La radiation provisoire immédiate du Dr Climan est annulée

Le Dr Allan B. Climan vient de remporter la première manche dans la bataille qui l’oppose au Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec (CMQ). Accusé d’avoir tenu des propos déplacés à caractère sexuel et d’avoir dérogé à la limitation d’exercice qui lui était imposée, l’obstétricien-gynécologue a d’abord été radié provisoirement par ses pairs en juillet 2022. Une mesure exceptionnelle, prise dans l’urgence, pour garantir la protection du public. Il a ensuite été reconnu coupable, mi-janvier 2023, des faits qui lui étaient reprochés avant de se voir condamné, en décembre dernier, à deux radiations de quatre et deux ans à purger simultanément.Le médecin montréalais a contesté ces trois décisions devant le Tribunal des professions qui vient de lui donner raison pour la première d’entre elles. «Avant de prononcer une radiation provisoire immédiate, un Conseil de discipline doit avoir une conviction profonde qu’aucune autre avenue n’est possible pour assurer la protection du public et non se laisser emporter par des impressions négatives reliées aux comportements reprochés dans la plainte», observe le Tribunal. En l’occurrence, si le Conseil de discipline du CMQ «avait mis correctement en balance tous les éléments en preuve, il en serait arrivé à Ia conclusion que (la situation) n’exigeait pas (la) radiation provisoire immédiate» du Dr Climan, tranche-t-il à la majorité.Le syndic du Collège reprochait au spécialiste d’avoir déclaré à voix basse «Thanks for the good time» [Merci pour le bon moment] à l’issue d’un examen gynécologique qu’il venait de réaliser auprès d’une patiente sur le point d’accoucher à l’Hôpital juif de Montréal. Ces paroles n’ont pas été entendues par la femme enceinte. Elles ont été rapportées par une infirmière présente dans la pièce qui a, de plus, souligné la durée inhabituellement longue de cet examen (cinq minutes) en relevant que le médecin avait les yeux rivés sur les parties génitales de sa patiente.Le second grief soulevé par le syndic concernait un autre examen gynécologique effectué plus tard dans la soirée par le Dr Climan. Le médecin s’était retrouvé seul avec sa patiente, alors qu’il aurait dû être accompagné par un «chaperon» de sexe féminin conformément à la limitation d’exercice qui lui avait été imposée lors de son retour à la pratique après une précédente radiation pour des propos sexuels déplacés.Pour sa défense, l’obstétricien-gynécologue a admis que ses mots étaient «inappropriés», «déplacés» et «mal choisis». Mais il a nié leur caractère sexuel en expliquant qu’il ne s’adressait pas à sa patiente et qu’il voulait plutôt évoquer une situation qui le rassurait sur un plan professionnel: son large bassin faciliterait l’accouchement de «son bébé imposant». Le médecin a également plaidé qu’«il a procédé à l’examen seul de la patiente en raison de l’urgence de la situation» et parce qu’il n’a pas été en mesure de trouver une infirmière pour l’accompagner. Le Conseil n’avait pas souscrit à ces arguments. Il a plutôt estimé que les manquements décrits par le syndic constituaient des «reproches graves et sérieux portant atteinte à la raison d’être de la profession», ajoutant que le non-respect de sa limitation d’exercice compromettait la protection du public. Selon ses pairs, la pratique du Dr Climan démontrait qu’«il ne semble pas en mesure de respecter des obligations déontologiques cruciales», justifiant ainsi la radiation provisoire du clinicien en attendant ses audiences sur culpabilité et sanction.À charge et sans déchargeLe Tribunal des professions juge toutefois que le Conseil de discipline du CMQ est parvenu à cette conclusion en commettant des erreurs manifestes «qui ont eu un impact déterminant sur l’analyse de la question centrale, à savoir si à cette étape (le médecin) représentait un danger pour Ia protection du public s’iI continuait exercer sa profession». Il rappelle qu’une radiation provisoire «doit être évaluée concrètement afin de maintenir l’équilibre entre les attentes légitimes en matière de protection du public et les droits d’un professionnel de pouvoir opposer un point de vue juridique différent, sans se voir privé provisoirement de l’exercice de sa profession avec les conséquences qui en découlent sur sa réputation et sur le plan économique.» Or le Tribunal estime que le Dr Climan n’a pas été en mesure de faire valoir ses éléments de preuve. À l’audience, le clinicien a notamment fait entendre une experte en obstétrique-gynécologie, la Dre Dawn Johansson. Dans son rapport, cette dernière estime qu’il est nécessaire qu’un médecin regarde les parties génitales de sa patiente lors d’un examen gynécologique dont la durée de cinq minutes peut être justifiée, notamment pour s’assurer de la position de la tête du bébé. Elle mentionne aussi que l’examen réalisé sans chaperon par son confrère revêtait un caractère urgent, car sa patiente ayant eu une contraction, il pouvait craindre une décélération cardiaque prolongée du fœtus, comme cela allait se produire plus tard dans la soirée. Aux yeux de la Dre Johansson, cette situation nécessitait la réalisation d’un examen gynécologique sans attendre une infirmière si aucune n’était disponible pour accompagner le Dr Climan.Lire aussi: Enquêtes: les professionnels soumis à rude épreuveLe Conseil de discipline a cependant écarté le rapport de la Dre Johansson, car il a estimé qu’il n’avait pas besoin de l’avis d’un expert pour déterminer si l’obstétricien-gynécologue avait contrevenu à sa limitation d’exercice. En considérant que cette preuve n’était «pas utile ou nécessaire», le Tribunal statue que le Conseil a commis une erreur de droit. Ce faisant, il a ignoré des «éléments pertinents en lien avec les circonstances entourant le non-respect de Ia limitation» qui étaient essentiels à l’évaluation des risques pour Ia protection du public.Manque d’équitéLors de sa rencontre avec le syndic, le Dr Climan a affirmé qu’il craignait que le bébé naisse avec une distorsion de l’épaule, raison pour laquelle il a procédé à l’examen de sa patiente sans chaperon. «En toute équité, le Conseil se devait également de considérer le contexte de cette infraction», affirme le Tribunal qui note que le rapport de la Dre Johansson, «qui analysait le dossier médical de la patiente, démontrait qu’il y avait présence d’un contexte particulier, soit l’urgence». En l’ignorant lors de son analyse en lien avec la protection du public, le Conseil a commis une «erreur déterminante».Au demeurant, le Tribunal reproche au Conseil d’avoir analysé la culpabilité du Dr Climan, en rejetant sa défense sans l’avoir entendue, alors qu’il devait s’en tenir à déterminer si les infractions qu’on lui reprochait nécessitaient sa radiation provisoire afin de protéger le public. De plus, il s’étonne que le Conseil souligne l’absence de témoignage à l’audience du médecin tout en discréditant ses explications données au syndic, qu’il qualifie d’invraisemblables. «Ce raisonnement place (le clinicien) dans une situation sans issue: d’un côté on lui reproche de ne pas avoir témoigné et de l’autre on le considère comme non crédible.»Le Tribunal admet que le spécialiste a «un profil professionnel qui peut à juste titre inquiéter. Cependant, il est toujours présumé innocent des infractions alléguées et la radiation provisoire ne doit pas sanctionner prématurément un professionnel.» Le Dr Climan avait certes un antécédent disciplinaire et un certain passif en matière de propos à caractère sexuel, mais «le Conseil aurait dû mettre ces éléments en balance avec (d’autres), ce qu’il n’a pas fait», déplore le Tribunal. Lire aussi: La justice disciplinaire a besoin de rénovationsParmi les éléments favorables au médecin, il souligne que celui-ci a démontré, dès sa reprise d’activités, sa volonté de respecter sa limitation d’exercice en embauchant une infirmière qui est présente durant toutes ses consultations et non seulement pendant les examens. Il note également que son manquement à la limitation est unique et qu’il «s’est produit à l’hôpital dans une situation d’urgence, corroborée par la preuve d’expert». Il ajoute que sa patiente contredit l’infirmière «sur des éléments importants relativement à ce qui s’est produit dans la chambre et aux gestes médicaux posés». Le Tribunal observe enfin que «les paroles prononcées [«Thanks for the good time»] peuvent comporter une certaine ambiguïté et être sujettes à interprétation» et qu’elles diffèrent des propos abusifs, «qui comportaient une connotation sexuelle claire et explicite», pour lesquels le Dr Climan a été condamné auparavant.À suivreSi le Conseil de discipline du CMQ avait «correctement mis en balance tous les éléments en preuve, il en serait arrivé a Ia conclusion que Ia poursuite d’exercice de la médecine par (le médecin) n’exigeait pas sa radiation provisoire immédiate», conclut le Tribunal. Dans l’immédiat, sa décision ne change rien à la situation du Dr Climan. Il «demeure à ce jour radié, selon la décision sur sanction rendue par le Conseil de discipline le 8 décembre 2023», indique le Collège des médecins. Cependant, le médecin doit sans doute nourrir l’espoir que le Tribunal des professions infirme aussi la décision du Conseil qui l’a reconnu coupable en janvier 2023 et qu’il a porté en appel. Ses pairs avaient jugé que la version de l’infirmière était «plus crédible, fiable et convaincante» que la sienne et ils avaient également écarté le rapport d’expertise et le témoignage de la Dre Johansson. Affaire à suivre, donc, sachant qu’en raison des délais devant le Tribunal, il se pourrait que le Dr Climan purge sa radiation temporaire, qui court jusqu’en juillet 2026, avant que les juges ne se prononcent.

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