Trouble lié à la consommation d'alcool: les pharmaciens, des alliés clés

L'alcool est l'une des principales causes évitables de morbidité et de mortalité dans le monde1,2. Il peut avoir des répercussions très néfastes sur la santé1,2. Au Canada, environ 75% des personnes consomment de l'alcool et, en 2017, l'alcool a entraîné 18 000 décès et a été associé à des coûts de santé de 5,4 milliards de dollars2. Toutefois, il peut être délicat d'aborder la question de la consommation d'alcool avec les patients, compte tenu des perceptions sociétales et culturelles. En tant que professionnels de santé accessibles, les pharmaciens ont un rôle essentiel à jouer dans la prise en charge globale des patients, y compris dans le dépistage et le traitement du trouble lié à la consommation d'alcool (TCA)3,4.Imaginez que vous effectuez une revue de la médication avec AB, une femme de 52 ans. Elle a des antécédents de lombalgie chronique et de migraines pour lesquelles elle prend de l'hydromorphone à libération contrôlée 3 mg per os deux fois par jour, de la prégabaline 150 mg deux fois par jour et de l'acétaminophène 500 mg per os quatre fois par jour. AB révèle qu'elle consomme une bouteille de vin presque tous les soirs depuis trois ans. Elle est consciente qu'il s'agit d'un problème, mais ses tentatives pour réduire sa consommation ont échoué. AB a travaillé avec un thérapeute pour s’attaquer aux facteurs psychosociaux contributifs, mais n'a pas révélé sa consommation d'alcool à son médecin de famille. Elle est intéressée à prendre un médicament qui l'aiderait à réduire sa consommation d'alcool.Établir une relation de confiance et une communication sans jugementCommencez par reconnaître le courage dont AB a fait preuve en vous confiant ses problèmes d'alcool. Montrez de l'empathie, validez ses sentiments et soulignez que demander de l'aide est une étape importante vers une meilleure santé. Lorsque l'on aborde des sujets sensibles tels que la consommation d'alcool, il est essentiel d'adopter une attitude non moralisatrice. Évitez d'imposer vos opinions personnelles et faites preuve d'ouverturepour comprendre le point de vue du patient5.DépistageLe Canadian Clinical Guideline for High-Risk Drinking and Alcohol Use Disorder 2023 propose des questions ouvertes pour faciliter le dépistage du TCA, et même d’insérer le dépistage du TCA dans les interactions de routine entre le clinicien et le patient (comme lors d'une revue de la médication avec l'AB)5. Le dépistage initial peut être aussi simple qu'une seule question: «Combien de fois au cours de l'année écoulée avez-vous consommé4 (pour les femmes)/5 (pour les hommes) ou plus de boissons en une seule occasion?»6 Pour les patients qui ont du mal à s'ouvrir, des outils tels que l'AUDIT-C peuvent s’avérer utiles5. Il est important de savoir que le dépistage seul n'améliore pas les résultats pour le patient et qu'une intervention précoce reste la clé5.À lire aussi: Changer son mode de vie peut réduire les risques de démence, mais il faut le faire maintenantIntervention brèveLorsqu'une consommation d'alcool à haut risque est identifiée, l'une des premières étapes consiste à fournir une intervention brève pour encourager un changement de comportement positif lié à la consommation d'alcool5.L'entretien motivationnel peut s’avérer une technique utile pour promouvoir le changement de comportement en matière de consommation d'alcool et vise à identifier et à renforcer la motivation intrinsèque des patients à changer7. Par exemple, l'entretien motivationnel peut aider AB à exprimer ses préoccupations concernant la relation entre sa consommation d'alcool et sa douleur chronique. Par ailleurs, la mise à disposition de ressources factuelles pour les patients, telles que le site helpwithdrinking.ca, peut être une première étape utile pour motiver les patients à opérer un changement positif en ce qui concerne leur consommation d'alcool.Référence en vue d'un diagnosticDans le cas présent, orienter AB vers son médecin de famille pour une évaluation complète serait cruciale afin de dépister et prendre en charge les complications liées à l'alcool, comme le syndrome de sevrage alcoolique, ainsi que pour collecter les informations nécessaires au choix d'une pharmacothérapie appropriée pour la prise en charge à long terme du TCA5.Pharmacothérapies pour le TCALa naltrexone et l'acamprosate sont des pharmacothérapies de première intention dont l'efficacité pour réduire la consommation d'alcool et faciliter l'abstinence a été démontrée5,8. Le nombre de sujets à traiter (NST) pour prévenir la reprise de la consommation d'alcool est de 20 pour la naltrexone et de 12 pour l'acamprosate8. Malgré leur efficacité reconnue et leur tolérabilité acceptable, une étude menée en 2017 en Ontario a pourtant révélé une sous-utilisation importante de ces agents: moins de 1% des bénéficiaires du régime public d'assurance-médicaments ayant reçu un diagnostic de TCA ont reçu de la naltrexone ou de l'acamprosate un an après leur diagnostic9. En tant qu'experts en médicaments, les pharmaciens sont bien placés pour combler cette lacune dans les soins de santé en identifiant les patients qui bénéficieraient d'une pharmacothérapie pour le TCA10.Le tableau ci-dessous résume les principales considérations à prendre en compte pour choisir entre la naltrexone et l'acamprosate5,8. Dans le cas d'AB, il serait important de reconnaître qu'elle ne serait pas une bonne candidate pour la naltrexone, étant donné sa consommation concomitante d'hydromorphone; cependant, l'acamprosate serait une option raisonnable qu'elle pourrait essayer.Soutien continu, suivi et célébration des progrèsLes patients tels qu'AB qui entreprennent de réduire leur consommation d'alcool doivent bénéficier d'un soutien continu par le biais d'un suivi régulier afin de surveiller et de célébrer les progrès, de faire face aux obstacles et d'ajuster le plan de traitement si nécessaire5.RésuméLes pharmaciens peuvent jouer un rôle essentiel dans la lutte contre le TCA en offrant aux patients un cadre rassurant pour discuter de leur consommation d'alcool et de drogues, en intégrant le dépistage du TCA dans les soins de routine, en proposant des interventions brèves et en orientant les patients vers les services d'aide appropriés. En suscitant la confiance, en communiquant sans jugement, en intégrant la pharmacothérapie et en accompagnant les patients dans l’atteinte de leurs objectifs, les pharmaciens peuvent leur donner les moyens de surmonter leurs difficultés et de parvenir à l'abstinence pour une meilleure santé et un plus grand bien-être.

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