Des outils en préparation - Plusieurs cliniciens ignorent l’existence de maladies à effet fondateur dans leur région

Tous les principaux experts rencontrés par L’actualité médicale, à savoir les Drs Bernard Brais, Guy Rouleau, Anne-Marie Laberge et Jean Mathieu, sont d’avis que les omnipraticiens et les spécialistes exerçant ou sur le point d’exercer dans une région où l’existence de maladies spécifiques est établie devraient posséder des connaissances sur ces pathologies, afin de reconnaître les cas porteurs, même s’ils sont, ou seront, très rares durant leur carrière. En effet, plusieurs cliniciens ignorent encore l’existence de maladies à effet fondateur dans leur région, ou ne savent pas les déceler.«Un médecin qui exerce dans une région devrait reconnaître les maladies propres à cette dernière. Cela a des implications pour le bien-être du patient et le devenir de la famille. Aucun médecin n’en verra beaucoup dans sa pratique, mais il doit savoir ce qu’il en est », estime le Dr Guy Rouleau, neurologue, généticien et directeur du Réseau de médecine génétique appliquée du Québec. Le laboratoire montréalais du Dr Rouleau, où travaille une quarantaine de chercheurs, s’active sur au moins huit maladies à caractère régional et a découvert les gènes de plusieurs d’entre elles.« En dehors de Charlevoix-Saguenay et de quelques spécialistes, la perception que des gens souffrent de maladies rares dans les régions ne s’est pas rendue jusqu’aux praticiens ni dans les urgences », observe son collègue Bernard Bais.Mais où peuvent-ils s’informer à leur sujet en l’absence de formation spécifique et d’expertise de pratique générale sur les maladies régionales et de registre national ? « Existe-t-il un moyen plus facile qu’un autre pour un médecin qui s’apprête à exercer dans une région de savoir s’il y a des maladies régionales ? La réponse est non », reconnaît le Dr Brais, qui reçoit chaque année beaucoup de nouveaux patients, adressés par d’autres médecins incapables de définir leur maladie. Ce neurologue clinicien et chercheur, l’une des références en matière de maladies régionales au Québec, est conscient qu’en l’absence de registre national, des médecins de première ligne peuvent être démunis devant certains cas. Son collègue de Jonquière, le neurologue Jean Mathieu, partage l’idée que les médecins de première ligne sont mal outillés pour faire face aux maladies régionales rares.À qui revient donc la responsabilité de former les médecins sur les maladies à effet fondateur et les maladies rares ? Aux facultés de médecine, ainsi qu’aux agences régionales, croit le Dr Guy Rouleau. Mais en 2012, très peu le font, et si elles donnent de la formation, c’est à très petite dose. Ainsi, la Dre Anne-Marie Laberge, spécialiste des maladies rares comme tous les médecins généticiens, donne une heure de formation sur la génétique médicale aux étudiants en médecine de l’Université de Montréal. Même s’il exerce à Jonquière, le neurologue Jean Mathieu est professeur agrégé à la faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke. La région du Saguenay forme 32 étudiants en médecine issus de cette faculté. Pourtant, ces étudiants ne reçoivent pas une seule heure de formation sur le sujet.« Il faudrait s’entendre pour qu’il y ait dans le programme une formation spécifique sur les maladies régionales, suggère le Dr Mathieu. Il ne faut pas donner une formation démesurée non plus, car les cas demeurent rares. Minimalement, deux à trois heures ne seraient pas un luxe. À Sherbrooke, il n’y a pas de sensibilité envers ces maladies. On a exporté leur programme au Saguenay sans l’adapter. »Responsabilité des expertsLe Dr Mathieu croit toutefois que la responsabilité de former les médecins au sujet des maladies régionales revient aux experts comme lui et que les patients doivent y jouer un rôle. « Le coffre à outils pour améliorer la prise en charge par les omnipraticiens fait partie de nos objectifs de recherche, résume-t-il. En tant qu’équipe surspécialisée, nous avons la connaissance nécessaire. Maintenant, il faut la diffuser. Si un omnipraticien rencontre une maladie rare une fois par an dans son cabinet, il me revient de lui donner de la formation. Il y a, parmi les maladies régionales, des maladies très compliquées. Les mécanismes de diffusion sont à inventer pour que nos futurs outils soient efficaces et adaptés à la clientèle cible. Il faut réfléchir avec les médecins, déterminer les informations pertinentes. Même principe pour les personnes en réadaptation. Les physios doivent avoir les bons outils afin d’améliorer la qualité des services. »L’une des idées évoquées par le directeur de la Clinique des maladies neuromusculaires de Jonquière serait que le patient atteint de maladie rare devienne le propre véhicule de formation de ses soignants, dont son médecin de famille. Exemple : lors de ses visites, il pourrait apporter une feuille indiquant ce qu’il conviendrait de faire dans son cas au sujet de sa maladie.L’un des défis sera d’assurer la pérennité de ces instruments quand ils auront été créés. Le Dr Brais a rencontré les intervenants dans Lanaudière il y a 10 ans afin de les former à la névrite sensitive, une maladie régionale prévalente. Mais depuis, la plupart d’entre eux sont partis, si bien que ses patients sont obligés de se battre contre le système et le personnel remplaçant.« Ils se font dire que leur maladie n’existe pas, qu’ils l’inventent, disent n’importe quoi, déplore le Dr Brais. La conscientisation disparaît avec le personnel qui s’en va. Les maladies à effet fondateur ne font pas suffisamment partie de la culture médicale régionale. »Lire la suite du dossier «Les maladies régionales»

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