Le diagnostic défaillant d’un omnipraticien entraîne la stérilité de son patient

En octobre 2019, le Dr Cristian Lucian Budeci a été reconnu coupable de ne pas avoir élaboré son diagnostic avec la plus grande attention, de ne pas avoir utilisé les méthodes scientifiques les plus appropriées, de ne pas avoir demandé de conseils plus éclairés ni dirigé son patient vers un urologue, alors que son état l’exigeait. Quatre manquements pour lesquels le conseil de discipline du CMQ lui a imposé, un an plus tard, une radiation temporaire de quatre mois. Le Tribunal des professions vient de confirmer ces deux décisions après les appels formulés par le médecin de famille. Ce dernier estimait que le conseil avait commis des erreurs d’interprétation pour établir sa culpabilité. Il lui reprochait ainsi d'avoir procédé à une analyse rétrospective des faits sans se mettre à sa place lors de la consultation en cause pour conclure que sa négligence avait conduit à la perte du seul testicule de son patient. Il considérait aussi que le conseil avait mal évalué les facteurs objectifs et subjectifs du dossier pour déterminer sa sanction. Le Dr Budeci a été débouté sur toute la ligne. Ses motifs sont infondés ou mal fondés, juge le Tribunal qui, sur le fond, n’a rien trouvé à redire aux décisions du conseil de discipline du CMQ. Les faits en question remontent au 3 août 2016. L’omnipraticien reçoit en consultation un adolescent de 14 ans et ses parents, des réfugiés syriens. Ils ne comprennent et ne parlent pas bien le français ni l’anglais, mais le médecin finit par comprendre que son jeune patient se plaint depuis 24 heures de douleurs aiguës au niveau d'un testicule, le seul qui lui reste. Il est également informé qu’un pédiatre aurait vu le garçon à deux reprises cette même année et lui aurait diagnostiqué une épididymite ou une orchiépididymite. Une information que le médecin ne peut confirmer, car il n’a pas accès au Dossier santé Québec (DSQ). Dans un premier temps, il envisage la torsion testiculaire, puis l’exclut, considérant que son examen physique ne lui permet pas d’observer de signes pour conclure à un tel diagnostic. Le Dr Budeci prescrit alors des examens, dont une échographie et une consultation en urologie, qu’il juge non urgents et redonne rendez-vous à son patient deux jours plus tard. Le 5 août, le médecin constate que la situation s’est aggravée. Il communique aussitôt avec le Dr Mathieu Bettez, urologue à l’Hôpital de la Cité-de-la-Santé, à Laval, qui lui demande de transférer tout de suite le patient à l’urgence où il va le prendre en charge. Après examen et évaluation, le Dr Bettez diagnostique une torsion testiculaire et envoie l’adolescent au bloc opératoire. Durant l’intervention, l’urologue découvre que son testicule est nécrosé et doit lui être retiré, rendant de fait le patient stérile. Une expertise sans équivoque Durant la procédure, l’expert en médecine familiale mandaté par l’enquêteur du syndic va être catégorique. Selon le Dr Rémi H. Bouchard, son confrère a contrevenu aux règles scientifiques et aux règles de l’art sous divers aspects. Il estime notamment que la conduite du Dr Budeci ne lui permettait pas d’exclure un diagnostic de torsion testiculaire ni de conclure que son patient était aux prises avec une orchiépididymite. En pareilles circonstances, le Dr Bouchard affirme qu’un médecin prudent et diligent aurait immédiatement confié l’adolescent à un spécialiste en urologie. Il souligne par ailleurs que son confrère avait des connaissances limitées en la matière (il s’agissait de sa première intervention sur un cas de torsion testiculaire) et qu’il ne pouvait obtenir rapidement le résultat d’une échographie. L’expert rappelle que la possibilité d’une torsion testiculaire constitue une urgence urologique et que la viabilité d’un testicule tordu est une question d’heures. Selon la littérature scientifique, le taux de sauvegarde d’une bourse sans soins appropriés dans les 24 heures est quasi nul, soutient le Dr Bouchard en se gardant de se prononcer sur la viabilité du testicule du patient à la date du 3 août 2016. En revanche, il déclare que la négligence du Dr Budeci a anéanti la moindre chance de sauver ledit testicule. À lire aussi: Un gynécologue récidiviste radié immédiatement pour des propos sexuels déplacés Durant les audiences, l’avis du Dr Bouchard ne sera pas contredit par le Dr Budeci. En se référant à la littérature qu’il a consultée après les évènements, l’omnipraticien reconnaît que son examen physique ne lui permettait pas distinguer une torsion testiculaire d’une orchiépididymite et que son patient aurait dû bénéficier d’examens plus poussés. Il dit néanmoins qu’il l’a traité selon les normes et qu’il a fait de son mieux en fonction de ses connaissances. Devant le tableau présenté et les conclusions de l’expertise médicale du Dr Bouchard, le conseil de discipline du CMQ a jugé que l’infraction commise par le Dr Budeci est «grave. Elle se situe au cœur de la profession médicale et elle met à risque la protection du public. (Celui-ci) doit pouvoir compter sur des médecins capables de prendre des mesures pour diagnostiquer adéquatement la condition médicale et de référer au besoin tout patient à un professionnel compétent». Amende honorable Comme l’adolescent n’avait qu’un testicule et vu les difficultés de communication entre le médecin et son patient, le conseil soutient que l’omnipraticien «devait faire preuve d’une plus grande vigilance considérant les conséquences pouvant découler» de son diagnostic. Aujourd’hui, le garçon est stérile et doit suivre une thérapie hormonale de testostérone. À lire aussi: Sanction confirmée pour une psychiatre au langage fleuri et vindicatif En fin de compte, le Dr Budeci s’est vu imposer une radiation temporaire de quatre mois. Une sanction moindre que celle réclamée par l’avocat du syndic. Celui-ci demandait cinq mois de radiation et l’obligation pour l’omnipraticien de suivre, à ses frais, un stage de 40 jours dans les domaines de la médecine d’urgence majeure et mineure tout en limitant son droit d’exercice jusqu’à la réussite de ce stage. Le Conseil a jugé que ces sanctions seraient indûment punitives. Il souligne que le médecin de famille «a démontré sa volonté réelle de s’amender en suivant de nombreuses formations pour mettre à jour ses connaissances» et que son risque de récidive est «faible ou modéré».

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