L’art pour exorciser la COVID-19

Un «livre-baume pour panser les blessures de la pandémie». C’est la formule choisie par la Fondation Cité de la Santé pour présenter le beau-livre intitulé (Se) Soigner: La valeur thérapeutique de l’art dans le milieu de la santé. Mélangeant témoignages poignants et œuvres d’art, cet ouvrage collectif offre un regard inédit sur la pandémie de COVID-19 et comment l’ont vécue ceux qui étaient en première ligne pour lutter contre le coronavirus.Médecins, infirmières, ergothérapeutes, travailleuses sociales, conseiller-cadre, archiviste ou encore agent de sécurité... Qu’ils aient été affectés en zone chaude ou cantonnés chez eux, 33 travailleurs de la santé du CISSS Laval ont contribué à ce recueil. À travers leurs propos et leurs créations artistiques, ils ouvrent une fenêtre intime sur leur réalité pendant la pandémie, comment ils l’ont affrontée, professionnellement et personnellement, les blessures qu’elle a laissées, mais aussi les expériences positives qu’elle a pu parfois engendrer.À lire aussi: Prendre la plume pour soigner autrementQu’ils s’agissent de récits fictifs ou réels, de poèmes, de dessins au crayon, de peintures à l’acrylique ou de sculptures, leurs œuvres d’art reflètent à quel point la COVID-19 a bouleversé nos quotidiens, en nous isolant les uns des autres. À quel point les travailleurs de la santé ont dû s’adapter du jour au lendemain, et prendre sur eux, pour soigner la population en naviguant dans l’inconnu. À quel point ils ont aussi fait preuve de résilience et de dévouement. À quel point, enfin, ils ont pu en souffrir et comment certains ont utilisé l’art pour se soigner eux-mêmes.«C’est un ouvrage qui vient du beau avec quelque chose qui ne l’était pas forcément», observe Patricia Ayoub, une des contributrices de l’ouvrage. Ergothérapeute en centre de jour, elle a d’abord été réaffectée dans deux CLSC à l’été 2021, puis à l’Hôpital juif de réadaptation où elle a offert du soutien à domicile auprès d’une clientèle âgée. Durant les six premiers mois, «il y avait beaucoup de panique. On n’avait pas d’équipements et on avait peur de la maladie. C’était très intense», se souvient-elle.«Je l’ai vécue comme une guerre, alors que j’étais seule au front sans arme (on n’avait pas encore d’équipement de protection). J’avais été rapatriée au soutien à domicile. Cela m’a énormément appris sur la résilience et sur mes capacités.» - Patricia AyoubAvant la pandémie, la professionnelle avait entamé un dialogue artistique avec une collègue ergothérapeute, Francine Guay. «Dès fois, c’est elle qui m’envoie une œuvre et je lui réponds par un poème. Des fois, c’est moi qui lui envoie un texte», explique Patricia Ayoub. Une discussion asynchrone qu’elles ont maintenue au gré des vagues épidémiques. «C’était un peu comme une bouée, un espace d’expression et d’échange qui nous a permis de normaliser les émotions vives qu’on vivait», indique la professionnelle en ajoutant que ses écrits l’ont aidée à se ressourcer «pour pouvoir retourner au front. On exigeait beaucoup de nous.»À lire aussi: Chirurgien le jour, batteur le soirInfirmière spécialisée en prévention des infections, Layal Abou-Chacra était quant à elle responsable de la formation des travailleurs déployés dans les zones rouges des CHSLD, des résidences intermédiaires et des résidences pour aînés. «Mon rôle était d’assurer la sécurité de ces professionnels et des usagers», précise-t-elle. Une tâche primordiale à laquelle elle s’est dévouée corps et âme. «C’était éprouvant. Je faisais plus de 70 heures par semaine. J’étais dans un état d’épuisement», se remémore-t-elle en admettant avoir beaucoup appris. «J’ai fait des choses que je n’avais jamais pensé faire. J’ai grandi et j’ai gagné en maturité.» «La pandémie est une période inoubliable, riche en bouleversements. J’ai été saisie par les nombreux décès, l’absence de nombreux collègues infectés et l’exode des soignants. Grâce à la pandémie, j’ai aussi vécu des moments extraordinaires d’entraide interprofessionnelle, des rencontres avec des professionnels dévoués et, surtout, j’ai vu la solidarité ainsi que la résilience humaine à son paroxysme.» - Layal Abou-ChacraDans ce tumulte, Layal Abou-Chacra avait besoin d’un exutoire, d’une soupape pour exprimer ses émotions et son ressenti. Durant les visios Teams qui s’enchaînaient au fil des journées, elle griffonnait sur des coins de feuille. «C’était mon journal de bord», signale celle qui a toujours dessiné. Certaines de ses esquisses sont ensuite devenues des toiles, comme cette peinture reproduite dans l’ouvrage (Se) Soigner. Intitulée Le cri du cœur, elle représente une infirmière ayant une tête de tigre qui hurle la bouche grande ouverte. «Elle montre la colère, le désarroi et la folie qui ont pu s’emparer de nous», mentionne en entrevue la professionnelle. «Les heures supplémentaires, les risques et le danger encouru ont déclenché chez moi une sorte d’instinct de survie. J’avais l’impression de devoir me défendre contre la pandémie aussi férocement qu’une tigresse», précise-t-elle dans le livre.Devoir de mémoire en forme d’hommageL’initiative de ce projet revient au Dr Joseph Dahine. L’idée lui est venue en mars 2022, à la fin de la cinquième vague. «On avait passé un deuxième Noël confiné. Les professionnels de la santé étaient épuisés, je voyais la détresse sur le terrain. Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose en donnant une tribune à des gens qui n’avaient peut-être pas eu la chance de s’exprimer et qui avaient encore des choses à dire sur la pandémie», raconte l’intensiviste de l’hôpital Cité-de-la-Santé.À consulter: Noémie S. Perkins, résidente et écrivaine: «À l'hôpital comme dans un roman, toutes les émotions sont exagérées»Le médecin a alors lancé un appel à tous qui a été entendu puis soutenu par la fondation associée au CISSS de Laval, qui a permis de concrétiser son projet d’utiliser l’art comme thérapie collective. «Il y avait un besoin d’exorciser la pandémie et de panser les blessures morales qu’elle avait ouvertes», souligne le Dr Dahine en ajoutant qu’il y avait aussi le besoin d’un devoir de mémoire. «La pandémie est un mauvais souvenir. C’est quelque chose dont on ne veut plus entendre parler. On veut juste tourner la page, mais on a surtout besoin d’en écrire une nouvelle», observe-t-il.«L’un des moments les plus stressants de ma vie. Tant d’inconnu… Ma femme venait en plus d’apprendre qu’elle était enceinte de jumeaux. La contagiosité importante de la COVID-19 nous faisait craindre le pire. Et, pour la première fois de ma vie, j’ai eu peur de mourir dans le cadre de mon travail.» - Dr Joseph DahineÀ titre personnel, l’intensiviste a écrit un récit en forme de dialogue entre un coach de vie autoproclamé sur les réseaux sociaux et un individu anonyme chez qui ce gourou des temps modernes tente d’instiller des sentiments de méfiance, de colère et de révolte envers l’autorité. Une métaphore en somme des enjeux auxquels le médecin a pu être confronté avec certains patients admis aux soins intensifs. «J’ai en tête des histoires, des images de personnes qui ont refusé des soins jusqu’à leur lit de mort.» À consulter: La science du bonheurLe Dr Dahine a eu beau les confronter, les mettre face à leur dissonance cognitive, il n'est pas parvenu à les faire changer d'avis. «Le mal était trop profond, trop ancré. Ces gens sont décédés dans l’indifférence la plus totale pour leurs convictions nourries par des propagandes complotistes», regrette-t-il avec l’amertume de celui qui a tout tenté pour les soigner.L’ouvrage (Se) Soigner: La valeur thérapeutique de l’art dans le milieu de la santé est disponible en version PDF, imprimée ou de luxe via le site web de la Fondation Cité de la Santé de Laval. Les fonds collectés serviront à la valorisation et à la reconnaissance du personnel de la santé.

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