Confidentialité du dossier d’enquête du syndic, un principe cardinal en droit disciplinaire

Le principe est pourtant bien établi et reconnu par les tribunaux : l’enquête du syndic est confidentielle et cette confidentialité perdure jusqu’au dépôt d’une plainte devant le Conseil de discipline. La confidentialité cède alors le pas au droit du professionnel à une défense pleine et entière, et à la divulgation de la preuve amassée dans le cadre de l’enquête. Mais existe-t-il des limites à cette confidentialité du dossier du syndic ? Dans la décision Boisvert c. Brisson1, la Cour d’appel a eu à se pencher sur la portée de ce principe. Les faits Membre de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ), M. Jerraf exerce sa profession au Centre hospitalier du Sacré-Cœur, au sein d’une unité offrant des soins en matière de santé mentale. En 2016, un préposé aux bénéficiaires le surprend en train d’avoir des relations sexuelles avec une patiente alors hospitalisée et placée sous ses soins. Le Bureau du syndic de l’OIIQ entreprend alors une enquête et la preuve recueillie permettra de découvrir que l’infirmier aurait eu des relations de nature sexuelle avec six patientes alors qu’il leur fournissait des services professionnels durant leur hospitalisation en milieu psychiatrique. Suivant le dépôt d’une plainte devant le Conseil de discipline, ce dernier le déclare coupable des infractions reprochées, ordonne la révocation de son permis d’exercice et lui impose des amendes. En parallèle au dossier disciplinaire s’ouvre une enquête menée par le service de police de la Ville de Montréal (SPVM) portant sur des dossiers d’agressions sexuelles qui auraient été commises sur deux patientes en psychiatrie dans le même centre hospitalier. Le suspect serait l’infirmier en question. Apprenant l’existence des procédures disciplinaires, l’enquêteur cherche alors à avoir accès au dossier de l’OIIQ afin notamment d’obtenir le nom des six patientes concernées. Pour ce faire, il obtient un mandat de perquisition auprès d’un juge de paix, mais le Bureau du syndic refuse de lui fournir les documents requis, invoquant ses obligations de confidentialité et les ordonnances de non-publication rendues par le Conseil de discipline lors de l’audition de la plainte. La syndique adjointe s’adresse ainsi à la Cour supérieure afin d’annuler le mandat de perquisition, ce que la Cour accordera. L’enquêteur du SPVM porte cette décision en appel. L’appel La question que devait trancher la Cour d’appel mettait en opposition deux objectifs visant la protection du public : «D’une part, la conduite d’une enquête criminelle en matière de crimes sexuels et, d’autre part, le droit à la vie privée des personnes formulant une dénonciation auprès du syndic d’un ordre professionnel et l’intégrité du processus disciplinaire2.» Ainsi, la Cour devait déterminer si les informations obtenues par la syndique de l’OIIQ dans le cadre de son enquête et surtout l’identité des patientes concernées devaient être communiquées au SPVM, alors que ces patientes pouvaient se fier à une totale confidentialité dans le cadre du processus disciplinaire et qu’elles avaient choisi de ne pas porter plainte à la police. La Cour, cherchant à déterminer si le dossier du syndic est sujet à un privilège qui militerait contre la délivrance d’un mandat de perquisition, applique le « test Wigmore », se résumant ainsi : «Premièrement, la communication doit avoir été transmise confidentiellement. Deuxièmement, le caractère confidentiel doit être essentiel aux rapports dans le cadre desquels la communication est transmise. Troisièmement, les rapports doivent être des rapports qui, dans l’intérêt public, devraient être “entretenus assidûment”. Finalement, […] le tribunal doit décider si l’intérêt qu’il y a à soustraire les communications à la divulgation l’emporte sur celui qu’il y a à découvrir la vérité et à bien trancher le litige3.» Après analyse, la Cour est d’avis que les critères sont remplis et qu’un privilège au «cas par cas» existe, l’intérêt à ne pas divulguer les informations l’emportant sur l’intérêt à découvrir la vérité. Elle réitère au passage l’importance de la confidentialité de l’enquête du syndic qui : «[…] favorise les dénonciations de professionnels, particulièrement en matière d’inconduite sexuelle, ce qui, ultimement, participe à l’objectif de protection du public par le contrôle de l’exercice de la profession4.» Confirmant la décision rendue par la Cour supérieure annulant le mandat de perquisition, la Cour d’appel tranche ainsi cette délicate question en faveur de la confidentialité des plaignantes, réitérant par le fait même l’importance du principe pour le droit disciplinaire. 1. 2020 QCCA 906. 2. Id., par. 2. 3. M. (A.) c. Ryan, [1997] 1 R.C.S. 157, p. 171. 4. Id., par. 71.

Confidentialité du dossier d’enquête du syndic, un principe cardinal en droit disciplinaire

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes