Pourquoi les réformes du système de santé du Québec semblent-elles toujours échouer?

Les conflits ouverts entre les fédérations médicales (FMOQ et FMSQ) et le gouvernement font les manchettes et mettent en lumière d’importantes lacunes dans notre système de santé. On s’en doutait quand même un peu déjà!Faisant moins de bruit, les négociations avec l’APES piétinent, et l’entente avec l’AQPP est échue depuis le mois de mars 2025, ce qui n’est pas vraiment un retard selon les standards gouvernementaux. La rumeur veut que le gouvernement souhaite ficeler l’adoption des règlements du PL67 et la négociation avec l’AQPP. Cela représente une bonne nouvelle potentielle.Le discours de la FMSQ est intéressant. Le message global, que je paraphrase, peut se lire ainsi: «Nous sommes d’accord avec des incitatifs à la performance, mais nous n’en sommes pas les seuls responsables. Nous nous engagerons que si le système de santé nous fournit les ressources pour être performants».Pendant ce temps, pour satisfaire la population, le gouvernement invite les patients à consulter les pharmaciens communautaires, qui sont peu ou pas payés pour assumer ce rôle, et peu ou pas intégrés au réseau pour aiguiller les patients qui en auraient besoin. Ce blogue sera un peu costaud à lire, mais la situation est sérieuse.Au cours des dernières décennies, les gouvernements du Québec ont procédé à d'importantes et de nombreuses restructurations du système de santé. Malgré tout, le système de santé québécois est encore perçu comme étant lourd, lent et inefficace. Que se passe-t-il?Je ne suis pas un spécialiste, mais je vous propose un cadre pour comprendre un peu mieux pourquoi les fusions des établissements, malgré leurs promesses, peuvent conduire à des résultats contraires. Le principe de Parkinson et la théorie de l'entropie organisationnelle peuvent expliquer les dysfonctionnements actuels, aggravés par un conflit de gestion qui sape toute collaboration. Je vous raconte.La logique derrière les fusions est simple et séduisante. Elle est ancrée dans la théorie des économies d'échelle, un principe économique qui postule que les coûts unitaires diminuent à mesure que le volume de production augmente. Cette approche a inspiré plusieurs réformes, comme la fusion des centres de santé et de services sociaux (CSSS), qui sont devenus les centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) et les centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS). Récemment, ils ont été regroupés sous Santé Québec afin, notamment, de «dépolitiser» la santé.L'objectif de toutes ces réformes est de créer de grands réseaux de soins, plus cohérents et plus efficaces. Cependant, la réalité montre que les bénéfices des fusions ne se matérialisent pas toujours. C'est ici que le principe de Parkinson entre en jeu. Selon ce principe, la bureaucratie tend à croître par elle-même, indépendamment de la charge de travail réelle. Il me semble que cela correspond à notre réalité.Dans le système de santé, les fusions ont souvent créé de nouvelles couches de gestion pour coordonner les établissements fusionnés. Ces nouvelles structures administratives n'ont pas remplacé les anciennes, mais se sont ajoutées, créant un effet de poupées russes de gestion à l'intérieur d'une autre.Plutôt que de réduire les effectifs, on a vu apparaître des postes de coordinateurs, de directeurs adjoints et de super-gestionnaires. Dès qu’une direction est créée dans un département, le département voisin fait la même chose pour faire partie de la «game». Ce n’est même pas un choix, c’est une obligation. La logique de l'efficience est cependant perdue, car l'organisation est devenue plus lourde et plus lente.Cette prolifération administrative a un effet pervers: elle éloigne les décideurs du terrain. Les gestionnaires se retrouvent à gérer d'autres gestionnaires, et non plus à répondre aux besoins directs des patients et des soignants. Le résultat est une bureaucratie qui s'auto-entretient, justifiant son existence par des procédures et des rapports qui n'apportent aucune valeur ajoutée.La complexité semble créer le terrain de jeu idéal pour la théorie de l'entropie organisationnelle. Ce concept postule que toute organisation laissée à elle-même tend naturellement vers le désordre et l'inefficacité. Sans une intervention constante pour maintenir l'ordre, les systèmes deviennent plus rigides et moins performants.Dans le cas des fusions d'établissements de santé, l'entropie se manifeste de plusieurs manières: les structures hiérarchiques deviennent si complexes que la prise de décision prend un temps fou. Un simple problème sur le terrain doit passer par de multiples niveaux d'approbation avant d'être résolu.Les gestionnaires, sous la pression de leurs supérieurs, qui sont eux-mêmes sous celle du ministre, prennent des décisions basées sur des rapports et des indicateurs, sans tenir compte des réalités humaines et opérationnelles. Cela crée un fossé entre les besoins réels des patients et les solutions proposées par l'administration. Ça rejoint passablement le discours des fédérations médicales dans le conflit actuel.Plus une organisation est grande, plus la communication est difficile. Les informations se perdent et se déforment, et des silos se créent entre les différents départements. Les soignants peuvent se retrouver à travailler en vase clos, sans connaissance des ressources disponibles ailleurs dans le réseau. C’est clairement le cas en pharmacie.La situation éclate au grand jour avec le conflit ouvert entre le gouvernement et les fédérations médicales et la lenteur des négociations avec les associations de pharmaciens. Plutôt que de s'attaquer aux problèmes de fond – l'entropie et la bureaucratie engendrées par les fusions –, le gouvernement a choisi une approche centralisatrice et autoritaire.En refusant de faire confiance aux acteurs de première ligne pour prendre des décisions, le gouvernement renforce le principe de Parkinson. Les gestionnaires de la santé, par peur ou par manque d'autonomie, ne peuvent pas répondre aux besoins locaux et attendent les directives d'en haut. Cela exacerbe l'entropie en créant des tensions et un climat de méfiance, qui nuisent à la collaboration nécessaire pour optimiser le système.Le système de santé du Québec est à la croisée des chemins. Les fusions n’ont pas atteint leur objectif de rationalisation. Au contraire, elles ont malheureusement créé un monstre de bureaucratie et d'inefficacité, qui pèse lourdement sur les épaules des soignants et des patients. La solution ne réside pas dans de nouvelles fusions, mais dans une réforme en profondeur de la culture de gestion.La clé est de miser sur la flexibilité, la confiance et la décentralisation. Il est temps de mettre fin au mythe selon lequel la bureaucratie est une solution et que l'autoritarisme peut résoudre des problèmes complexes. Au lieu de cela, nous devrions investir dans les équipes sur le terrain et leur donner les moyens de prendre des décisions rapides et adaptées aux besoins réels. Pour renverser la vapeur, ne serait-il pas temps que nous rejoignons les médecins et que nous ayons une action concertée, avec un message unique pour améliorer la situation. Pas uniquement sur la rémunération, mais sur l’intégration pleine et entière de la pharmacie aux soins de santé. Comme pharmaciens, nous gagnerions en visibilité en nous alliant à des groupes forts.C'est en allégeant les structures et en payant équitablement les professionnels pour les soins attendus d’eux que nous pourrons réellement améliorer la qualité des soins au Québec.PS: Merci à mes amis comptables!

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Derrière ce blogue:

Marc Parent

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