Chirurgiens sous tension: les virtuoses du scalpel meurent plus jeunes que les autres médecins

Malgré leur prestige, leur rémunération élevée et leur bonne condition physique apparente, les chirurgiens américains ont un taux de mortalité significativement plus élevé que leurs collègues des autres spécialités médicales. C’est ce que révèle une étude transversale publiée dans le JAMA Surgery, qui s’est penchée sur les décès de médecins âgés de 25 à 74 ans aux États-Unis durant l’année 2023.En chiffres ajustés pour l’âge et le sexe, le taux de mortalité chez les chirurgiens était de 355 décès pour 100 000 personnes-années (IC à 95% 274,5 à 458,8), comparativement à 228 pour les médecins non-chirurgiens (IC à 95% 218,7 à 238,4) – soit un risque 1,56 plus élevé (IC à 95% 1,36 à 1,78) ou une surmortalité de 56%. Cette surmortalité est plus prononcée chez les hommes, mais elle est aussi significative chez les femmes chirurgiennes. «Il s’agit d’un écart important et cohérent à travers les sous-analyses», soulignent les auteurs qui reconnaissent que la cohorte étudiée comportait un nombre peu élevé de chirurgiens (224) comparé à celui des autres médecins (2740). Un ratio qui reflète toutefois la répartition des effectifs médicaux par spécialité, où les chirurgiens sont minoritaires.Une mortalité pas si «naturelle»L'étude, qui s’appuie sur des données du National Death Index américain, a également examiné les causes spécifiques de décès. Sans surprise, les maladies cardiovasculaires et les cancers demeurent les principales causes de mortalité dans les deux groupes, comme dans le reste de la population d’ailleurs. Mais chez les chirurgiens, les accidents – en particulier les accidents de la route – sont significativement plus fréquents.Selon les auteurs, cette surreprésentation pourrait s’expliquer par les longues heures de travail, les gardes nocturnes fréquentes et la fatigue chronique qui affectent les chirurgiens dès leur formation et tout au long de leur carrière. «Les exigences physiques et cognitives de la chirurgie, notamment les longues heures et les quarts de nuit, peuvent contribuer à des risques liés à la fatigue, dont les accidents de la route», notent-ils dans leur article.Autre observation: bien que leur mortalité soit plus élevée que celle des autres médecins, les chirurgiens ont un taux de décès inférieur à celui de la population active générale (environ 632 décès pour 100 000 personnes-années), ce qui relativise en partie le constat. En revanche, ce taux chez les chirurgiens est comparable à d’autres professionnels à revenu élevé, tels les avocats, les ingénieurs et les scientifiques (404,5 pour 100 000).Lire aussi: Des femmes en salle d'opération font toute la différence, dit une étudeLe revers du scalpelLes auteurs évoquent également des facteurs culturels: un culte de l’endurance, un rejet implicite de la vulnérabilité et un système qui valorise la performance individuelle au détriment de la santé personnelle. «La culture moderne de la chirurgie exige de la résilience, mais peut aussi décourager l’expression de la vulnérabilité et retarder les comportements de recherche d’aide», avancent les chercheurs. Ils ajoutent que le rythme de travail soutenu des chirurgiens est souvent valorisé pendant la formation. Par conséquent, il est «non seulement normalisé, mais aussi intériorisé. Cette culture peut mener à une sous-estimation de la vulnérabilité et à une survalorisation de l’endurance.»À lire aussi: Trois conseils pour limiter le stress au travailLes auteurs soulignent aussi le rôle possible de traits de personnalité propres à ceux qui choisissent la chirurgie: compétitivité, propension à ignorer les signes d’épuisement, goût du risque. Ce profil, combiné à un environnement de travail intense, pourrait augmenter certains comportements à risque et nuire à la santé à long terme.Appel à l’actionEn définitive, les chercheurs – trois médecins de Boston – appellent à des mesures de prévention ciblées, notamment sur le plan de la gestion de la fatigue, de la santé mentale, de la sécurité routière et du soutien organisationnel. «Pour réduire la surmortalité chez les chirurgiens, les établissements de santé et les ordres professionnels doivent s’attaquer aux facteurs de risque professionnels modifiables et promouvoir une culture du bien-être.»En clair, prendre soin des chirurgiens pourrait commencer par cesser de considérer l’usure professionnelle comme un mal nécessaire. «Cette dynamique, si elle n’est pas remise en question, risque de compromettre non seulement la longévité des chirurgiens, mais aussi la qualité des soins qu’ils prodiguent», préviennent les auteurs.RéférencePatel VR, Stearns SA, Liu M, Tsai TC, Jena AB. Mortality Among Surgeons in the United States. JAMA Surg. Publié en ligne le 30 juillet 2025. doi:10.1001/jamasurg.2025.2482

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