Le Tribunal des professions confirme la radiation du Dr Barrier

Le Tribunal des professions a tranché: peu importe qu’elle soit consentie ou son caractère amoureux, un médecin qui entretient une relation intime et sexuelle avec une patiente contrevient à ses obligations professionnelles. Il confirme ainsi la décision de culpabilité du Conseil de discipline du Collège des médecins prononcée en octobre 2020 contre le Dr Alain Jean Barrier, que le chirurgien contestait. De même que la sanction qui lui a ensuite été imposée (une radiation temporaire de 18 mois) portée en appel par le syndic du Collège.De janvier 2015 à mars 2018, le Dr Barrier a noué une relation intime avec une patiente qu’il avait opérée au Centre hospitalier de l’Université de Montréal pour lui retirer une masse au niveau de l’aine. Cinq jours après l’intervention, le chirurgien l’embrasse à l’issue d’un rendez-vous de suivi. Un baiser consenti par la femme, sensible au charme du médecin, qui y voit la possibilité d’un «flirt».Le clinicien étant marié, leur relation s’engage, se développe et s’intensifie dans la discrétion. Les deux se voient fréquemment de manière clandestine, lors de voyages, au bureau du Dr Barrier, à l’appartement de la femme, etc. Cette dernière accepte la situation, d’autant plus que le chirurgien lui annonce qu’il veut se séparer de son épouse afin de vivre avec elle, avec comme toile de fond l’idée d’avoir des enfants.Au fil du temps, leur idylle finit par battre de l’aile. Courant 2017, la femme se rend à l’évidence que leur liaison est vouée à l’échec, le médecin n’ayant toujours pas engagé de procédure de divorce. Elle met donc un terme définitif à leur relation en mars 2018 en indiquant au Dr Barrier qu’elle ne veut plus entendre parler de lui.Éploré, le médecin lui téléphone quand même de façon répétée et périodique. Malgré son insistance, la femme campe sur sa position et le somme à nouveau de cesser de la contacter. Dans ses dernières tentatives de communiquer avec elle, le Dr Barrier lui suggère d’investiguer l’évolution de sa condition médicale en lui demandant les coordonnées de son médecin de famille. Inquiète, elle lui réclame des explications par écrit. Sans réponse de son ex malgré plusieurs relances, la femme finit par lui transmettre le téléphone de son médecin de famille puis elle avertit ce dernier en lui demandant de contacter le Dr Barrier. Sans nouvelles du chirurgien, l’omnipraticien lui fait alors passer des tests médicaux qui montrent qu’elle n’a aucun problème de santé. Convaincue que le Dr Barrier a usé d’un stratagème pour renouer avec elle, et bouleversée par son comportement malveillant après leur rupture, la femme dépose une demande d’enquête auprès du Collège des médecins.Celle-ci conduit le syndic du Collège à porter plainte contre le chirurgien sous deux chefs d’infraction. Le premier pour avoir «transgressé les limites de la relation thérapeutique en permettant que s’établisse et en entretenant une relation intime, amoureuse et sexuelle avec sa patiente». Le second pour avoir «communiqué avec elle et son médecin de famille de manière intempestive pour des motifs non fondés sur les données actuelles de la science médicale».Pour le Conseil de discipline du Collège, le Dr Barrier a bel et bien abusé, par ses propos et ses gestes, de sa relation professionnelle, contrevenant ainsi à l’article 59.1 du Code des professions ainsi qu’à l’article 22 du Code de déontologie des médecins.«Constitue un acte dérogatoire à la dignité de sa profession le fait pour un professionnel, pendant la durée de la relation professionnelle qui s’établit avec la personne à qui il fournit des services, d’abuser de cette relation pour avoir avec elle des relations sexuelles, de poser des gestes abusifs à caractère sexuel ou de tenir des propos abusifs à caractère sexuel.» - Article 59.1 du Code des professions«Le médecin doit s’abstenir d’abuser de la relation professionnelle établie avec la personne à qui il fournit des services. Plus particulièrement, le médecin doit s’abstenir, pendant la durée de la relation professionnelle qui s’établit avec la personne à qui il fournit des services, d’abuser de cette relation pour avoir avec elle des relations sexuelles, de poser des gestes abusifs à caractère sexuel ou de tenir des propos abusifs à caractère sexuel.La durée de la relation professionnelle s’établit en tenant compte notamment de la nature de la pathologie, de la nature des services professionnels rendus et de leur durée, de la vulnérabilité de la personne et de la probabilité d’avoir à rendre à nouveau des services professionnels à cette personne.» - Article 22 du Code de déontologie des médecinsDans sa décision, le Conseil souligne que le chirurgien «va à l’encontre du devoir des médecins de s’abstenir de donner ouverture à une relation intime avec sa patiente et ce, en dépit du caractère consensuel de cette relation intime qui ne le relève pas de ses obligations déontologiques».Le Dr Barrier a fait appel de sa culpabilité, car il considère que le Conseil ne disposait pas d’«une preuve prépondérante d’un abus de la relation professionnelle de manière claire et convaincante». Il estime que le Conseil aurait dû procéder à une analyse contextuelle de la notion d’abus «en fonction de l’inégalité dans la relation thérapeutique, la nature du problème au cœur de la relation thérapeutique et la position de vulnérabilité des individus». Analyse qui aurait, selon lui, montré qu’il n’avait pas abusé de son statut de médecin, notamment parce que la romance avec sa patiente concernait deux adultes consentants. Le Tribunal des professions considère au contraire que «la preuve révèle que la relation intime s’établit pendant la période où le Dr Barrier fournit des services professionnels» à sa patiente. De plus, il juge que «c’est à bon droit que le Conseil constate l’existence d’une inégalité inhérente dans le rapport unissant un patient à son médecin», en s’appuyant notamment sur un jugement de la Cour suprême. Celui-ci énonce: «Les médecins doivent admettre qu’ils ont du pouvoir et du prestige et qu’il peut arriver qu’un patient mette à l’épreuve l’étanchéité de la frontière qui les sépare. Il appartient TOUJOURS au médecin de savoir ce qui est opportun et de ne jamais permettre que la relation en vienne à revêtir un caractère sexuel.» Enfin, le Tribunal statue que «même s’ils sont consensuels, plusieurs des gestes posés par le professionnel ne sont pas médicalement requis et, du même souffle, ils dénaturent la relation professionnelle pour constituer un abus de celle-ci.»Lire aussi: Enquêtes: les professionnels soumis à rude épreuveS’agissant du second chef d’infraction, dont il a aussi été reconnu coupable, le chirurgien affirme que le Conseil a commis une «erreur en fait et en droit». Ses pairs ont en effet retenu qu’il avait communiqué avec la femme quatre à cinq mois après avoir vu une autre patiente qui a développé une forme grave d’endométriose rectale suite à une opération similaire. Ce délai de quatre à cinq mois courait en réalité depuis leur rupture.Le Tribunal convient qu’il s’agit là d’une erreur de fait, mais qu’elle n’est pas déterminante. Selon les juges, la «trame factuelle nous conduit vers une seule conclusion logique et raisonnable: le Dr Barrier utilise un prétexte médical afin de renouer contact avec (la femme) alors que cette dernière lui a clairement exprimé son désir de mettre un terme à leur relation et à toute communication future. À juste titre, le Conseil conclut en ce sens dans sa décision sur culpabilité (…), et ce, malgré son interprétation erronée du témoignage du professionnel.»Sanctions confirméesLe syndic du Collège comme le Dr Barrier ont porté en appel la décision sur sanction du Conseil de discipline. Le syndic lui reproche «d’avoir rendu une sanction manifestement non indiquée sur les deux chefs», à savoir une radiation de dix-huit mois sous le premier et une de six mois sous le second, à purger simultanément. Le chirurgien estime quant à lui que la radiation de six mois se situe «au haut du spectre des sanctions». Les deux sont déboutés par le Tribunal des professions.À l’audience sur sanction, le syndic avait plaidé pour que le Conseil impose deux radiations temporaires de cinq ans au médecin, en vertu de l’article 156 du Code des professions (modifié en juin 2017) qui prévoit une radiation minimale de cinq ans pour une infraction sexuelle, «sauf si ce dernier convainc le Conseil qu’une radiation d’une durée moindre serait justifiée dans les circonstances». Comme le Dr Barrier «n’a présenté au Conseil aucune preuve sur sanction», le syndic considère que la radiation minimale de cinq ans s’imposait.Concernant le premier chef d’infraction, le Tribunal juge que, dans le contexte du dossier, «la sanction est proportionnée et ne s’écarte pas des sanctions habituellement infligées à des médecins ayant commis des fautes déontologiques semblables avant les amendements législatifs de 2017. La sanction ne s’écarte pas non plus de la volonté du législateur, depuis le 8 juin 2017, d’envoyer un message clair au professionnel en lien avec le sérieux de l’infraction déontologique d’inconduite sexuelle.» Le Tribunal rappelle notamment que le Conseil de discipline a déterminé que «malgré la relation professionnelle abusive, il ne peut conclure à une situation de détresse psychologique ou de vulnérabilité particulière» de la femme, en soulignant également que la relation entre le Dr Barrier et sa patiente «est en grande partie le résultat d’une curiosité réciproque, qui rapidement, se transformera en relation amoureuse et intime, que madame espère voir évoluer vers la stabilité et la notoriété, cherchant manifestement à ce que cette relation évolue au grand jour. Ce qui n’adviendra pas.» Une réalité que Conseil se devait de considérer. Lire aussi: Processus disciplinaire: une expérience «traumatisante»Concernant enfin la radiation de six mois imposée au médecin sous le second chef, le syndic prétend que le Conseil «minimise et banalise son comportement», alors qu’il souligne «à plusieurs reprises la conduite inacceptable et répréhensible du Dr Barrier dans ses tentatives de communication avec (la femme) après leur rupture». Il y voit donc «une contradiction manifeste entre les constats du Conseil et la sanction prononcée». À l’inverse, le chirurgien affirme que le Conseil s’est basé sur des jurisprudences dans lesquelles la gravité des faits dépasse celle le concernant.Le Tribunal convient que la sanction semble clémente sous le second chef. Toutefois, il indique qu’un tribunal d’appel «ne peut usurper le rôle d’un conseil de discipline et déterminer à sa place quelle sanction il aurait lui-même infligée». Selon lui, la radiation de six mois est toutefois «proportionnée et raisonnable», le Conseil l’a bien motivée, alors que «le syndic et le Dr Barrier ne sont pas parvenus à faire la démonstration qu’elle est manifestement non indiquée».

Le Tribunal des professions confirme la radiation du Dr Barrier

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes