Cigarette électronique: « À court terme, c’est spectaculaire!» – Dr Martin Juneau

Une étude américaine publiée dans le JAMA Internal Medicine remet en cause l’efficacité de la cigarette électronique. La méthodologie de l’étude en question soulève cependant quelque doute.Pamela Ling, chercheuse spécialisée en tabacologie, et ses collègues de l’Université de Californie à San Francisco ont questionné à deux reprises près de 1000 personnes sur leurs habitudes tabagiques.Parmi leurs questions, une seule portait sur la cigarette électronique : « En dehors des cigarettes, avez-vous utilisé une cigarette électronique au cours des 30 derniers jours (au moins une fois) ? »En tout, 88 personnes ont répondu en novembre 2011 avoir déjà vapoté au cours du dernier mois. Un an plus tard, la chercheuse constate que le nombre de personnes qui ont arrêté de fumer ou ont réduit leur consommation de tabac n’est pas plus important chez les répondants qui ont eu recours à la cigarette électronique que chez les fumeurs de tabac.On ne sait pas quel genre de cigarette électronique avaient fumé les personnes en question (avec ou sans nicotine), ni pour quelles raisons elles avaient décidé de vapoter. Mais Pamela Ling a pourtant «trouvé qu’il n’y avait pas de différence dans le taux d’arrêt entre les fumeurs qui avaient utilisé une e-cigarette et ceux qui ne l’avaient pas fait». (1)Elle conclut son étude par ceci : « Nos données confortent l’idée selon laquelle les cigarettes électroniques n’augmenteraient pas le taux d’arrêt du tabac ».Des expériences terrain prometteusesAu Québec, on n’a pas encore d’études fiables sur l’aide réelle que les cigarettes électroniques peuvent apporter à ceux qui veulent arrêter de fumer. Peu de médecins y ont recours et ceux qui le font ont beau noter des résultats surprenants, ils reconnaissent ne pas avoir encore le recul nécessaire pour crier victoire.«Je ne sais pas ce que cela donnera à long terme, mais à court terme, c’est spectaculaire», affirme le Dr Martin Juneau, directeur de la prévention à l’Institut de cardiologie de Montréal et professeur agrégé de clinique à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. Ce qu’il voit dans son cabinet et autour de lui va en effet dans le sens contraire des résultats annoncés par Mme Ling.Le Dr Juneau est un des premiers médecins québécois à avoir reconnu sur la place publique qu’il recommandait la cigarette électronique à des patients fumeurs. Même s’ils ne sont pas les plus nombreux dans sa cohorte de patients du Centre Épic (Centre de médecine préventive et d’activité physique), le cardiologue reçoit chaque semaine au moins un fumeur réfractaire.Depuis mai dernier, il vérifie avec ces patients s’ils ont déjà essayé la cigarette électronique, et c’est souvent le cas. «Au moins un patient sur deux l’a essayée et cela n’a pas marché. Il l’a alors jetée, très déçu, explique le cardiologue. Mais c’est normal avec des modèles sans nicotine.»La cigarette électronique n’est pas non plus une recette miracle. Selon le Dr Juneau, il faut un cours d’introduction d’au moins 15 à 20 minutes pour bien choisir le modèle et la teneur en nicotine qui seront en mesure d’aider quelqu'un à se passer de tabac.Or, les médecins ne sont pas les meilleurs conseillers en la matière puisqu’ils connaissent peu les produits sur le marché. Il existe en effet toutes sortes de modèles, plus ou moins sophistiqués – certains permettent même d’ajuster la densité de la vapeur – et ce marché est en constante évolution.«Il faut trouver la bonne concentration et le bon modèle, précise le cardiologue, pour qui la boutique spécialisée La Vape Shop fait cela beaucoup mieux que les médecins. Ils connaissent leurs produits, et ils ont une communauté de vapoteurs qui s’échangent des tuyaux.»Au Centre Épic, son service a fait l’acquisition de deux modèles. Mais selon le Dr Philippe Presles, tabacologue français venu à Montréal plus tôt cette année présenter son livre La cigarette électronique, Enfin la méthode pour arrêter de fumer facilement, le Centre Épic auraient besoin d’au moins deux autres modèles. Les modèles choisis peuvent en effet répondre aux besoins des petits et moyens fumeurs, mais pas à ceux des gros fumeurs et encore moins à ceux des très gros fumeurs.Des fumeurs arrêtent le tabacDepuis le mois de mai 2013, le Dr Juneau a recommandé la cigarette électronique à une dizaine de patients en leur demandant de le recontacter pour faire un suivi plusieurs semaines après l’avoir essayée.«Jusqu’à présent, j’ai toujours eu la même réaction: ’’C’est fantastique ! Pourquoi personne ne m’a-t-il pas parlé de cela avant?’’ Je dirais que huit patients sur 10 ont arrêté de fumer grâce à cela ou ont réduit des trois quarts leur consommation de tabac», explique le spécialiste. Et il en va de même chez plusieurs de ses connaissances.Au-delà de ses patients, le cardiologue a parlé de la cigarette électronique à plusieurs collègues ou amis. Beaucoup de gens l’appellent en effet à ce sujet depuis qu’il s’est prononcé en sa faveur. Là encore, le médecin leur demande de lui donner des nouvelles s’ils tentent leur chance.«Ce n’est pas scientifique, bien sûr, mais personne jusqu’à maintenant ne m’a dit que ça ne valait rien. Tout le monde me remercie plutôt pour avoir réussi à arrêter de fumer ou avoir diminué sa consommation.»Même résultat du côté de Martine Robert, infirmière en cessation tabagique à l’Institut de cardiologie de Montréal, qui recommande la cigarette électronique avec nicotine à certains patients depuis environ un an.«Les patients qui l’ont utilisée régulièrement ont complètement arrêté de fumer; on parle de gens avec des histoires tabagiques de plus de 40 ans, avec une grosse consommation journalière, des gens découragés qui ont déjà fait de multiples tentatives, essayé toute la médication disponible et étaient persuadés qu’ils n’y arriveraient jamais», explique Martine Robert.Pour l’infirmière, la meilleure chose que peuvent faire les fumeurs est de cesser complètement de fumer, tant activement que passivement. C’est le seul moyen pour les fumeurs de «potentialiser leurs traitements, freiner l’évolution de leur maladie cardiaque et récupérer leur santé cardiovasculaire ainsi que leur qualité de vie et espérance de vie», a-t-elle déjà écrit dans un article sur la cigarette électronique dans Futura-Science. (2)Et le manque de preuves sur l’innocuité totale des cigarettes électroniques ne doit pas faire passer les médecins à côté de cette nouvelle option. Plusieurs études ont déjà démontré que leurs effets n’ont rien à voir avec les problèmes engendrés par le tabagisme.« Ce n’est pas la nicotine qui provoque les maladies, mais l’inhalation de la fumée de la cigarette », précise Martine Robert.Or, contrairement à la cigarette, sa version électronique ne libère ni monoxyde de carbone, ni particules solides, ni des quantités significatives de cancérogènes.Ce sont les goudrons qui sont responsables des cancers et des infarctus du myocarde, le monoxyde de carbone qui cause les AVC, les infarctus du myocarde et autres, et ce sont les particules fines qui entraînent les bronchopathies chroniques, les insuffisances respiratoires et des cancers des voies aériennes.Reste que l’utilisation prolongée de la cigarette électronique n’a pas été étudiée. Il est donc impossible pour les scientifiques de se prononcer sur ses effets. «Certes, nous manquons de preuves absolues sur la sécurité de la cigarette électronique, mais les preuves de nocivité absolue sont démontrées pour les cigarettes conventionnelles faites de tabac, et pourtant ces cigarettes sont en vente libre!», rappelle de son côté Martine Robert.Bref, de deux maux, autant choisir le moindre, d’autant qu'il n'est pas encore démontré que la cigarette électronique occasionne des effets indésirables toxiques.Un débat stérileEn attendant d’avoir des données sérieuses sur la question et le recul nécessaire sur les effets de la cigarette électronique dans le temps, le Dr Juneau compte demander la participation du magasin La Vape Shop pour mettre en place un registre de vapoteurs.«On aurait une liste de personnes de "la vraie vie". C’est beau les études randomisées, mais ce sont des patients hyper-sélectionnés et très suivis. Si La Vape Shop a 200 clients par semaine, ce serait intéressant de voir ce qui se passe dans la vraie vie, si ces clients réussissent dans 20%, 30% ou 80% des cas à arrêter de fumer », explique le cardiologue.Et cela permettrait peut-être d’avoir un débat plus calme sur les bienfaits ou les méfaits potentiels de la cigarette électronique. Pour le Dr Juneau, le débat est devenu trop émotif.«Je comprends la Santé publique. On déteste tellement l’industrie du tabac. Et c’est vrai qu’ils nous ont déjà fait le coup avec les cigarettes faibles en nicotine, mais le problème est qu’on fait un amalgame entre les compagnies de cigarettes et les cigarettes électroniques», précise le médecin.Une situation qui empêche certaines personnes de regarder objectivement les faits, selon lui. Le cardiologue a eu le même réflexe au départ, mais en se plongeant dans la littérature concernant les cigarettes électroniques, il dit avoir trouvé beaucoup de faits très rassurants.«Il faut être capable de sortir des émotions et regarder les faits», martèle le cardiologue, qui pense qu’il est important de le faire, même si l’on a peur que la cigarette électronique soit une porte d’entrée vers le tabac.«Il est vrai que les cigarettes électroniques attirent les jeunes, mais il s’agit d’un transfert du tabac vers sa version électronique et non pas l’inverse, selon les données les plus récentes. »Un médecin au service de la préventionLe 1er mai dernier, l’Institut de cardiologie de Montréal a célébré les 30 ans de carrière du Dr Martin Juneau. L’occasion de rappeler le travail réalisé par ce cardiologue et chercheur pour mettre de l’avant la prévention au Québec.Parmi ceux qui lui ont rendu hommage ce soir-là, Pierre Lavoie, fondateur du Grand Défi Pierre Lavoie, a souligné qu’il est LA personne la plus influente au Québec en matière de prévention.Il faut dire que le Dr Juneau encourage la population à adopter de saines habitudes de vie depuis les années 1980. Alors qu’au Québec on commençait à peine à parler des dangers du tabac, il est allé faire une formation en prévention aux États-Unis et s’est alors rendu compte des bienfaits de l’exercice et d’une alimentation santé, comme de l’importance de donner le bon exemple. «À l’Université Stanford, où je suivais ma formation, tout le monde était végétarien et personne ne fumait», a déjà raconté le Dr Juneau.Et c’est aussi par l’exemple qu’il prêche la bonne parole au Centre Épic, dont il est le directeur. Véritable laboratoire sur la prévention, le Centre compte des gymnases, une piste de course, une piscine, une salle d’entraînement, un bistro santé et une cuisine-école.Les recherches effectuées par le Dr Juneau dans le domaine de la prévention ont ainsi permis à l’ICM «de se positionner comme un leader incontesté de la prévention cardiovasculaire».1. Pour en savoir plus : http://bit.ly/1eHggOA2. Article consultable sur le site de l’ICM : http://bit.ly/1iTOnGn

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