En collaboration | Le rôle élargi des diététistes-nutritionnistes

IntroductionDepuis l’adoption de la Loi des diététistes du Québec en 1956, la profession de diététiste-nutritionniste a considérablement évolué dans la province1. Quelques-uns de ces moments marquants sont, en 2002, l’adoption de la loi 90 qui précise le cadre réglementaire de la profession par un champ d’exercice actualisé et des activités réservées et, entre 2018 et 2022, l’autorisation par le Collège des médecins du Québec (CMQ) à effectuer de nouvelles activités pour les quelque 3450 membres de l’Ordre des diététistes-nutritionnistes du Québec (ODNQ). Aujourd’hui, notamment dans le cadre du Chantier pour l’élargissement des pratiques professionnelles, l’ODNQ continue de travailler étroitement avec l’appareil ministériel et les autres ordres en santé dans le but d’améliorer l’expérience patient et de rendre plus efficace la collaboration interprofessionnelle.Champ d’exercice et secteurs d’activitésLe champ d’exercice des diététistes-nutritionnistes, défini par le Code des professions, consiste à évaluer l’état nutritionnel d’une personne et à déterminer et mettre en œuvre une stratégie d’intervention visant à adapter l’alimentation en fonction des besoins pour maintenir ou rétablir la santé2.Actuellement, près de 70% des membres de l’ODNQ exercent dans le secteur de la nutrition clinique, tandis que d’autres secteurs tels que la santé publique, la gestion des services alimentaires, les industries agroalimentaire et biopharmaceutique, les communications, l’enseignement et la recherche sont également représentés.Au Québec, les titres réservés «diététiste» et «nutritionniste» désignent une même formation initiale et profession. À la discrétion des membres, il est possible d’utiliser l’un ou l’autre des titres, ou les deux titres unis par le trait d’union. Il est crucial de noter qu’en nutrition, les titres et activités réservés varient d’une juridiction à l’autre. Le titre «nutritionniste» est rarement réservé. Ainsi, mieux vaut vérifier la validité des informations nutritionnelles provenant de sources hors Québec avant de les transmettre aux patients.Milieux de pratiqueEn nutrition clinique, les diététistes-nutritionnistes du Québec travaillent aussi bien dans le réseau de la santé que dans des cabinets privés. Étant donné que la nutrition joue un rôle essentiel auprès des individus de tous âges et dans le traitement médical de la vaste majorité des conditions cliniques, les diététistes-nutritionnistes peuvent intervenir dans divers établissements de santé et équipes de soins.Activités cliniques réservées et autoriséesActivités cliniques réservéesLe Code des professions réserve aux diététistes-nutritionnistes les activités suivantes :Déterminer le plan de traitement nutritionnel, incluant la voie d’alimentation appropriée, lorsqu’une ordonnance individuelle indique que la nutrition constitue un facteur déterminant du traitement de la maladie;Surveiller l’état nutritionnel des personnes dont le plan de traitement nutritionnel a été déterminé.La thérapie nutritionnelle est efficace pour la prévention, la gestion ou le traitement de plusieurs conditions cliniques, dont :Allergies et intolérances alimentairesCancersChirurgie (évaluation pré-opératoire et suivis post-opératoires)Dénutrition et carences nutritionnellesDiabète et dysglycémieDysphagieMaladies cardiovasculaires, hypertension et dyslipidémieMaladies rénalesMaladies et conditions gastro-intestinales (reflux gastro-œsophagien, gastroparésie, syndrome de l’intestin irritable, etc.)Périnatalité (grossesse, allaitement, etc.)Sélectivité alimentaireTroubles de conduite alimentaireActivités cliniques autoriséesEn 2018 et en 2022, le CMQ a autorisé, sous certaines conditions et modalités, de nouvelles activités cliniques en vertu du Règlement sur certaines activités professionnelles qui peuvent être exercées par des diététistes3. Ces activités sont :Prescrire des formules nutritives, des micronutriments, des macronutriments et des solutions d’enzymes pancréatiques servant à rétablir la fonctionnalité du tube d’alimentation;Administrer des médicaments ou d’autres substances, par voie orale ou entérale;Prescrire des analyses de laboratoire;Ajuster l’insuline et les antidiabétiques;Procéder au retrait définitif d’un tube d’alimentation.Ces activités autorisées peuvent être exercées en présence d’un diagnostic, d’un problème nutritionnel ou à titre préventif.En complément, les membres de l’ODNQ peuvent prescrire le matériel d’alimentation entérale et de suivi de la glycémie.Cela permet d’accomplir l’entièreté du traitement nutritionnel sans avoir à monopoliser inutilement les autres intervenants de l’équipe soignante. En tout temps, ces activités doivent être exercées en continuité avec le champ d’expertise et sa finalité. Par exemple, il serait impossible pour les diététistes-nutritionnistes de prescrire un supplément d’iode en contexte d’hypothyroïdie puisque cela ne relève pas de leur champ d’exercice.Les diététistes-nutritionnistes qui détiennent le droit de prescrire sont pleinement responsables de leurs prescriptions et du suivi qui en découle. Lorsqu’une analyse est prescrite, les membres de l’ODNQ doivent y donner suite de façon appropriée et en temps opportun. Par exemple, si le résultat indique une valeur critique, les diététistes-nutritionnistes doivent être en mesure de gérer la prise en charge requise par un corridor prédéterminé de service, et ce, dans des délais appropriés. Une personne répondante doit être nommée afin de prendre en charge les valeurs critiques en leur absence.Également, les membres de l’ODNQ doivent continuer de prôner la collaboration interprofessionnelle et une communication concertée. Le respect mutuel des compétences est la clé d’une prise en charge efficace, sécuritaire et de qualité pour la population.Critères pour l’exercice des activités autoriséesPour pouvoir exercer les activités auto-risées, les membres de l’ODNQ doivent exercer dans le secteur de la nutrition clinique. Ils doivent aussi réussir une formation de 19,5 heures dispensée par l’Ordre. Ils doivent se faire attribuer un numéro de prescripteur par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). Finalement, ils doivent recevoir une ordonnance écrite ou verbale stipulant que la nutrition constitue un facteur déterminant du traitement de la maladie (référence en nutrition par un(e) médecin ou un(e) IPS.À ce jour (5 décembre 2023), 1433 diététistes-nutritionnistes sur 2300 œuvrant en nutrition clinique (62%) ont le droit de prescrire et 101 (4%) sont autorisées à retirer le tube d’alimentation. Cependant, en plus de l’autorisation de l’ODNQ, la présence d’une ordonnance du médecin ou de l’IPS est nécessaire pour exercer ces activités, créant un accès iniquitable aux soins pour le patient. Ainsi, il demeure impossible pour le ou la diététiste-nutritionniste autorisé(e) à prescrire d’ajuster l’insuline à la baisse lors de la réduction de l’apport en glucides d’une personne vivant avec le diabète lorsque celle-ci est adressée par une personne autre que la ou le médecin/IPS, par exemple l’infirmier(ère) de soins en diabète. L’ODNQ travaille activement avec le CMQ pour corriger la situation et lever cette barrière administrative à l’accès aux soins.Également, il est désormais possible pour les diététistes-nutritionnistes de signer le formulaire «Attestation d’une personne agissant à titre de proche aidant» de la CNESST. Cela est notamment facilitant pour les personnes qui reçoivent des soins à domicile, notamment la nutrition entérale, et pour lesquelles les diététistes-nutritionnistes agissent comme intervenant(e) pivot.Autres activités cliniques envisagéesEn consultant le public, les membres et les autres professionnel(le)s de la santé, l’ODNQ a identifié d’autres activités cliniques à développer. Notamment, dans le cadre du Chantier pour l’élargissement des pratiques professionnelles, une demande déposée conjointement avec l’Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec et l’Ordre des ergothérapeutes du Québec vise à explorer la possibilité pour ces professionnel(le)s de prescrire des examens en lien avec l’évaluation de la dysphagie.Quand diriger un patient vers un(e) diététiste-nutritionniste ?La majorité des ordonnances rédigées à l’endroit des diététistes-nutritionnistes visent actuellement la perte de poids. Il importe toutefois de mettre de l’avant que, en l’absence de perte de poids, la nutrition fait partie du traitement d’une maladie ou du soutien pré/post chirurgie et que l’adoption de saines habitudes alimentaires contribue à réduire le risque de maladies chroniques et de certains cancers.Également, l’utilisation de la médication qui induit la perte de poids est un outil supplémentaire dans l’arsenal des professionnel(le)s de la santé qui ne doit pas se substituer aux interventions en saines habitudes de vie. Notamment, l’accompagnement nutritionnel en complément de la prescription du sémaglutide permet de :Envoyer le message que les saines habitudes alimentaires présentent des bénéfices indépendants à la perte de poids;Atténuer les effets indésirables tels que les nausées et les vomissements;Minimiser le risque de dénutrition ou de déshydratation;Augmenter l’adhésion et l’efficacité du traitement.Défis à la collaboration et pistes de solutionBien que la majorité des professionnel(le)s reconnaissent la plus-value de travailler en collaboration avec les diététistes-nutritionnistes au sein de l’équipe soignante des défis persistent et entravent l’efficacité de cette collaboration, notamment :Connaissance limitée de la profession par le public et les professionnel(le)s : faire connaître la profession, notamment que le rôle des diététistes-nutritionnistes ne consiste pas à élaborer des menus; il contribue non seulement à accroître l’intérêt du public pour les services nutritionnels, mais également à améliorer la satisfaction envers ceux-ci.Manque de données sur la malnutrition dans le réseau de la santé : l’absence de données compilées sur la malnutrition dans le réseau de la santé pose un défi majeur. Des études révèlent qu’au Canada, jusqu’à la moitié des usagers admis dans les hôpitaux sont atteints de malnutrition. Ce problème qui, souvent, n’est pas détecté, diagnostiqué, ou traité entraîne des effets délétères sur la qualité de vie des patient(e)s, leur rétablissement ainsi que sur l’ensemble du réseau. Des solutions relativement simples existent. D’abord, l’adoption de la Norme nationale du Canada Prévention, détection et traitement de la malnutrition (CAN/HSO 5066:2021)4. Ensuite, le dépistage systématique du risque nutritionnel à l’aide d’un court questionnaire validé5 complété par le personnel lors de l’admission permettrait de brosser un portrait de la situation actuelle au Québec en plus d’utiliser de façon plus pertinente et efficace les diététistes-nutritionnistes.Le faible ratio des effectifs et la répartition inégale des diététistes-nutritionnistes dans le réseau de la santé : le nombre insuffisant de diététistes-nutritionnistes dans le réseau de la santé entrave l’accès aux soins nutri-tionnels. Cette situation est exacerbée par la réticence de quelques médecins à adresser leurs patients en nutrition de peur d’allonger les listes d’attente. Il est impératif de promouvoir les références lorsque la condition des patient(e)s le nécessite puisque c’est selon la demande de service que sont attribuées les ressources.Manque de soutien au déploiement des activités professionnelles : le déploiement des activités professionnelles nécessite une compréhension approfondie des procédures au sein des établissements de santé, et de nombreux diététistes-nutritionnistes recherchent activement un soutien, surtout dans les établissements de santé où leur représentation est limitée dans les rôles de conseil-cadre.Formation graduelle des membres pour les activités autorisées : l’ensemble des diététistes-nutritionnistes n’a pas suivi à ce jour les formations en lien avec les activités autorisées. Cela peut engendrer des disparités dans la capacité à exercer toutes les activités autorisées dans certains milieux. En période de transition, un soutien accru des milieux de soins, notamment le fait que certains établissements de santé exigent que les diététistes-nutritionnistes puissent exercer les activités autorisées, peut accélérer cette transition vers une compétence uniforme.Condition d’ordonnance limitant l’accès aux activités autorisées : la nécessité d’une ordonnance pour exercer certaines activités autorisées crée un obstacle à la prestation de soins, générant parfois de la confusion au sein de l’équipe soignante et entraînant des délais de traitement. L’ODNQ travaille en collaboration étroite avec le CMQ pour corriger la situation et lever cette barrière administrative à l’accès aux soinsSurmonter ces obstacles nécessite une collaboration continue. Une approche interdisciplinaire efficace favorise une prise en charge optimale de la patientèle. L’amélioration de la visibilité de la profession, l’accroissement du nombre de diététistes-nutritionnistes, le renforcement du soutien au déploiement des activités professionnelles, et la simplification des procédures administratives contribueront à optimiser la qualité de vie des Québécoises et Québécois.ConclusionL’extension des compétences des diététistes-nutritionnistes offre une opportunité significative de renforcer la collaboration avec les médecins, amenant ainsi des bénéfices considérables tant du point de vue des résultats cliniques optimisés que de l’amélioration de la qualité de vie des patients. Malgré les défis actuels, surmonter ces obstacles nécessite une collaboration continue entre les professions médicales, favorisant une approche intégrée qui promet un avenir prometteur et stimulant pour la santé de la population. RéférencesOrdre des diététistes-nutritionnistes du Québec. Histoire de la profession. Disponible en ligne.Office des professions du Québec. Code des professions, c. C-26, a. 37 c), Disponible en ligne.Office des professions du Québec. Règlement sur certaines activités professionnelles qui peuvent être exercées par des diététistes. Disponible en ligne.Groupe de travail canadien sur la malnutrition. Norme nationale du Canada Prévention, détection et traitement de la malnutrition. Disponible en ligne.Groupe de travail canadien sur la malnutrition. Dépistage. Disponible en ligne.

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