Pharmacie communautaire: Le télétravail, une solution à la pénurie de main-d’œuvre et au stress?

La pénurie de main-d’œuvre qui frappe la pharmacie communautaire québécoise force les propriétaires à faire preuve d’ouverture afin d’attirer de nouveaux pharmaciens salariés et de retenir leurs employés actuels. Certains ont ainsi recours à quelque chose qui était presque impensable avant la pandémie: le télétravail. À la pharmacie de Pascale Arsenault à Trois-Rivières, on croise rarement plus d’un pharmacien dans le laboratoire. Et pour cause, les autres pharmaciens en service travaillent à distance, certains à temps plein. Même certains assistants techniques en pharmacie travaillent entièrement de la maison. Comment est-ce possible? La pharmacienne propriétaire a eu l’idée il y a trois ans – juste avant la pandémie – de créer une pharmacie centrale qui offre un soutien logistique à d’autres pharmacies affiliées comme la sienne au réseau Jean Coutu, tout en assurant la desserte de la clientèle locale. Pascale Arsenault souhaitait retirer des pharmaciens de la distribution du médicament afin qu’ils se consacrent davantage aux soins cliniques. «On manquait d’espace physique dans le laboratoire pour installer de nouveaux postes de travail, donc nous avons décidé de faire travailler les pharmaciens chez eux», raconte-t-elle. Cette nouvelle organisation du travail a d’ailleurs tellement plu aux pharmaciens, qu’elle a reçu une cinquantaine de curriculum vitae pour la dizaine de postes qu’elle cherchait à pourvoir afin d’étendre les services de son équipe. Parmi les nouvelles recrues, certains habitent en Beauce, à Gatineau ou à Montréal et travaillent à temps plein de la maison. Le nombre de jours en présentiel est ajusté en fonction de la distance du lieu de résidence des employés. La possibilité de travailler de la maison plaît énormément aux pharmaciens et aux assistants techniques. Selon les données préliminaires d’un sondage de l’Association professionnelle des pharmaciens salariés du Québec réalisé récemment, les deux tiers des 472 répondants disaient vouloir travailler à la maison au moins quelques heures par semaine. Or, moins de 10 % le font actuellement, indique le sondage. Même si le modèle de la pharmacie de Pascale Arsenault est différent de celui de la plupart des autres pharmacies, il est néanmoins possible d’insérer du télétravail dans l’organisation d’un laboratoire, estime Philip Morgan, président et directeur général de Crescendo Pharma, une firme de consultation sur l’organisation du travail en pharmacie. La clé du succès repose sur une définition claire des rôles et responsabilités de chacun, ce qui va permettre une intégration optimale de chaque employé au sein de l’équipe. «Un pharmacien au laboratoire qui voit sa chaîne de travail bloquée par une ordonnance problématique ou qui doit traiter le dossier d’un patient avec un profil de grande vulnérabilité devrait être en mesure de diriger le dossier à son collègue en télétravail», illustre-t-il. L’instauration d’un système de rendez-vous pour les patients est dès lors essentielle pour structurer le travail des équipes, poursuit Philip Morgan. À cet égard, «il faut noter que le télétravail est souvent associé à des horaires de 9 h-17 h. Or, en réalité, plusieurs patients ne sont pas disponibles durant ces heures, prévient-il. Il faut donc accepter que télétravail ne rime pas toujours avec de beaux horaires !» Les avantages du télétravail «C’est beaucoup moins stressant de travailler à la maison, car nous ne sommes pas dans le brouhaha du laboratoire», témoigne la pharmacienne salariée Claude Arsenault, qui travaille deux jours par semaine de chez elle. «Dans un laboratoire, il y a une technicienne qui te parle, un téléphone qui sonne, un client qui est au comptoir, ça n’arrête jamais ! À la maison, tu es 100 % concentré et dédié à un patient à la fois», renchérit la pharmacienne-cheffe Catherine Benoît. Pour la pharmacienne Alexane Ricard, ce mode de travail permet même une vigilance accrue. «Combien de fois nous avons mis une prescription de côté pour la revérifier plus tard par peur d’être passés à côté de quelque chose, car le patient était pressé et qu’il a fallu faire ça vite !» Alexane Ricard réserve l’une de ses deux journées en télétravail aux suivis avec ses patients: «Je prends de leurs nouvelles, je m’assure que leur médication est optimale, j’ajuste au besoin et j’envoie des opinions à leur médecin si je crois qu’une intervention serait pertinente.» L’accès à distance au logiciel d’officine RxPro permet aux pharmaciens de l’équipe de Pascale Arsenault de travailler comme si elles étaient à la pharmacie. «Il y a peu de choses que les pharmaciens ne peuvent pas faire en télétravail, mis à part la vérification contenant-contenu des ordonnances», illustre Claude Arsenault. De leur côté, les patients sentent que le pharmacien est calme et disponible. «La consultation est plus confidentielle que sur un coin de table en pharmacie. Donc, les patients se confient davantage et on peut aller encore plus loin pour les aider dans leur santé», souligne la pharmacienne propriétaire Pascale Arsenault. Plusieurs défis Le télétravail a beau séduire les pharmaciens qui veulent échapper à l’agitation ambiante de la pharmacie quelques fois par semaine, cette organisation du travail pose tout de même bon nombre de défis. Par exemple, le pharmacien en télétravail ne sait pas ce qui est disponible comme médicament en vente libre ou derrière le comptoir. «C’est plus difficile de suggérer des produits aux patients. La communication avec l’équipe sur place est donc très importante», illustre Claude Arsenault. Cette communication se déroule la plupart du temps sur la plateforme sécurisée Teams. Pour sa collègue, Alexane Ricard, la mise à jour des notes au dossier constitue un autre enjeu majeur: «Comme nous sommes plusieurs à travailler sur les mêmes dossiers, il faut laisser des traces et des notes claires de ce que l’on fait et pour quelle raison on le fait pour que tout le monde puisse assurer la suite des choses.» Finalement, n’oublions pas que les pharmaciens en télétravail sont complètement dépendants de la technologie et qu’une panne de courant ou un problème avec leur connexion Internet pourrait paralyser leur travail. Philip Morgan prévient aussi que les pharmaciens propriétaires devraient fournir des outils à leurs employés en télétravail, comme des formulaires cliniques et des numériseurs, afin de faciliter et d’optimiser leur travail. Par ailleurs, le revenu associé aux actes cliniques étant encore pour l’instant moindre que celui associé à la distribution, il pourrait être intéressant d’envisager un modèle de rémunération hybride pour les employés en télétravail, par exemple avec une partie du salaire en lien avec le nombre d’actes accomplis ou avec des objectifs cliniques clairs. De tels modèles pourraient voir le jour avec l’évolution du modèle de rémunération au cours des prochaines années, dit-il. Au final, les défis posés par la pratique en télétravail ne font pas le poids contre les avantages du télétravail, croit Pascale Arsenault. «C’est l’avenir. C’est grâce au télétravail que l’on va réussir à réduire le stress des pharmaciens et l’épuisement professionnel en plus d’améliorer la qualité des soins aux patients.»

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