe d’apporter son repas sans gluten, de poser des questions si on va souper pour que ce soit sécuritaire… Parfois, l’entourage le reçoit bien, et parfois moins. On a observé des personnes dont la maladie était remise en question ou invalidée. Edith Lalanne: L’aspect psychologique est vraiment le moins connu. On a une grande prévalence des CAP (comportements alimentaires problématiques) chez les personnes atteintes de la maladie cœliaque, plus que dans le reste de la population. Certaines personnes ayant vécu des symptômes sévères peuvent manger moins que ce qu’elles devraient par peur de ces symptômes, ou au contraire manger de grandes quantités de produits sans gluten car elles y ont accès sur le moment. Cela peut mener à des troubles du comportement alimentaire. Les médecins devraient donc s’abstenir de simplement conseiller à leurs patients de retirer le gluten de leur alimentation?Edith Lalanne: Tellement! L’alimentation sans gluten est un traitement. Et on ne peut pas prescrire un traitement sans diagnostic. D’ailleurs, le CMQ et l’Ordre des nutritionnistes avaient émis un avis en ce sens il y a quelques années. Cette restriction alimentaire est trop importante pour se l’imposer si on n’en a pas vraiment besoin. Et il ne faut pas oublier que c’est une diète pour la vie. Maude Perreault: Le diagnostic est primordial pour reconnaître la maladie, accéder aux traitements mais aussi aux quelques aides sociales qui existent. C’est un aspect qu’on ne soupçonne pas, mais si on veut être aidé financièrement, il faut prouver le diagnostic. Edith Lalanne: Passer à une alimentation sans gluten coûte extrêmement cher. Les mesures fiscales ne sont pas suffisantes mais sont quand même là – les parents d’enfants atteints de la maladie cœliaque ont droit à une allocation enfant handicapée, qui représente environ 2400$ par année. Et sans diagnostic, on se coupe de cette aide financière importante. À lire aussi: Des chercheurs déterminent où et comment débute la réaction au glutenPar exemple, à quels signes les professionnels de la santé devraient-ils être particulièrement vigilants?Edith Lalanne: C’est difficile, car la maladie cœliaque peut se manifester à travers 200 signes et symptômes différents. Par contre, on sait que les troubles gastro-intestinaux sont la première chose à regarder, puis le contexte familial. Un autre membre de la famille au premier degré est-il atteint? Dans ce cas, ça vaut le coup de dépister tout le monde. Ensuite, on rencontre souvent le DT1, l’anémie, l’ostéoporose, la stéatose hépatique non alcoolique et l’infertilité. Surtout quand ces problématiques sont inexpliquées, il faudrait penser à dépister la personne pour la maladie cœliaque. Faut-il revoir la formation ou l’information des professionnels de la santé par rapport à la maladie cœliaque?Edith Lalanne: Concernant le cursus scolaire, on entend que la maladie est vraiment survolée pendant le bac en nutrition ou en médecine, on l’aborde de manière expéditive, en très peu d’heures. Au niveau des professionnels quels qu’ils soient, on a un spectre. Certaines personnes ne connaissent pas du tout la maladie et vont la confondre avec la maladie de Crohn ou la colite ulcéreuse, d’autres sont plus au courant et savent quels tests sanguins prescrire. C’est pour cela que Cœliaque Québec offre des formations en collaboration avec les Ordres et les fédérations professionnelles pour remplir des crédits, sur une base volontaire. Maude Perreault: J’aimerais qu’on explore la possibilité et l’intérêt d’intégrer des patients dans nos salles de classe, en duo avec des enseignants, pour enrichir la formation des futurs professionnels de la santé. On n’en sortira peut-être pas des experts, mais on peut leur inculquer une humilité, une écoute du patient. Ce serait un super début. Votre action peut-elle s’inscrire dans la nouvelle orientation de prévention du MSSS annoncée par Christian Dubé?Edith Lalanne: Effectivement, et Cœliaque Québec fait partie de la Coalition pour la réduction de la maladie. Comme la maladie cœliaque est génétique, c’est difficile de la prévenir par l’alimentation, par exemple. Par contre, on peut jouer sur le délai de diagnostic. En 2012-2013, ce délai était de douze ans, c’est énorme pour un patient qui souffre. Je veux miser sur la réduction de ce délai et sur une prise en charge plus rapide pour aussi réduire le risque d’autres maladies auto-immunes qui pourraient se développer si la première n’est pas bien traitée. Maude Perreault: Ce que j’ai le goût de prévenir, ce sont les patients qui ne se sentent pas respectés ou écoutés par leurs professionnels de la santé, en qui ils devraient pouvoir avoir confiance. Quand une personne vient me confier que son médecin lui a dit «c’est dans ta tête», ça m’horripile. C’est pour que ce genre de réaction ne se reproduise pas qu’il faut former nos étudiants, peu importe leur discipline en sciences de la santé.

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