Entrevue avec le Dr Howard Bergman La maladie d’Alzheimer, mal connue et sous-estimée

Professeur et titulaire de la chaire Dr-Joseph-Kaufmann en gériatrie de l’Université McGill, membre de la commission Clair et ex-président de la Société canadienne de gériatrie, depuis peu vice-président et directeur scientifique du Fonds de la recherche en santé du Québec, le Dr Howard Bergman a présidé le comité chargé d’élaborer un plan d’action ministériel concernant la maladie d’Alzheimer et les maladies apparentées.Le rapport qu’il a livré en mai dernier a été occulté par la crise des tests de pathologie sur le cancer du sein, mais les mesures qu’il propose vont profondément modifier et orienter la lutte contre cette maladie.Le Québec est-il bien préparé à faire face aux dizaines de milliers de patients qui seront atteints de la maladie d’Alzheimer ?La maladie d’Alzheimer demeure une maladie mal connue et sousestimée. Si le ministre a mandaté notre comité d’experts, c’est qu’il a constaté que, dans l’ensemble de notre système de santé, nous ne nous sommes pas ajustés en vue de faire face à la croissance de cette maladie. Cette prise de conscience survient presque au même moment dans plusieurs pays. Il faut commencer à se préparer maintenant et ne pas attendre cinq ou six ans, alors que le nombre de cas va commencer à augmenter de façon très importante.La recherche sur la maladie d’Alzheimer souffre de sousfinancement si on la compare à d’autres maladies. Pourquoi ?Bonne question. C’est la même chose dans d’autres pays. La maladie d’Alzheimer est une maladie de personnes âgées, de type santé mentale et qui touche majoritairement des femmes. On voit rarement, dans les avis de décès, qu’une personne est morte de cette maladie, comme s’il y avait encore une honte. J’ai salué la famille de Ronald Reagan qui a ouvertement parlé de sa maladie.Les médecins sont-ils suffisamment outillés face au flux des cas qui vont se produire au cours des prochaines années ?Ils ont une connaissance de la maladie, mais il y a place pour de l’amélioration. Je dirais que c’est inégal. Certains médecins se sentiront moins confiants de prendre en charge cette maladie. Ce manque ne se retrouve pas seulement en médecine. Il y a des lacunes pour l’ensemble des professionnels de la santé. Il faudra faire un effort considérable pour former les infirmières, les physiothérapeutes, les ergothérapeutes et les travailleurs sociaux déjà en exercice.Vous déplorez que les efforts et les ressources semblent dispersés pour faire face à cette maladie.C’est l’un des grands problèmes. Les pharmaceutiques, les médecins, les universités, les instituts de recherche en santé, chacun fait des choses de son côté. Ce que nous disons, c’est qu’il faut mettre en commun cette expertise et l’argent qui l’accompagne. Jouons dans le même carré de sable, ce sera bénéfique pour tout le monde, car nous allons multiplier nos capacités de traitement et de recherche.Vous attribuez un rôle majeur aux médecins de famille vis-à-vis de la maladie.La première ligne devra apprendre à faire l’évaluation, à poser le diagnostic et à instaurer les traitements. Nous proposons de commencer par les GMF pour implanter notre proposition de prise en charge de la maladie suivant l’approche de la maladie chronique. L’infirmière pivot Alzheimer que nous suggérons est très importante, car les médecins seuls ne pourront pas faire ce travail.Que devrait-on faire pour inciter les médecins à assurer une prise en charge des personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer ?La maladie d’Alzheimer est considérée comme une maladie neurologique. Ce que nous disons au ministre, c’est qu’il faut la désigner clairement comme une maladie chronique afin d’avoir droit à la rétribution versée pour le suivi des maladies chroniques.Vous insistez également sur l’importance de la deuxième ligne.Si on veut que la première ligne prenne en charge la maladie d’Alzheimer, elle doit savoir qu’en cas de problème, il y aura une ressource pour l’aider et qu’elle sera facile d’accès. Le médecin de GMF doit être appuyé par une deuxième ligne, notamment par des cliniques de cognition. Actuellement, de telles cliniques opèrent en troisième ligne. Elles n’ont généralement pas un débit qui permet de répondre rapidement aux médecins de première ligne.Quelles sont les conditions pour en arriver à des cliniques de cognition de deuxième ligne ?Il faudra notamment travailler sur le mode de rémunération des neurologues. Certains neurologues aimeraient faire de la cognition en deuxième ligne, mais ils mourront de faim s’ils font beaucoup de travail avec des patients d’Alzheimer. Il faut donc ajuster le mode de rémunération afin de créer un incitatif.Vous faites état, dans votre rapport, de cas de patients qui sont surdiagnostiqués.Ça existe. Certains individus ont des problèmes de mémoire bénins et on leur dit qu’ils souffrent de la maladie d’Alzheimer. Toutefois, le grand problème n’est pas le surdiagnostic, mais le sous-diagnostic. Les médecins ne sont pas seuls en cause. On dit aux gens qui commencent à éprouver des problèmes : « C’est normal pour votre âge. » Ils ne se feront pas diagnostiquer ni traiter.C’est ce qui vous conduit à parler de défaitisme vis-à-vis de la maladie ?Cette attitude s’exprime par des réflexions du genre : « Il n’y a rien à faire, c’est une maladie de vieux, ça fait partie du vieillissement. » Or, on commence à comprendre qu’il y a quelque chose à faire en matière de promotion de la santé et de la prévention par la nutrition, l’exercice et la prévention des maladies cardiovasculaires.Vous faites état de la question de la douleur chez les individus atteints de la maladie d’Alzheimer, douleur qui est mal mesurée parce que ces patients ne sont plus en mesure de l’exprimer.On parle ici d’un stade plus avancé de la maladie. Il y a des actions à entreprendre pour la fin de vie. Il faut travailler afin de former des intervenants qui reconnaissent des signes de la présence de douleur. On peut utiliser certains outils qui nous permettront d’avoir un niveau de suspicion plus élevé.Selon vous, certains médecins ne se réfèrent pas assez aux guides de pratique vis-à-vis de la maladie d’Alzheimer.Les guides de pratique ne peuvent pas être de type one size fits all parce qu’il existe des guides pour différents niveaux de maladie. C’est la raison pour laquelle nous disons qu’il faut mettre rapidement sur pied un groupe d’experts pour concevoir de bons guides à l’intention des médecins.Retour au Dossier - Plus de ressources pour la maladie d’Alzheimer

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