Désaffiliation de la RAMQ: Santé Québec désavouée en cour

La Cour supérieure lance un pavé dans la mare de Santé Québec. Elle vient d'accorder une injonction provisoire à une chirurgienne pour lui permettre d'aller pratiquer au privé. Ce jugement, rendu le 26 septembre, constitue un premier test de la nouvelle loi 83 encadrant les allers-retours des médecins entre le réseau public de la santé et le secteur privé. Jusqu’alors, un simple avis à la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) leur permettait de se désaffilier puis de revenir quelques semaines plus tard pratiquer au public, jusqu’à neuf fois par an. Désormais, tout départ vers le privé doit être autorisé par Santé Québec, qui applique une grille d’analyse centrée sur la capacité du réseau public à absorber ledit départ et sur les risques pour l’accessibilité des soins.Les critères retenus sont stricts:la présence d'un nombre suffisant de médecins dans les établissements publics de la région du médecin qui présente la demande de désaffiliation;l'absence de conséquences négatives pour les patients de sa région;l'incapacité du réseau public de mettre à contribution ce médecin dans les établissements de sa région.C’est en vertu de ces dispositions que, le 9 septembre, Santé Québec a refusé la demande de désaffiliation de la Dre Caroline Doyon, chirurgienne générale spécialisée en proctologie, qui pratique dans le Bas-Saint-Laurent, à Montréal et dans les Laurentides. La médecin a contesté cette décision devant les tribunaux, car elle estime que la société d’État «brime les droits et libertés» des médecins comme des patients, selon le témoignage exclusif qu’elle a accordé à Profession Santé (à lire en bas de page). Dans son jugement, la Cour supérieure estime que la décision de Santé Québec repose «sur une application trop mécanique des données recueillies» et ne tient pas compte «des particularités du cas de la demanderesse». Le juge Mark Phillips souligne que la Dre Doyon suit depuis plusieurs années une clientèle vulnérable souffrant de pathologies graves, dans un modèle de pratique surspécialisée nécessitant un soutien technique spécifique.Sur le même sujet: Des va-et-vient entre réseau public et secteur privé se poursuivent Le juge rappelle que le pouvoir discrétionnaire confié à Santé Québec ne peut être «encarcané par des règles internes» qu’elle s’impose ni appliqué de façon abstraite. Or, selon la preuve entendue, aucune des trois régions concernées – Bas-Saint-Laurent, Montréal, Laurentides – n’offrait à court terme d’opportunités réalistes permettant à la chirurgienne d’opérer dans le réseau public. Le tribunal insiste aussi sur la situation personnelle de la médecin, mère deux enfants dont un présente des besoins particuliers, «pour lesquels elle est seule pourvoyeuse», et sur le fait que ses patients nécessitent des soins immédiats. Il précise que plusieurs interventions prévues cet automne concernaient des cas où le pronostic vital était compromis, écartant l’idée d’une urgence fabriquée et soulignant qu’il serait injustifié de retourner contre elle ses obligations déontologiques en matière de suivi.«L’appréciation des issues raisonnables possibles doit écarter une solution qui aurait pour effet de mettre une professionnelle de la santé précipitamment devant le néant», écrit le juge. À défaut d’injonction, la Dre Doyon et sa clientèle auraient subi «un préjudice sérieux ou irréparable».Or le juge Phillips rappelle que l’objectif de la loi «demeure la prestation de services médicaux et de soins de santé aux usagers, dans le cadre d’un régime qui continue à permettre la pratique par des professionnels non participants». Selon lui, «l’intérêt public milite en faveur du maintien d’un certain statu quo dans la pratique de la (Dre Doyon) qui ne se trouve pas à vouloir démarrer une nouvelle façon de faire motivée par l’appât du gain», souligne le magistrat.En conséquence, la Cour a ordonné à Santé Québec de lui «octroyer provisoirement le statut de médecin non participant» le temps de statuer au fond sur la légalité du refus.Lire aussi: L’interdiction de la médecine privée obtient un faible soutienCraintes confirméesCette décision, bien que provisoire, crée un précédent et illustre les zones d’ombre qu’avait dénoncées la Fédération des médecins en pratique privée du Québec (FMPPQ) lors de l’étude du projet de loi en commission parlementaire. Son président, le Dr Pascal-André Vendittoli, observe que «le juge (Phillips) a reconnu tout ce qu’on mentionne depuis l’adoption de la loi 83». Selon lui, il existe plusieurs façons d’appliquer les dispositions de cette loi et «Santé Québec l’applique sans discernement et sans tenir compte des particularités des médecins et des impératifs de leurs pratiques. Ça en devient discriminatoire.» En l'occurrence, le président de la FMPPQ constate que la décision de la Cour supérieure établit que l’analyse de la société d’État a été «très sommaire» et qu’elle a «écarté des éléments importants propres à la pratique de la Dre Doyon». Le Dr Vendittoli mentionne avoir proposé à Santé Québec certaines modalités pour éviter ces problèmes d’interprétation de la loi. «Si on veut maximiser l'accès aux soins pour la population québécoise, on doit optimiser le temps de travail des médecins au public et au privé, tout en s’assurant qu’un médecin qui veut pratiquer au privé ne coupe pas dans ses activités au public», explique le chirurgien orthopédiste. Il imagine que le clinicien pourrait ainsi établir un plan de travail sur plusieurs mois en articulant ses pratiques au public et au privé. Plan qu’il soumettrait ensuite pour validation au chef de département de l'hôpital public où il travaille. «C’est la meilleure façon de permettre à un médecin d’exercer au maximum de ses possibilités», soutient le président de la FMPPQ. «Beaucoup de médecins, notamment les chirurgiens, sont sous-utilisés au public», ajoute-t-il, convaincu que la pratique privée peut être «complémentaire au public et peut soulager le réseau de la santé».Santé Québec a refusé de commenter le dossier, «puisque les procédures judiciaires sont toujours en cours».Quoi qu’il en soit, l’«affaire Doyon» pourrait annoncer d’autres contestations de décisions prises par la société d’État à l’encontre de médecins souhaitant se désaffilier de la RAMQ.

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