Parent médecin: «Il faut être attentif à nos limites»

Valérie Trottier-Hébert se sait privilégiée. Médecin psychiatre légiste à Québec, elle a conscience de disposer d’une plus grande flexibilité qu’un urgentologue pour organiser sa pratique d’expertise. «Je peux en faire beaucoup en télémédecine et adapter mon horaire pour pouvoir m’occuper de mes enfants. Je n’arrive pas à m’imaginer à quoi ressembleraient mes journées si j’étais intensiviste ou si je gérais une unité COVID. Honnêtement, je ne sais pas comment ils font», avoue la jeune psychiatre. Afin de ralentir la flambée des cas due au variant Omicron, l’enseignement à distance est de mise depuis le début de cette année dans les écoles primaires et secondaires, ainsi que dans les cégeps et les universités du Québec. Considérant le tableau pandémique en date du 12 janvier, avec 2900 patients COVID hospitalisés, dont 263 en soins intensifs, le retour en classe initialement prévu le 17 janvier pourrait être reporté, le nouveau directeur national de santé publique, Luc Boileau, devant rendre son avis à ce sujet d’ici jeudi [le 13 janvier]. «La réalité actuelle est difficile. On est toujours en train de s’adapter, sans trop savoir ce que l’avenir nous réserve. C’est insécurisant et c’est surtout délicat de tout gérer, planifier, alors que nous demeurons dans l’incertitude, tant en ce qui a trait à nos milieux de soins qu’aux écoles de nos enfants», observe la Dre Trottier-Hébert. «La charge mentale des mamans médecins est à son maximum, avec les directives qui changent continuellement sur le terrain, les équipes épuisées et désabusées, les éclosions, les courriels de dépistage, les épiceries fermées le dimanche alors que nous étions de garde la veille, les courriels de l’école, les devoirs à imprimer, les enfants excités après une journée passée devant leurs écrans, les enfants qui s’ennuient de voir leurs camarades, etc.» - Valérie Trottier-Hébert Un retour en classe qui préoccupe Si la psychiatre convient que les enfants de médecins sont favorisés, «car leurs parents ont les moyens d’embaucher une gardienne ou un tuteur pour s’occuper d’eux», il n’en demeure pas moins que les cliniciens veulent être de bonnes mamans et de bons papas. «En plus de cette pression-là, il y a la pression d’être à la hauteur professionnellement. Quand on jongle avec tout ça, on se sent anxieux, plus irritable, moins présent. On passe en mode survie et c’est délicat de prendre du recul», souligne celle qui pratique à Institut universitaire en santé mentale de Québec. À ces considérations s’ajoutent les inquiétudes concernant le retour à l’école. «Dans quel contexte va-t-il s’effectuer? Sera-t-il sécuritaire?» s’interroge la psychiatre qui se soucie du risque de propagation du virus en raison de la vétusté des écoles et de leurs problèmes de ventilation. «Je ne suis pas une spécialiste, mais j’ai l’impression qu’on ne se préoccupe pas autant de la santé du réseau de l’éducation que de celle du réseau de la santé», estime-t-elle. Ceci dit, la Dre Trottier-Hébert considère que la scolarisation des enfants, les plus jeunes notamment, devrait être une priorité. «C’est le début d’une bonne santé. Apprendre, être stimulé, écouté, développer son estime de soi figurent parmi les premiers déterminants de la santé», explique-t-elle tout en se mettant dans la peau d’un médecin en unité COVID. «Personnellement, je craindrais que mes enfants soient contaminés à l’école et que je ne puisse plus travailler à l’hôpital.» Devant ce tableau, la médecin recommande à ses pairs d’être attentifs à leurs limites, comme parents et comme praticiens. «Si on pense les avoir atteintes, que notre sommeil est altéré ou qu’on a des idées noires, il faut consulter le PAMQ [Programme d’aide aux médecins du Québec]», conseille-t-elle en constatant autour d’elle que beaucoup de cliniciens souffrent. «Il faut prendre soin de notre santé aussi.»

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