Risques médico-légaux: les connaître pour mieux les prévenir

Quelle est la nature des plaintes déposées à l’encontre des médecins de famille? Quels problèmes de santé sont les plus susceptibles d’erreurs de diagnostic à l’urgence? Quelles critiques les experts médicaux formulent-ils le plus régulièrement à l’égard des chirurgiens cardiaques? Quels sont les principaux facteurs associés à un préjudice grave en obstétrique? Les réponses à ces questions se trouvent dans une série de rapports de recherche publiée par l’Association canadienne de protection médicale (ACPM). Intitulée «Sachez quels sont vos risques», cette série est déclinée par spécialité et s’appuie sur la base de données de l’APCM qui compte plus de 500 000 dossiers médico-légaux (poursuites au civil, plaintes auprès des collèges et problèmes intra hospitaliers).«On a exploité notre base de données afin d’aider les cliniciens à mieux pratiquer», explique la Dre Lisa Calder, directrice générale de l’association, qui offre assistance et conseils juridiques à ses 110 000 membres. «On a saisi l’opportunité de relier ces données probantes à des ressources pédagogiques dans l’objectif d’influencer positivement la pratique médicale», ajoute l’urgentologue. Chaque rapport comporte ainsi un «aide-mémoire pour réduire les risques» et renvoie vers des fiches pratiques, des ateliers ou des activités d’apprentissage en ligne, en fonction des problématiques identifiées pour chaque spécialité.En parcourant les différents rapports, on constate — logiquement, étant donné le volume de cas traités — que le taux d’actions en justice est nettement plus élevé chez les médecins d’urgence que parmi l’ensemble des membres de l’ACPM. Entre 2018 et 2022, 24,3% des urgentologues et des omnipraticiens qui exercent à l’urgence ont été cités dans un nouveau dossier médico-légal; 11,7% d’entre eux ayant été cités dans au moins deux nouveaux dossiers. Près de la moitié visaient des erreurs de diagnostic. Les plus fréquentes concernaient des fractures (18%), des lacérations ou des plaies ouvertes (11%), une maladie cérébrovasculaire (8%), une cardiopathie ischémique (7%), une infection du système respiratoire (6%) ou du système digestif (4%). «Comme urgentologue, on est formé à traiter des problèmes complexes et on a tendance à se concentrer sur les plus gros problèmes», observe la Dre Calder, qui prend l’exemple d’un patient polytraumatisé dont la fracture du pouce peut échapper au médecin. «En voulant aller vite, on ne regarde pas tout le patient alors qu’il faut l’examiner au complet», rappelle-t-elle en invitant ses pairs à «chercher la deuxième fracture».Dans 54% des dossiers portant sur une erreur de diagnostic à l’urgence, des experts ont ainsi estimé que celle-ci résultait d’une évaluation déficiente. Le rapport cite l’exemple d’un patient dont les antécédents d’anxiété ont pris trop de place dans l’évaluation diagnostique. «Aucun examen physique n’a été effectué et l’anomalie de la saturation en oxygène n’a pas été prise en compte, de sorte qu’une embolie pulmonaire est passée sous le radar.» Dans 40% des cas, l’erreur de diagnostic provenait plutôt d’un retard, sinon de l’absence d’un test ou d’une intervention. «Une hémorragie sous-arachnoïdienne a été prise pour une migraine parce qu’aucune ponction lombaire n’a été effectuée et qu’aucune tomodensitométrie n’a été planifiée.»À lire aussi: Erreurs de diagnostic: les tests et l’évaluation clinique à améliorer d’urgence, selon une étudeAfin de limiter ces risques d’erreur, l’ACPM conseille notamment aux urgentologues d’intégrer des lignes directrices cliniques et des règles de décision clinique au processus de diagnostic des problèmes de santé les plus courants à l’urgence. Elle les invite aussi à «prendre le temps de réfléchir au diagnostic différentiel en tenant compte de tous les facteurs de risque pertinents, y compris les comorbidités et les antécédents chirurgicaux ou familiaux».Risque de confusion en première ligneEn première ligne également, «les erreurs de diagnostic constituent un enjeu majeur», souligne le rapport de l’ACPM dédié aux omnipraticiens, le véritable problème de santé pouvant être confondu avec une multitude d’autres troubles. Les plus fréquentes: un cancer gastro-intestinal confondu avec un trouble du transit intestinal comme la constipation ou une anémie nutritionnelle; un problème de dos confondu avec des lésions dans la région lombosacrée ou des troubles des tissus mous; un cancer du sein confondu avec une tumeur bénigne ou des troubles des seins; une cardiopathie ischémique confondue avec des troubles de l’appareil digestif, des infections des voies respiratoires inférieures, des problèmes de dos, des troubles nerveux ou des troubles articulaires; un cancer secondaire ou mal défini confondu avec une grippe, une pneumonie ou des troubles intestinaux.Les plaintes le plus couramment portées contre les omnipraticiensPour minorer ces risques d’erreur diagnostique, l’ACPM recommande notamment aux médecins de famille de faire «l’effort conscient de distinguer les renseignements qui confirment le diagnostic soupçonné de ceux qui, inversement, ne cadrent pas avec celui-ci», l’objectif étant réduire les biais cognitifs. L’association les invite aussi à optimiser leurs procédures administratives pour «mettre en relief des résultats anormaux, créer les tâches à accomplir pour communiquer des résultats aux patients (ou encore) préciser le délai à l’intérieur duquel communiquer avec les patients qui ont besoin d’un suivi urgent».Lire aussi: Discipline: la hantise des cliniciens [DOSSIER]Si chaque spécialité présente des enjeux qui lui sont propres, il existe un défi récurrent qui leur est commun: la communication. «C’est un thème à la fois simple et complexe qui suscite de nombreuses plaintes», souligne la Dre Calder. Elle signale que les médecins sont formés à communiquer et qu’en général, ils pensent qu’ils communiquent bien avec leurs patients, «mais dans les faits, ça ne marche pas si bien que ça», observe la directrice générale de l’ACPM. «Pour bien communiquer, ajoute-t-elle, ça prend de l’humilité. Il faut vérifier que les patients et l’équipe ont bien compris en les invitant à poser des questions pour clarifier le propos si besoin.» À l’ère du Dr Google, «les patients ont besoin de réponses et d’explications, sinon ils se sentent abandonnés».L’autre problématique commune à toutes les spécialités concerne la tenue des dossiers médicaux. «Au début de ma carrière, les notes étaient manuscrites et souvent, on avait de la difficulté à se faire relire. Avec les dossiers médicaux électroniques, tout le monde peut nous lire, mais ils n’ont pas réglé tous les problèmes», indique la Dre Calder. Selon elle, les DMÉ ne permettent pas vraiment de décrire l’histoire du patient et de la détailler. Et, fréquemment, les notes cliniques sont incomplètes ou trop standardisées, ce qui ne permet pas de comprendre le raisonnement diagnostique du clinicien. Essentiels pour assurer le suivi des patients comme pour échanger avec les autres professionnels de la santé, la directrice générale rappelle que les dossiers médicaux servent également de preuve si les soins prodigués sont un jour remis en question.

Risques médico-légaux: les connaître pour mieux les prévenir

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes