Études en cardiologie et en troubles de l’alimentation: le Musée des beaux-arts de Montréal, partenaire de recherche

« Je suis persuadée que les arts seront au 21e siècle ce que le sport a été au 20e siècle », assure Nathalie Bondil, directrice et conservatrice en chef du Musée des beaux arts de Montréal (MBAM). Elle espère d’ailleurs qu’un jour des médecins signeront des ordonnances de visites au musée comme ils prescrivent aujourd’hui de l’exercice. Pour elle, pas de doute : l’art fait du bien et peut même soigner.Elle y croit d’ailleurs tellement qu’après avoir accueilli de façon plutôt récréative au MBAM « un public en souffrance », Nathalie Bondil a aussi toute grande ouvert la porte de son musée à des chercheurs et des médecins.Lors de la toute première collaboration en art-thérapie avec la société Alzheimer, « le patient venait avec son aidant naturel vivre une expérience esthétique particulière, très souvent accompagnée d’un sentiment de sérénité », explique-t-elle. Aujourd’hui, le MBAM est aussi devenu une plateforme proactive de recherche. Des chercheurs viennent y évaluer les impacts de visites organisées avec des groupes de patients, associées ou non à des pratiques d’ateliers, sur le processus de guérison de plusieurs pathologies.« Des passerelles relient notre être biologique à notre être culturel. On le sait, on le pressent, mais maintenant on le comprend et on le prouve de plus en plus avec les neurosciences et les sciences médicales, d’où l’intérêt des chercheurs, des médecins et des thérapeutes envers les arts et le musée, car ils y voient une opportunité d’apporter des soins d’une autre façon », précise Nathalie Bondil. Howard Steiger, Ph. D., chef du programme des troubles de l’alimentation à l’Institut Douglas et professeur au département de psychiatrie de l’Université McGill. Photo : Institut DouglasTrois chercheurs déjà impliqués dans des partenariats avec le MBAM nous ont parlé de leurs projets. Le Dr Jean-Claude Tardif, directeur du Centre de recherche de l’Institut de cardiologie de Montréal et professeur titulaire de médecine à l’Université de Montréal, veut vérifier si l’art-thérapie peut avoir des effets favorables sur les palpitations et les arythmies.Howard Steiger, chef du programme des troubles de l’alimentation à l’Institut Douglas et professeur au département de psychiatrie de l’Université McGill, veut de son côté valider dans quelle mesure la mise en contact, l’interaction et la production d’art peuvent avoir des effets bénéfiques sur le bien-être des personnes atteintes de troubles de l’alimentation.Josée Leclerc, art-thérapeute, directrice du programme de maîtrise en art-thérapie à l’Université Concordia et professeure agrégée, participe à ces deux projets pilotes. Avec des collègues, elle a établi une collaboration avec le MBAM qui lui permet d’envoyer ses étudiants se perfectionner en contexte muséal. En contrepartie, ils aident les guides du musée à acquérir les compétences nécessaires à l’accueil de visiteurs ayant des besoins particuliers.L’art comme régulateur cardiaqueEncore à ses premiers balbutiements, le projet de l’Institut de cardiologie de Montréal consiste à voir si l’on peut influer sur la fréquence cardiaque et les arythmies cardiaques par des visites au musée. « On tente de démontrer que, via l’art-thérapie, on pourrait possiblement moduler les effets des systèmes sympathique et parasympathique », précise le cardiologue. Pour lui, pas de doute, le cœur et les émotions sont liés. Mais encore faut-il prouver que l’on peut influer sur la fréquence cardiaque, soit la ralentir ou l’accélérer, en jouant sur les émotions. Le Dr Jean-Claude Tardif, directeur du Centre de recherche de l’Institut de cardiologie de Montréal et professeur titulaire de médecine à l’Université de Montréal. Photo : Institut de cardiologie de MontréalConcrètement, il s’agit donc de vérifier si des visites au musée peuvent se traduire par un rythme cardiaque « plus régulier et peut-être un peu plus lent ». Pour ce faire, les chercheurs mesurent la fréquence cardiaque et les arythmies cardiaques des patients avant, pendant et après une intervention au MBAM en art-thérapie.Le Dr Tardif estime important que les critères de mesure de cette étude débordent la question du mieux-être des patients, à laquelle l’art-thérapie est souvent associée. « Je ne néglige pas le fait que c’est bien de mieux se sentir dans la vie, mais ici on teste une hypothèse scientifique qui dépasse le mieux-être. On tente de voir si on pourrait influencer des paramètres mesurables, comme les arythmies cardiaques et la fréquence cardiaque », explique-t-il.Une autre voix d’expressionL’Institut universitaire en santé mentale Douglas organise, pour sa part, des sorties au MBAM combinées à un atelier d’art-thérapie et à un repas pris sur place pour certaines personnes atteintes de troubles alimentaires qui fréquentent son hôpital de jour. Howard Steiger dit qu’on peut déjà parler d’« une expérience très appréciée par ceux qui en bénéficient ». Il faudra cependant attendre un peu avant d’avoir des données « selon des mesures plus objectives ». Le chercheur veut en effet évaluer de façon précise les « effets sur la réduction de l’anxiété et sur l’humeur des personnes atteintes de troubles alimentaires ».Selon Howard Steiger, l’art en général, que ce soit la musique ou les arts visuels, offre la possibilité d’aborder « l’expérience émotionnelle de façon différente de ce que l’on peut faire à travers des thérapies verbales ». C’est aussi le cas de la méditation ou du yoga, d’autres approches que les soignants utilisent pour aider les personnes atteintes de troubles alimentaires.Dans une société très pragmatique qui nous incite à trouver une solution rationnelle à toute difficulté, l’art peut en effet nous forcer à reconnaître que l’on ne peut pas maîtriser toutes nos expériences émotionnelles. « On subit l’art », rappelle le psychologue. De plus, il permet d’expérimenter un large registre d’émotions qui vont au-delà de l’image corporelle ou du « beau ». Cela peut aussi toucher des thèmes comme l’amour, l’intimité, les relations avec les autres, etc.Lors de l’activité au MBAM, les personnes doivent faire preuve d’une certaine flexibilité, ce qui peut se révéler un défi quand on a du mal à composer avec ce qui n’est pas prévu ou planifié. Il ne s’agit pas d’un traitement miracle des troubles de l’alimentation, mais plutôt d’« un adjoint à la thérapie », estime Howard Steiger, ajoutant que cette activité peut aider à mettre au point des outils qui seront réutilisés dans d’autres aspects de la démarche vers le rétablissement.« Il y a beaucoup de mythes à propos des troubles de l’alimentation, entre autres qu’on ne les surmonte jamais, dit Howard Steiger. Pourtant, on voit une plus grande proportion de gens qui se rétablissent. Avec un bon traitement, le résultat à court terme peut être assez favorable. »Professeure et art-thérapeute, Josée Leclerc est responsable des ateliers d’art-thérapie auxquels participent des patientes de l’Institut Douglas ayant des troubles alimentaires. Selon elle, « le seul fait d’être au musée, un endroit calme et esthétiquement plaisant et apaisant, a un effet thérapeutique ». Non pas que le musée soit thérapeutique au sens propre, mais il permet certainement de transcender des problématiques.Lors des ateliers, les personnes créent une pièce qui est « non seulement une expression émotionnelle et affective de ce qui peut être source de souffrance, mais permet aussi d’améliorer l’estime de soi, par le fait même de participer et de voir comment elle est reçue et validée par le thérapeute, puisqu’on lui accorde une valeur thérapeutique importante », souligne Josée Leclerc.Dans le cadre du projet de l’Institut de cardiologie de Montréal, les patients commencent leur activité au musée par une visite commentée, puis créent une œuvre avant de participer à un « partage » sur cette expérience. L’art-thérapeute explique que « lorsque des mesures de la fonction cardiaque seront prises à plusieurs occasions chez un nombre significatif de personnes, il sera possible de voir l’effet et l’impact de ces différentes activités », précise-t-elle.Après avoir accompagné des chercheurs pendant plusieurs années et vu certains projets aboutir, la directrice du MBAM, Nathalie Bondil, veut maintenant passer à la vitesse supérieure. Elle a décidé de mettre en place un Comité art et sciences qui relèvera du conseil d’administration.Dans les prochains mois, le musée devrait donc annoncer le nom des médecins, des chercheurs et des universitaires qui s’y joindront pour conseiller le MBAM dans de futurs projets de recherche auxquels il s’associera.

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