Soigner ses proches: une règle claire, un dilemme bien réel

Quatre mois de radiation. C’est la sanction qui vient d’être imposée au Dr Jean Hudon, médecin de famille à La Pocatière, inscrit au tableau de l’ordre depuis 1981 et qui n’avait eu jusque-là aucun antécédent disciplinaire. Le Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec le sanctionne pour avoir traité, pendant près de 12 ans, deux personnes de son entourage, dont l’identité demeure protégée. L’omnipraticien a reconnu les faits et plaidé coupable aux deux chefs d’infraction dont il devait répondre. Un dossier qui met en relief une règle déontologique claire tandis que l’accès à un médecin de famille - et parfois à un spécialiste - demeure difficile au Bas-Saint-Laurent.Dans sa déclaration assermentée, le Dr Hudon ne cherche pas à minimiser sa conduite. Il explique avoir accepté ces suivis «bien que ce fût une erreur», incapable de «priver» ses proches de l’aide qu’il pouvait leur offrir «dans ce contexte si désespérant de manque de médecins». Le clinicien reconnaît aujourd’hui avoir franchi une limite claire. «Je suis extrêmement peiné de la situation actuelle et pleinement conscient des conséquences que je dois assumer», écrit-il, évoquant l’impact de cette faute «tant sur le plan personnel que pour [ses] patients et [ses] collègues».Les faits reprochés au Dr Hudon s’échelonnent de 2012 à 2024. Durant cette période, l’omnipraticien a assuré un suivi médical continu auprès de deux personnes de son entourage. Il leur a prescrit des médicaments, a effectué des évaluations cliniques et a procédé à des références vers des médecins spécialistes. Le Conseil souligne qu’il ne s’agissait ni d’interventions ponctuelles ni de situations d’urgence, mais bien d’une «relation thérapeutique établie dans la durée». Or, rappelle-t-il, l’article 70 du Code de déontologie des médecins interdit de traiter une personne avec qui existe une relation susceptible de nuire à la qualité de l’exercice, sauf exception très limitée. La longueur du suivi constituant ici un élément central dans l’appréciation des faits.Le Conseil prend soin de le souligner: la compétence clinique du Dr Hudon n’est pas en cause. Médecin de famille depuis plus de 40 ans, ayant exercé presque exclusivement en région, l’omnipraticien a été fortement impliqué dans son milieu professionnel et communautaire, dans un contexte de pénurie persistante. Le dossier ne révèle aucune remise en question de la qualité des soins prodigués aux personnes suivies. La décision du Conseil mentionne également la collaboration du médecin tout au long de l’enquête. Le Dr Hudon a répondu «de façon très candide» aux questions de la syndique adjointe, la Dre Sylvie Tremblay. Il a reconnu rapidement les manquements reprochés et démontré une réelle prise de conscience. De plus, il a exprimé des regrets et des remords jugés sincères, et son risque de récidive est considéré comme faible. Ces éléments, notent ses pairs, appellent à une lecture nuancée du dossier - sans toutefois neutraliser la portée de la faute.Une prise de conscience traduite en actesCette prise de conscience se manifeste de façon très concrète dans la déclaration assermentée du Dr Hudon. Lors d’une rencontre avec la Dre Tremblay, le 27 février 2025, le médecin a indiqué suivre également cinq autres personnes de son entourage, une information qu’il a livrée spontanément. Depuis, il a mis fin à ces suivis. Il a rencontré chacune de ces personnes pour leur expliquer qu’il ne pouvait plus les traiter, en précisant les raisons déontologiques de cette décision. Le Dr Hudon les a ensuite référées vers le Guichet d’accès à un médecin de famille (GAMF) et le Guichet d’accès à la première ligne (GAP). Pour le Conseil, ces démarches témoignent d’une volonté réelle de s’amender et d’un sens des responsabilités qui «s’inscrit dans la continuité du parcours professionnel» du médecin.À lire aussi: Soigner ou ne pas soigner un proche?Pour la syndique adjointe, ce dossier révèle un enjeu qui dépasse le seul cas du médecin de La Pocatière. Son enquête a mis en lumière «une incompréhension de la part (de l’omnipraticien) quant à ses obligations déontologiques en matière de traitement des personnes proches», malgré des dispositions pourtant claires. La Dre Tremblay souligne d’ailleurs que cette incompréhension ne lui est pas propre. Le fait que des médecins ont échangé, en toute connaissance de cause, avec le médecin de famille au sujet du suivi de ses patients et qu’ils n’ont pas dénoncé sa conduite démontre que «certaines zones grises subsistent quant à la portée de l’article 70», même si celui-ci est en vigueur depuis fort longtemps. Pour la syndique adjointe, cette situation confirme la nécessité de rappeler les balises, en particulier dans des milieux où la pénurie peut brouiller les repères et normaliser, à tort, des pratiques qui demeurent interdites.Un geste posé par compassionDe son côté, le Dr Hudon se dit animé par «un très grand sens du devoir et d’intégrité professionnelle». Il affirme avoir accepté de traiter ses deux proches par compassion, «sans intention malveillante», convaincu d’agir dans leur intérêt dans un contexte où ils étaient dépourvus de médecin de famille. Il soutient n’avoir jamais compromis la qualité des soins, avoir tenu des dossiers médicaux complets et agi en toute transparence. Pour l’omnipraticien, ses intentions étaient «nobles»: il a voulu être leur médecin «d’abord et avant tout», sans chercher à tirer un quelconque avantage personnel. Il conteste par ailleurs certains éléments mis de l’avant par la syndique adjointe, estimant que des gestes comme des démarches auprès de la SAAQ ne démontrent pas, en soi, un comportement fautif distinct, mais «ne font que colorer le dossier» sans en changer le fond.Pour le Conseil, toutefois, ce contexte ne pouvait justifier une entorse à une règle déontologique aussi fondamentale. L’article 70 est clair: sauf urgence ou situation manifestement mineure, un médecin doit s’abstenir de traiter ses proches. Cette interdiction vise à «préserver l’objectivité clinique, à éviter les conflits de loyauté et à protéger tant le patient que le professionnel». Même posés avec de bonnes intentions, les gestes reprochés au Dr Hudon demeurent incompatibles avec ces exigences. «Le fait d’agir par compassion ne saurait justifier une entorse prolongée aux règles déontologiques», rappelle le Conseil, qui souligne que la durée des suivis dépasse largement ce qui pourrait être toléré à titre exceptionnel.Lire aussi: Le médecin qui prend des risquesUne sanction malgré des facteurs atténuantsDans l’évaluation de la sanction, ses pairs ont néanmoins tenu compte de plusieurs facteurs atténuants. Son dossier disciplinaire vierge, la reconnaissance rapide des manquements, la collaboration constante durant l’enquête et les remords sincères exprimés par le médecin ont pesé dans la balance. Mais ces éléments ne suffisent pas à neutraliser la gravité objective de l’infraction. «La durée de la radiation doit refléter la nature et l’étendue des manquements», conclut le Conseil, qui estime qu’une radiation temporaire s’impose pour réaffirmer les balises de l’exercice médical.Au final, la radiation de quatre mois apparaît comme un point d’équilibre entre une faute réelle et prolongée, commise dans un cadre sans ambiguïté, et le parcours d’un médecin de région engagé, confronté à un manque d’accès aux soins qui place parfois les cliniciens devant des choix humainement compréhensibles, mais professionnellement intenables. Un rappel, pour l’ensemble de la profession, que le dilemme éthique ne suspend jamais la règle; même lorsqu’il naît d’un souci authentique de bien faire.

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