Gestion de la pandémie: le Dr Marc Lacroix sanctionné pour ses propos «hasardeux»

Critiques sans réserve de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et des pays qui suivaient ses recommandations. Remise en question des mesures sanitaires de la Direction de la santé publique (DSP) québécoise. Salves aux relents complotistes contre le port du masque. Banalisation des effets du SARS-CoV-2. Durant les premiers mois de la pandémie de COVID-19, le Dr Marc Lacroix faisait feu de tout bois à la radio et sur les réseaux sociaux. Des prises de position qui lui valent aujourd’hui d’être sanctionné par le Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec (CMQ). Ses pairs jugent que le médecin de famille, président des cliniques médicales Lacroix, «était plus soucieux d’adopter une position qui le rendrait populaire plutôt que de se préoccuper des conséquences de la COVID-19 sur la santé des gens.» En propageant des informations inexactes, non vérifiables ou non conformes aux données de la science alors disponibles, ils estiment que le Dr Lacroix s’est rendu coupable d’une infraction déontologique «qui renferme un degré de gravité intrinsèque élevé, en lien avec la profession médicale, qui est de nature à affecter le public», qui plus est dans un contexte pandémique inédit.«Un message clair doit être transmis quant au professionnalisme et à la rigueur attendus d’un médecin dans l’expression publique de ses opinions et à l’importance de maintenir un discours digne, réservé, modéré et appuyé sur des données scientifiques», argumente la décision du Conseil de discipline, prise le 24 janvier, au terme de laquelle le clinicien se voit imposer deux radiations temporaires - une de deux semaines, l’autre d'une semaine - à purger simultanément. La plainte privée à l’origine de ces sanctions (qui sont susceptibles d’appel jusqu’au 23 février) vise entre autres une entrevue donnée par le Dr Lacroix le 8 mai 2020 à l’antenne de CHOI 98.1 FM. Interviewé par Jean-François Fillion, par ailleurs porte-parole publicitaire des cliniques Lacroix, le médecin de famille «se substitue à la Direction de santé publique à la demande de l’animateur sans émettre de réserve sur son absence d’expertise notamment en santé publique et sur le fait qu’il ne possède pas des informations complètes sur l’ensemble de la situation pandémique au Québec», observe la décision.Extraits de l’entrevue du Dr Lacroix sur les ondes de CHOI 98.1 FM, le 8 mai 2020«Cessez d’écouter l’OMS aussi. On voit le docteur Arruda avec sa belle épinglette de l’OMS, moi, je pense que l’OMS, dès le début, n’a pas été crédible dans cette crise-là, a caché de l’information au monde entier en sachant très bien qu’en Chine il se passait quelque chose de sérieux. Donc, cessons d’écouter l’OMS. Puis on le voit, les pays qui ont écouté l’OMS ont des résultats désastreux, le Québec, la France, par exemple, on sait… on écoutait l’OMS. Donc, moi, ça serait un peu… je préfère faire mon plan moi-même.»«On regarde les chiffres, encore une fois, les chiffres parlent par eux-mêmes. Je pense aussi, Jeff: la règle d’âge, là, ce n’est pas assez clair, là, actuellement dans les recommandations du déconfinement, on dit aux gens de 60, 69 ans: "Sortez de chez vous." Moi, personnellement, la ligne aurait dû être tracée autour de 60 ans. 60 ans et moins, en bonne santé, moi, je pense qu’avec les stats qu’on a de l’Institut Pasteur, les gens sont sécures de… même d’attraper le virus, donc moi, je pense que l’enjeu de l’âge devrait… la ligne de démarcation de l’âge devrait être claire, et actuellement, il y a beaucoup beaucoup de confusion, là.»«Je pense qu’il faut être un peu pragmatique, il faut cesser d’être émotif, là, dans les circonstances, et je pense que le message du gouvernement devrait être clair, simple et, en même temps, avec plus de… je pourrais dire de… il faut être convaincu de ce qu’on fait et convaincant. Puis actuellement, je n’ai pas l’impression qu’on veut convaincre tant que ça les gens. On y va à tâtons, on envoie une règle, on donne le contraire le lendemain ou que… on le voit avec les règles d’âge, là, ils ont vraiment mis les pieds dans les plats quelques fois.»«Le confinement actuellement affaiblit le système immunitaire des gens puis on le voit même dans la région de New York, tu as vu, 66% des nouvelles admissions, c’est des gens qui sont confinés actuellement, puis ils sont à la maison. Donc, on le voit, l’impact du confinement… je ne dis pas du confinement quelques semaines, mais du confinement prolongé, comme on le vit, à la longue, ça devient néfaste.»Le Conseil de discipline convient que le Dr Lacroix avait le droit de porter un regard critique sur les mesures adoptées par la DSP. «Mais il devait le faire avec toutes les nuances et les mises en garde nécessaires sur le fait qu’il n’était pas un expert dans le domaine contrairement à d’autres médecins spécialistes à qui les médias demandaient régulièrement leur avis sur la situation pandémique. Il devait également le faire avec professionnalisme, respect et modération», considèrent ses pairs qui relèvent que le médecin de famille n’a aucune formation particulière en épidémiologie, en immunologie, en microbiologie ou en virologie et qu’en outre, il n’a jamais eu à traiter un patient atteint de la COVID-19.Selon eux, le clinicien a tenu «des propos hasardeux, dénigrants et indignes sur une tribune publique» lors de cette entrevue, dont la finalité était ni plus ni moins de contester les mesures de la DSP et de «faire une bonne émission». Le Conseil ajoute que lorsque l’omnipraticien accorde des entrevues radiophoniques, «il ne s’agit pas de discussions entre amis. Il s’adresse à la population en tant que médecin avec toute la crédibilité et l’importance que son statut projette.» En conséquence, «il doit agir avec prudence vu son influence». En l’occurrence, ses propos à l’emporte-pièce ont été tenus au début de la pandémie «à un moment où la situation et les connaissances évoluent rapidement, ce qui, plutôt que de diminuer la responsabilité (du Dr Lacroix), l’augmente. Alors qu’il est confronté à ce contexte exceptionnel, (il) communique au public des propos de nature à semer la confusion et à alimenter la controverse», affirme le Conseil de discipline.Médecin même sur FacebookLe second volet de la sanction concerne une série de publications partagées entre le 19 et le 29 juillet 2020 par le clinicien sur sa page Facebook professionnelle identifiée «Dr Marc Lacroix» ainsi que sur son compte personnel, où il se présente comme médecin. Il y critique vertement les mesures de la DSP et s’en prend à son directeur à l’époque, le Dr Horacio Arruda.Extraits des publications Facebook du Dr LacroixAu-dessus d’une photo de Donald Trump publiée dans le Journal de Montréal sous laquelle est indiqué «Le virus finira par “disparaître”: Donald Trump persiste et signe», le Dr Lacroix écrit le 19 juillet: «J’abonde dans le même sens. Les nouveaux cas sont pour la grande majorité des jeunes en santé qui vont combattre ce virus en 24 ou 48 heures et c’est ce qui est souhaitable afin d’atteindre un niveau approprié pour obtenir une immunité collective.»L’omnipraticien partage le lendemain le message suivant dans un encart rouge: «Le Docteur Arruda n’a à mon avis plus beaucoup de crédibilité avec les innombrables bourdes et contradictions des derniers mois.»Au-dessus de la photo du Dr Arruda sous laquelle est indiqué «Jugé dangereux, Arruda alerte la population de ne pas utiliser de masques à des fins préventives», le médecin de famille écrit le 21 juillet: «On ne s’en lasse pas!»Le lendemain, le Dr Lacroix traite le directeur de la DSP de «bouffon». Le même jour, il publie une photo de Donald Trump sous laquelle est indiqué «TRUMP: Pas de besoin de test ni de vaccin pour faire disparaître le coronavirus». Très actif ce jour-là, il écrit aussi «Folie pure» au-dessus de la photo de la vice-première ministre Geneviève Guilbault accompagnée du titre «Le port du masque obligatoire jusqu’à la découverte d’un vaccin».Le 25 juillet, le médecin de famille écrit «N’oubliez pas, LE MASQUE NE PROTÈGE PAS, IL PEUT MÊME AUGMENTER LES RISQUES D’ATTRAPER LE VIRUS» au-dessus de la photo du Dr Arruda qu’il a déjà partagée précédemment, sous laquelle est indiquée: «Jugé dangereux, Arruda alerte la population de ne pas utiliser de masques à des fins préventives.»Deux jours plus tard, l’omnipraticien publie une photo du Dr Arruda et du premier ministre François Legault en dessous de laquelle est mentionnée une question avec un choix de réponse: «Ces messieurs sont-ils…1. Alzheimer? 2. Crétins ou incompétents? 3. Malveillants? 4. Engagés à un agenda caché? 5. Soumis à des ordres supérieurs?» Aucune case n’est cochée.Pour sa défense, le Dr Lacroix a avancé lors de son audience sur culpabilité qu’il n’avait pas publié de messages «factuellement inexacts» ni critiqué «sans retenue» les décisions prises en vertu de l’urgence sanitaire. Il a également plaidé qu’il exprimait une opinion personnelle et non médicale sur son compte Facebook, ce que lui permettait le droit à liberté d’expression. La majorité du conseil de discipline a plutôt conclu que l’omnipraticien ne cesse pas d’être médecin lorsqu’il exprime ses opinions sur les réseaux sociaux, incluant son compte Facebook personnel où il est connu et reconnu comme tel.Pour ses pairs, le Dr Lacroix a «entaché l’honneur et la dignité de la profession médicale par ses propos immodérés. (…) Qu’un médecin, de notoriété publique, contrevienne à son devoir de protéger et de faire la promotion de la santé et du bien-être de la population est grave», écrivent-ils, en notant qu’il ne s’agit pas d’un comportement isolé ou d’une erreur de jugement ponctuelle, «mais plutôt d’actes répétés qui s’inscrivent dans une contestation publique des mesures de santé publique». Certains de ses messages «se rapprochent d’un discours complotiste», ajoutent-ils.Le Dr Marc Lacroix réclamait une simple réprimande en guise de sanction, considérant que l’objectif de protection du public est atteint par l’engagement qu’il a signé. Convoqué le 29 juillet 2020 à la suite d’une trentaine de signalements du public concernant ses entrevues et ses publications sur Facebook, le médecin de famille s’était engagé à fermer ses comptes Facebook et à ne plus communiquer ses opinions sur la pandémie de COVID-19 via les médias sociaux et tout autre média de masse. Deux résolutions qui font l’objet d’une mention au tableau de l’Ordre à titre de limitation d’exercice.Pour aboutir à sa radiation d’une semaine, le Conseil de discipline du Collège signale qu’il a tenu compte de cet engagement, de son absence d’antécédents disciplinaire ainsi que de son risque de récidive jugé «faible». Toutefois, il dit ne pas disposer «d’une preuve suffisante pour conclure que le processus disciplinaire a eu un effet dissuasif sur (le Dr Lacroix)». Ce dernier «n’a pas reconnu ses torts ni témoigné de remords pouvant démontrer une forme d’introspection». Résultat, le Conseil n’est pas convaincu que l’omnipraticien «adoptera à l’avenir un discours empreint de réserve, en ayant comme préoccupation la protection de la santé et du bien-être de la population».

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