Le Dr François Marquis devra bien répondre de ses propos sur les non vaccinés

Octobre 2021. Le Québec traversait de plein fouet la quatrième vague de COVID-19 et le Dr François Marquis multipliait les interventions médiatiques. Alors que 75% de l'ensemble de la population du Québec était adéquatement vacciné, le chef des soins intensifs de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont avait soulevé la délicate question de la priorisation des soins selon le statut vaccinal. Ses propos, tenus dans des entrevues et des émissions largement diffusées, lui valent aujourd’hui d’être poursuivi en déontologie. Le Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec (CMQ) vient en effet de rejeter la requête du Dr Marquis visant à faire annuler la plainte privée portée contre lui.L’affaire trouve son origine dans une plainte privée déposée en novembre 2023 par 15 personnes, dont 10 se sont depuis désistées. Cinq plaignants restent cependant bien décidés à mener la bataille: deux médecins – le chirurgien orthopédiste Mario Giroux et le médecin de famille retraité Robert Béliveau –, une militante connue des cercles complotistes, Julie Lévesque, un professeur de biochimie radié de l’Ordre des chimistes pour ses publications antivaccins, Christian Linard, ainsi qu’un citoyen de Québec, Alexis Roy.Le Dr Béliveau n’est d’ailleurs pas étranger aux instances disciplinaires: lui-même doit répondre, devant le Conseil de discipline, d’une plainte relative à ses déclarations publiques sur la COVID-19. Quinze jours d’audience sont prévus à l’automne 2025, où il sera notamment question de ses propos «non conformes aux données actuelles de la science médicale» et de la diffusion «d’informations inexactes» au sujet des vaccins et de la gestion de la pandémie par le gouvernement.Les plaignants bénéficient du soutien de Réinfo Québec, un groupe militant farouchement opposé aux mesures sanitaires et aux vaccins à ARN messager. Ce regroupement, actif surtout sur les réseaux sociaux, s’est fait connaître par ses campagnes accusant les vaccins d’être inefficaces, dangereux, voire «contaminés», ainsi que par son opposition frontale au passeport vaccinal. Le Conseil de discipline relève d’ailleurs que certains arguments de la plainte recoupent largement les thèses défendues par Réinfo Québec.Dans ses interventions publiques, le Dr Marquis avait notamment comparé la décision de refuser le vaccin à celle de «rouler à 200 km/h en sens inverse», et avait envisagé l’hypothèse de prioriser certains patients vaccinés pour des chirurgies non urgentes. De tels propos, soutiennent les plaignants, ont eu pour effet d’alimenter un climat d’hostilité à l’endroit des non vaccinés.Face à ces accusations, le Dr Marquis a présenté une requête en rejet de la plainte, soutenant que celle-ci est abusive. Il invoquait l’article 143.1 du Code des professions et l’article 51 du Code de procédure civile, qui permettent de sanctionner les démarches judiciaires vexatoires ou manifestement déraisonnables. Pour l’intensiviste, la plainte illustre «une utilisation de la procédure de manière excessive et déraisonnable», avec ses 26 chefs d’accusation, ses 244 dispositions de rattachement, une preuve documentaire estimée à plus de 15 000 pages, et une liste de témoins qui inclut pas moins de 18 personnes et sept experts, dont certains entendaient verser des ouvrages entiers au dossier. Au total, il estime que l’examen de cette plainte pourrait nécessiter entre 20 et 30 jours d’audience.À lire aussi: Gestion de la pandémie: le Dr Marc Lacroix sanctionné pour ses propos «hasardeux»Donner une tribune à Réinfo Québec?Le médecin dénonçait aussi ce qu’il considère comme un détournement des fins de la justice disciplinaire. «La plainte des plaignants privés a pour objectif de mener un débat sur la gestion de la crise sanitaire et de la vaccination, et de faire, dans le cadre de la présente affaire, la promotion de leurs idées», peut-on lire dans sa requête. En d’autres termes, l’arène disciplinaire du Conseil serait transformée en tribune pour Réinfo Québec et ses sympathisants. Contacté par Profession Santé, le Dr Marquis répond qu’il n’a «aucun commentaire à partager sur le sujet à ce moment-ci.»Les plaignants, de leur côté, rejettent ces arguments. Ils soutiennent que leur «bonne foi doit se présumer», et qu’il n’appartient pas au Dr Marquis de limiter l’ampleur de la preuve avant que le Conseil n’ait entendu les faits. Selon eux, «les reproches adressés (au médecin) d’avoir tenu des propos haineux ou méprisants lors de ses interventions médiatiques sont fondés», et il appartient au Conseil de trancher après débat contradictoire. Le nombre de documents et de témoins, aussi extravagant puisse-t-il paraître, ne serait pas un motif suffisant pour rejeter prématurément la plainte.Le Conseil de discipline a donné raison à ces derniers. Citant la jurisprudence de la Cour d’appel, il rappelle que «ce n’est qu’en présence d’une situation manifeste d’abus que ce pouvoir [de rejet] peut être utilisé». Et d’ajouter: «Dès qu’une preuve contradictoire est possible, l’affaire doit être tranchée après avoir entendu l’ensemble de la preuve.» En conséquence, la plainte, même volumineuse, n’a pas été jugée manifestement abusive. «Après examen de la preuve documentaire présentée par les parties, le Conseil juge qu’il n’est pas en présence d’un cas clair où la plainte privée portée par les plaignants doit être rejetée au stade préliminaire», précise la décision.Le Conseil concède toutefois que certains éléments annoncés par les plaignants semblent aller bien au-delà des reproches formulés, mais conclut qu’il sera «mieux en mesure de statuer […] après avoir entendu l’ensemble de la preuve, puis de décider de l’admissibilité ou de la valeur probante» des documents produits. L’audience au fond, dont la date n’a pas encore été fixée, pourrait faire grand bruit: les plaignants veulent faire assigner à comparaître le ministre de la Santé, Christian Dubé, l’ancien directeur de santé publique, le Dr Horacio Arruda, une sous-ministre adjointe, le président du Collège des médecins du Québec, des représentants de l’INSPQ, ainsi que le président-directeur général du CIUSSS où exerce le Dr Marquis.

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