L'apothicaire – Ménopause: La vitamine D ne s’oppose pas aux hormones bio-identiques

En octobre dernier, la Dre Sylvie Demers, une des expertes des hormones bio-identiques au Québec, a publié son second livre, Le mythe de la vitamine D, rétablir la vérité sur les hormones, aux Éditions de l’Homme. Elle s’y livre à une charge contre l’usage de la vitamine D actuellement très en vogue, une prise de position que je ne partage pas.Je tiens d’aborde à mentionner qu’en ce qui concerne l’avancée que représentent les hormones bio-identiques par rapport aux hormones de remplacement classiques (estrogène équin et médroxyprogestérone), je suis d’accord avec la Dr Demers. Je ne remets aucunement en question l’usage des hormones bio-identiques ni l’expertise de la Dr Demers dans ce domaine.La thèse de Dr Demers en brefDans son livre, la Dre Demers met en parallèle l’usage de la vitamine D avec celui des hormones bio-identiques, notamment l’estradiol transdermique. Elle soutient que, très souvent, la vitamine D est proposée ou prescrite pour des effets dont l’estradiol serait responsable. Elle affirme que les effets de la vitamine D ne sont pas prouvés, que l’engouement est basé sur des études d’observation et non sur des études cliniques. Voici les points principaux de son livre :Le calcitriol (1,25[OH]2 vitamine D) est la seule forme active de vitamine D. Selon la Dre Demers, le calcidiol (25[OH] vitamine D) ne sert que de réserve et n’a aucun rôle à jouer. Lorsqu’on mesure la vitamine D, on mesure le taux de calcidiol alors qu’elle soutient qu’on devrait mesurer le taux de calcitriol.Personne ne manque de vitamine D.L’estradiol est l’hormone maîtresse qui active la transformation de calcidiol en calcitriol. C’est lui qui confère la plupart des effets qu’on attribue à tort à la vitamine D.La vitamine D peut être toxique.La thèse de la Dre Demers est bien étayée, mais une bonne partie des arguments exprimés dans ce livre est soutenue par des cas anecdotiques tirés de sa pratique. Pour un livre grand public, l’insertion d’anecdotes est nécessaire pour que le lecteur s’identifie au discours. Par contre, malgré la pertinence des exemples, ils ne peuvent suffire à appuyer sa thèse.À mon avis, l’erreur fondamentale de la thèse de la Dre Demers est de mettre en opposition l’estradiol et la vitamine D (comme si seulement une de ces deux substances pouvait avoir des effets) et d’affirmer que la vitamine D sanguine telle que mesurée, soit la 25(OH) vitamine D, n’est qu’une vitamine de réserve qui n’a pas d’effet en soi.Métabolisme de la vitamine DFabriquée au niveau de la peau ou obtenue par les suppléments ou l’alimentation, la vitamine D3 (cholécalciférol) est acheminée au foie, où elle est métabolisée en son premier métabolite, le calcidiol ou 25(OH) vitamine D. Le calcidiol est ensuite acheminé au rein où, sous l’influence du taux de calcium et de phosphate ainsi que de la parathormone et d’autres facteurs, il est transformé en calcitriol ou 1,25(OH)2 vitamine D, dite forme active. La voie métabolique de la D2, ou ergocalciférol, est similaire, mais moins active. Si le métabolisme de la vitamine D pouvait se résumer à cela, alors la thèse de la Dr Demers serait adéquate. Cependant…Vitamine D, hormone endocrine et intracrineDès 1983, des chercheurs constatent que la 25(OH) vitamine D se transforme en 1,25(OH)2 vitamine D dans d’autres tissus que le rein, à savoir dans des macrophages retrouvés dans des tissus pulmonaires prélevés chez des patients souffrant de sarcoïdose1.En 1985, ils caractérisent l’enzyme responsable de cette transformation, le 1-α-hydroxylase (plus tard nommé CYP27B1-hydroxylase)2. C’est le début d’une nouvelle compréhension de l’effet de la vitamine D. Ainsi, la 25(OH) vitamine D peut se transformer localement dans les tissus périphériques et occasionner des effets distincts de ceux qu’on lui connaît sur le métabolisme du calcium. Cette voie est nommée intracrine parce qu’elle concerne la transformation intracellulaire spécifique3.Les récepteurs à la vitamine D sont disséminés dans de nombreux tissus2,4,5. De même, l’enzyme responsable de la transformation de la 25(OH) en 1,25(OH)2 vitamine D, la CYP27B1-hydroxylase, est exprimée dans de nombreuses cellules extrarénales telles les ostéoblastes, les chondrocytes, les macrophages, les cellules dendritiques du système immunitaire au niveau digestif, le placenta, etc5,6.ImmunitéUn des rôles les plus intéressants de la vitamine D demeure son effet sur l’immunité. Sous l’influence de la vitamine D intracrine, les macrophages sécrètent une famille de peptides, les cathélicidines4. Ces peptides jouent un rôle déterminant dans la capacité bactéricide et viricide des globules blancs. Si le taux de calcidiol est insuffisant, l’immunité s’en trouvera réduite.Inflammation, cancer, etc.La vitamine D a des effets sur l’inflammation, l’inhibition des processus invasifs et métastatiques, l’apoptose et même sur l’aromatase5. Ces différents mécanismes en font un adjuvant fort intéressant dans la lutte aux différents cancers. Par contre, comme le mentionne la Dre Demers, la démonstration clinique complète reste à faire.Ces différents rôles possibles de la vitamine D, et surtout la capacité des tissus périphériques de transformer le calcidiol en calcitriol, ont changé le point de mire de la recherche. Depuis ces découvertes, plusieurs études ont établi un lien entre le taux circulant de calcidiol et la prévention de plusieurs maladies.Taux sanguin optimalLa détermination du taux sanguin optimal demeure un sujet de débat. L’Institute of Medicine, Santé Canada et bien d’autres maintiennent que 20 ng/ml (50 nmol/L) sont suffisants6. La société d’endocrinologie (Endocrine Society) prétend que 30 ng/ml (75 nmol/L) de 25(OH) vitamine D représente le taux minimal7. Certains autres, comme les membres des groupes Vitamin D council (vitamind council.org) et GrassRoot Health (grassrootshealth.net) – notamment des experts reconnus comme R. Heaney, R. Vieth, et C. Garland – affirment que le taux optimal se situerait entre 50 et 60 ng/ml (125 à 150 nmol/L). Bischoff-Ferrari et collaborateurs parlent quant à eux d’une cible de 30 à 44 ng/ml (75 à 110 nmol/l)8.Outre la controverse à propos du taux sanguin, il y a un consensus très large sur le rôle du calcidiol et la nécessité de maintenir un taux sanguin adéquat.Dans son livre, la Dre Demers affirme que la 25(OH) vitamine D n’a d’autre rôle que celui de réserve. Elle soutient également que personne, ou presque, ne manque de vitamine D puisque le taux circulant de 1,25(OH)2 vitamine D, ou vitamine active, est presque toujours dans les limites normales. Ce dernier constat est conforme à la réalité puisque, à moins d’une carence grave en vitamine D ou d’une pathologie, le taux de calcitriol ne baisse pas sous le seuil normal.L’organisme maintient un contrôle serré de cette hormone, en fonction des taux de calcium, de phosphore et de parathormone9. C’est le taux de calcidiol, beaucoup plus variable que celui du calcitriol, qui reflète plus étroitement les apports (UVB, suppléments ou aliments).Toxicité de la vitamine DÀ quelques reprises, la menace de toxicité de la vitamine D est brandie. Pour valider ce point, la Dre Demers cite des revues systématiques sur l’usage du calcium et de la vitamine D qui tendent à montrer que l’usage chronique augmente le risque de maladie cardiaque et de calculs rénaux10,11.En fait, ces revues montrent un lien possible entre la supplémentation en calcium et l’augmentation des risques. Par contre, la vitamine D ne fait pas partie de l’équation. Il existe bien quelques cas d’intoxication à la vitamine D, mais ces cas rapportés sont toujours dus à des erreurs et à des dosages impossibles à atteindre par l’usage des doses recommandées12.D’ailleurs, la dose NOAEL (no observed adversed effect level), ou dose jusqu’à laquelle aucun effet secondaire n’est observé, est de 10 000 UI par jour13. Bref, la thèse de la toxicité de la vitamine D, même à doses élevées, ne tient pas.Vitamine D ou hormones bio-identiques ?Si, comme l’affirme la Dre Demers, ses confrères médecins recommandent l’usage de la vitamine D à la place des hormones chez des femmes qui en ont besoin, alors je partage son outrage. La vitamine D a ses propres fonctions, mais elle ne peut être considérée que comme adjuvant de traitement. Adjuvant prometteur, mais adjuvant seulement.Cependant, j’ai de la difficulté à comprendre qu’on s’attaque à un outil de prévention aussi sécuritaire, accessible et peu coûteux (quelques sous par jour), même si les preuves cliniques de son efficacité ne sont pas encore ce qu’elles devraient être.Pourquoi nier les récentes découvertes sur les mécanismes d’action de la vitamine D dite de réserve ? La science clinique de la vitamine D à dosages suffisants est émergeante, faut-il pour autant la rejeter ?Pour communiquer avec l’auteur :jyd@apothicaire.cawww.jydionne.caRéférences :1 Adams JS, Sharma OP, Gacad MA, Singer FR. Metabolism of 25-hydroxyvitamin D3 by cultured pulmonary alveolar macrophages in sarcoidosis. J Clin Invest. 1983 Nov;72(5):1856-60. PubMed PMID: 6688814; PubMed Central PMCID: PMC370476.2. Adams JS, Gacad MA. Characterization of 1 alpha-hydroxylation of vitamin D3 sterols by cultured alveolar macrophages from patients with sarcoidosis. J Exp Med. 1985 Apr 1;161(4):755-65. PubMed PMID: 3838552; PubMed Central PMCID: PMC2189055.3. Adams JS, Hewison M. Extrarenal expression of the 25-hydroxyvitamin D-1-hydroxylase. Arch Biochem Biophys. 2012 Jul 1;523(1):95-102. doi: 10.1016/j.abb.2012.02.016. Epub 2012 Mar 14. Review. PubMed PMID: 22446158; PubMed Central PMCID: PMC3361592.4. White JH. 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