Ententes d’inscription de médicaments prévues au PL 28: quel impact pour les pharmaciens?

Le 26 novembre 2014, le ministre des Finances, M. Carlos J. Leitão, a présenté à l’Assemblée nationale le projet de loi n°28, intitulé Loi concernant principalement la mise en œuvre de certaines dispositions du discours sur le budget du 4 juin 2014 et visant le retour à l’équilibre budgétaire en 2015-20161.Outre donner au ministre de la Santé le pouvoir d’établir et de modifier, sans avoir obtenu d’entente avec l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires, les conditions et modalités de rémunération pour certains actes2, ce projet de loi prévoit d’importantes modifications concernant le remboursement et le prix des médicaments au Québec.En effet, le projet de loi n°28 donne au ministre de la Santé le pouvoir de conclure des ententes d’inscription de médicaments avec les fabricants avant d’inscrire ceux-ci à la liste des médicaments assurés dans le cadre du régime général d’assurance médicaments et à la liste des médicaments fournis en établissement.Selon le libellé du projet de loi, ces ententes auraient pour objet «le versement de sommes par le fabricant au Ministre au moyen notamment d’une ristourne ou d’un rabais qui peut varier en fonction du volume de vente du médicament»3.Le prix du médicament indiqué sur la liste ou au contrat d’approvisionnement le cas échéant, ne tiendrait pas compte des sommes versées en application de l’entente d’inscription.Les sommes reçues en application de telles ententes seraient versées au Fonds de l'assurance médicaments ou au ou Fonds de financement des établissements de santé et de services sociaux, selon que le médicament est inscrit à la liste des médicaments assurés dans le cadre du régime général d’assurance médicaments ou à la liste des médicaments fournis en établissement.Quels sont les buts recherchés par l’introduction de ces ententes, et quel sera l’impact sur les pharmaciens?Processus d’évaluation des médicaments et ententes d’inscription Au Québec, c’est l’Institut national d'excellence en santé et en services sociaux (INESSS)4 qui évalue les demandes d’inscription de médicaments aux listes. Pour ce faire, l’INESSS considère la valeur thérapeutique du médicament, la justesse du prix, le rapport entre le coût et l'efficacité et les conséquences de l'inscription à la liste sur la santé de la population et sur les autres composantes du système de santé5.L’évaluation d’une demande d’inscription aux listes étant généralement effectuée peu après l’obtention de l’avis de conformité de Santé Canada, les données disponibles sont parfois insuffisantes pour appuyer une décision concernant le remboursement d’un médicament6.Plusieurs incertitudes peuvent ainsi subsister par rapport à un médicament, par exemple quant à ses bénéfices cliniques, à l’étendue de son utilisation dans la population suivant l’introduction ou à l’impact de son remboursement sur les autres composantes du système de santé. De plus, pour certains motifs commerciaux7, un fabricant peut être réticent à afficher le prix «réel» auquel il accepte de vendre un médicament à un payeur.Les ententes d’inscription de médicaments, encore peu connues dans le contexte québécois, sont utilisées depuis bon nombre d’années par les assureurs publics de plusieurs provinces et territoires canadiens, ainsi que de nombreux pays.Celles-ci ont l’avantage de pouvoir réduire le risque lié à certaines des incertitudes subsistant quant au médicament, et d’ainsi permettre, pour les patients, un accès rapide aux nouveaux médicaments prometteurs selon des modalités jugées acceptables du point de vue de l’assureur, ou de simplement permettre au fabricant de donner un «rabais» sur le prix officiel apparaissant sur les listes de médicaments.Il existe deux grandes catégories d’ententes d’inscription de médicaments:(1) Les ententes basées sur des considérations strictement financières;(2) Les ententes basées sur des considérations cliniques8.Alors que le premier type ne prévoit généralement qu’une certaine ristourne selon le volume de vente de médicaments, le deuxième type est particulièrement intéressant, en ce qu’il peut permettre de moduler le remboursement d’un médicament en fonction de l’atteinte de certains résultats cliniques.C’est dans le cadre du Projet pilote sur l’évaluation de quatre médicaments anticancéreux9, effectué en 2012, que l’INESSS a proposé pour la première fois l’utilisation des ententes d’inscription pour trois médicaments.Alors que l’INESSS a recommandé la conclusion d’ententes basées sur des considérations strictement financières pour deux des quatre médicaments réévalués, il a également recommandé, pour l’Afinitor, la conclusion d’une entente basée sur des considérations cliniques, soit une entente de couverture avec développement de la preuve. L’INESSS a motivé sa décision de la manière suivante:« Il appert important que les patients aient accès à des thérapies prometteuses, et que soit assuré le développement d’une recherche évaluative concertée, rigoureuse et transparente, ce que ne permet pas le remboursement actuel avec la mesure du patient d’exception. Ces considérations amènent les membres à envisager une inscription à la section des médicaments d’exception selon un critère qui reste à établir et à prévoir un programme de développement de la preuve à l’aide de recherches évaluatives encadrées, lequel est conforme aux valeurs d’équité (prise en charge des patients vulnérables), de justice (utilisation efficiente des ressources), ainsi que de transparence, de rigueur et d’excellence. Ce programme de développement de la preuve doit être accompagné d’une entente de partage de risques financiers puisque, avec les données actuelles, le prix demandé par le fabricant apparaît trop élevé.»10Malgré les recommandations formulées par l’INESSS, le projet de loi 28 n’autorise que la conclusion d’ententes ayant pour objet le versement de sommes par le fabricant au Ministre au moyen notamment d’une ristourne ou d’un rabais qui peut varier en fonction du volume de vente du médicament, soit des ententes basées strictement sur des considérations financières.Un impact sur les pharmaciens?Les rabais et ristournes faisant l’objet des ententes d’inscription de médicaments sont généralement strictement confidentiels. Le projet de loi n°28 prévoit d’ailleurs une série de mesures permettant de conserver cette confidentialité quant au prix réel négocié.Les ententes d’inscription de médicaments, telles qu’elles seraient autorisées dans la version actuelle du projet de loi, devraient avoir très peu d’impact sur la pratique des pharmaciens, tant en milieu communautaire qu’en établissement.Page 1/2Toutefois, advenant la modification du projet de loi n°28 de manière à permettre la conclusion d’ententes basées sur des considérations cliniques, les pharmaciens pourraient être amenés à jouer un rôle dans l’opérationnalisation de certaines de ces ententes, notamment dans la collecte de données cliniques11.Il est également à noter qu’en établissement, le rôle des chefs de département de pharmacie et des comités de pharmacologie relativement au choix de fournir ou non un médicament risque de se compliquer. Ceux-ci, n’ayant pas accès au prix négocié à l’entente, devront se baser sur un prix «fictif» au moment d’évaluer l’opportunité de fournir un médicament aux patients.De plus, les établissements ne bénéficieront pas directement des rabais négociés, les sommes versées au Fonds de financement des établissements de santé et de services sociaux étant distribuées à la discrétion du ministre de la Santé, et non selon le volume de médicaments fournis par un établissement.Il reste encore de nombreuses étapes avant l’entrée en vigueur des dispositions portant sur les ententes d’inscription de médicaments. La majorité des intervenants semblent toutefois en faveur de l’utilisation de ce nouveau mécanisme, qui a le potentiel de permettre un accès plus rapide aux médicaments et de générer des économies substantielles.Il sera intéressant de suivre, dans les prochains mois, les modifications qui seront apportées au projet de loi n°28, ainsi que la manière dont le processus de négociation des prix sera arrimé à l’INESSS.*François Noël, LL.B., M.S.V.D., avocat - Fernet Avocats 1. Projet de loi n°28, 41e législature, 1re session.2. Projet de loi n°28, art. 180.3. Projet de loi n°28, art. 173 et 179.4. Loi sur les services de santé et les services sociaux, L.R.Q. c. S-4.2, art 116 et Loi sur l’assurance médicaments, L.R.Q. c. A-29.01, art. 60.5. Loi sur l’Institut national d'excellence en santé et en services sociaux, L.R.Q., c. I-13.03, art.7.6. John Hutton, Paul Trueman, et Christopher Henshal, “Coverage with evidence development: An examination of conceptual and policy issues” (2007) 23 International Journal of Technology Assessment in Health Care 425, 427.7. Plusieurs fabricants seraient réticents à vendre à un prix officiel plus bas, notamment en raison de l’utilisation du test de «prix de référence international» par plusieurs juridictions afin de vérifier que le prix d’un médicament n’est pas excessif. Voir à ce sujet Panos Kanavos, Elena Nicod, Jaime Espin et Stacey Van Den Aardweg, Short- and Long-Term Effects of Value-Based Pricing vs. External Price Referencing, EmiNet, janvier 2010, p.66.8. Josh J. Carlson, Sean D. Sullivan, Louis P. Garrison, Peter J. Neumann et David L. Veenstra, “Linking payment to health outcomes: A taxonomy and examination of performance-based reimbursement schemes between healthcare payers and manufacturers”, (2010) 96-3 Health Policy 179, 180.9. Institut national en excellence de la santé et des services sociaux, Projet pilote sur l'évaluation de quatre médicaments anticancéreux, Québec, 2012.10. INESSS, Projet pilote sur l'évaluation de quatre médicaments anticancéreux, p.12.11. En Angleterre, certains pharmaciens ont eu un certain rôle à jouer relativement à la collection de données cliniques et à la gestion d’ententes d’inscription de médicaments. Voir à ce sujet Steve Williamson et David Thomson, “Report into the Uptake of Patient Access Schemes in the NHS”(2010) Clinical Pharmacist Forum.Page 2/2

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