La plainte disciplinaire contre une ex-anesthésiologiste est retirée

Le Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec (CMQ) vient de tabletter la plainte portée il y a six ans contre la Dre Isabelle Desormeau. L’affaire est «exceptionnelle», mentionne la décision en question, puisque c’est la plaignante elle-même, la Dre Sylvie Tremblay, qui en a formulé la demande. La syndique adjointe considère tout bonnement qu’elle n’a «plus le fardeau de preuve requis» — des médecins qu’elle comptait citer à comparaître ont finalement refusé de témoigner — et qu’«il n’est plus dans l’intérêt public de procéder auprès du Conseil de discipline».Le contenu de la plainte en déontologie visant l’ex-anesthésiologiste fait l’objet d’une ordonnance de non-publication, de même que la requête en radiation provisoire présentée par la Dre Tremblay en décembre 2019. Celle-ci avait conduit la Dre Desormeau à démissionner du tableau du Collège dans l’attente du verdict du Conseil de discipline, laissant entendre que les faits qu’on lui reprochait étaient sérieux. Ses pairs ont autorisé le retrait de la plainte, car «ni la protection du public ni l’intérêt de la justice disciplinaire ne sont en cause ou compromis», écrivent-ils dans leur décision rendue mi-avril. Privée de son droit d’exercice depuis cinq ans et demi, la médecin âgée de 53 ans pourra de nouveau pratiquer l’anesthésiologie (sous la supervision d’un tuteur pour commencer) dès lors qu’elle aura accompli des stages de perfectionnement.Le dossier concernant la Dre Desormeau fait les manchettes depuis que la clinicienne a été accusée d’homicide involontaire en lien avec la mort de Raymond Bissonnette, un patient en fin de vie. Il était question de savoir si l’anesthésiologiste avait correctement apaisé les souffrances de cet homme âgé de 84 ans ou si elle avait précipité sa mort. Les faits s'étaient déroulés dans la nuit du 1er au 2 novembre 2019, à l’hôpital Cité-de-la-Santé, à Laval.La veille, l’octogénaire s’était présenté à l’urgence en se plaignant de maux de ventre. Diagnostiqué d’une occlusion intestinale, il avait consenti à subir une nouvelle chirurgie, mais refusait tout acharnement thérapeutique. Après environ trois heures sur la table d’opération, le chirurgien, le Dr Hubert Veilleux, a découvert que l’intestin grêle du patient était nécrosé sur plus d’un mètre. Un constat rédhibitoire qui a mis fin aux procédures chirurgicales afin de respecter la volonté du vieil homme.Selon la théorie de la Couronne, la Dre Desormeau aurait décidé unilatéralement d’euthanasier son patient, sans l’envoyer aux soins intensifs pour qu’il puisse être visité par ses proches. Alors qu’il se trouvait encore au bloc opératoire, elle lui a administré un cocktail de médicaments, contenant du fentanyl, du midazolam et du propofol, avant de lui retirer son assistance respiratoire. Des gestes qui auraient provoqué son décès. L’anesthésiologiste prétendait quant à elle avoir agi de la sorte afin de respecter la volonté de l’aîné, et que son seul objectif a été de lui fournir des soins palliatifs de qualité pour éviter qu’il ne souffre. Lire aussi: Hôpital Royal-Victoria: un quatrième anesthésiologiste sanctionnéJugement sans équivoqueAu terme d’un procès qui a duré plusieurs semaines à l’automne dernier, la Dre Desormeau a été acquittée le 18 février par la Cour du Québec, qui a rendu un jugement sévère à l’endroit de la Couronne. «La preuve démontre sans l’ombre d’un doute que les gestes de l’accusée ne visaient qu’à assurer le confort de M. Bissonnette et à l’accompagner dans la mort en plein respect de sa dignité et des volontés qu’il avait clairement exprimées», a affirmé le juge Marc-André Dagenais qui a cru «sans réserve» l’accusée. À l’inverse, le magistrat a reproché à la Couronne sa «vision simpliste, réductrice ou même idéologique de la notion de consentement aux soins et de l’autonomie professionnelle des médecins qui accompagnent les patients en fin de vie». Au passage, le juge Dagenais a disqualifié les versions des deux témoins clés de l’accusation, le Dr Veilleux et le directeur de l’unité des soins intensifs de la Cité-de-la-Santé, le Dr Joseph Dahine, avec qui la Dre Desormeau avait interagi avant de prodiguer les derniers soins à son patient.Lire aussi: Chronique médico-légale: s’attaquer à la norme de diligenceRefus de témoignerDans son exposé des faits, la Dre Sylvie Tremblay reconnaît que «tous les témoins qu’elle comptait faire entendre (…) ont vu leur crédibilité minée et leurs témoignages écartés par la Cour du Québec», au profit de la version de l’anesthésiologiste qui a été maintenue sur toute la ligne. De plus, la syndique adjointe du Collège indique que les deux médecins l’ont contactée depuis le jugement pour lui demander de ne pas être assignés devant le Conseil de discipline pour témoigner.Dans ces conditions, et vu le verdict rendu au criminel, «une saine administration de la justice disciplinaire et l’intérêt public convergent vers une seule solution, soit le retrait de la plainte portée contre (la Dre Desormeau)», affirme sa consœur la Dre Tremblay. Bien que la Couronne a depuis fait appel du jugement, elle réaffirme que cet appel «ne remet pas en cause l’analyse de la crédibilité des témoins» effectuée par le juge Dagenais. La syndique adjointe souligne en outre que l’anesthésiologiste a déjà été privée de son droit de pratique pendant plus de cinq ans. Une période «vraisemblablement supérieure à la sanction possible qui pourrait (lui) être éventuellement imposée», écrit-elle dans son exposé des faits auquel le Conseil de discipline a souscrit du tout au tout.

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