C’est normal de faire une erreur

Vous savez comment cela se passe. Vous avez pris du retard. Mme Dixon est de retour au bureau et demande ses renouvellements d’ordonnance. Vous devez répondre à trois appels téléphoniques et vous regrettez de ne pas avoir sauté le déjeuner.«Bonjour Mme Dixon, c’est la même chose qu’avant, hein?»Elle acquiesce et se lance dans un long exposé, un peu décousu, sur sa fibrillation auriculaire, sa lombalgie chronique et sa constipation. Et le voyage de sa fille à Malte, qu’elle est capable de raconter à l’aide de son téléphone portable. Vous aviez du temps à perdre la dernière fois que Marge vous a consulté, pourquoi en serait-il autrement aujourd’hui? Vous marmonnez quelques remerciements, quelques plaisanteries et vous souriez en sortant le bloc d’ordonnances et en commençant à écrire. «Pourriez-vous me redonner la pilule blanche : la bleue ne fonctionne pas», murmure-t-elle. C’est l’un des huit médicaments qu’elle prend, soigneusement sélectionnés au cours des dix dernières années. Mais elle a 82 ans et sa mémoire des noms est défaillante. «Ne vous inquiétez pas, je ne suis pas allergique à la pénicilline ni au gluten!»Vous levez les yeux et voyez le résident qui s’impatiente. Il est 16 heures et il a hâte de vous confier le prochain patient avant de rentrer chez lui. «J’arrive tout de suite», vous exclamez-vous, en espérant que Marge entende l’urgence dans votre voix.Vous lui remettez l’ordonnance de metformine, de Ramipril, de Trazadone, de Zopiclone, de Digoxine, de Synthroid, d’hydroxychloroquine et de cétirizine, et vous lui souhaitez de bonnes fêtes de fin d’année. Son fils, Matt, est dans la salle d’attente, prêt à l’emmener à son rendez-vous chez le chiropraticien, puis au salon de coiffure. La journée se prolonge jusqu’à 18 heures, et vous vous rendez compte que c’est l’heure du dîner à la maison, ou d’un rendez-vous conjugal glacial avec votre femme. La paperasse peut attendre plus tard, une situation qui devient de plus en plus courante.Le lendemain matin, vous recevez un appel d’Aaron, le pharmacien de la ville voisine. «Je voulais juste vérifier l’ordonnance de Margaret P Dixon PHN945694942 — il s’agissait de digoxine 0,125 mg par jour, n’est-ce pas?» Vous vous asseyez, respirez profondément et résistez à la tentation de dire: «Je fais ce travail depuis 25 ans, vous pensez bien que je connais la dose de digoxine....» Au lieu de cela, vous lui dites: «C’est juste un renouvellement, Aaron, ça devrait aller.» Matt appelle deux jours plus tard: «Je crois que maman a une grippe intestinale: diarrhée et vomissements. Je lui ai donné du Pepto-Bismol. Ça ne devrait pas tarder à faire effet?» «Oh, merde»Vous vous tournez vers votre assistant et lui demandez qui est Matt. Comme dans une vision céleste, les nuages s’écartent et vous vous souvenez de Marge, de tout son dossier, et en particulier de son état fragile, de sa fibrose auriculaire, de son diabète et… de son insuffisance rénale. Une condition que vous gérez depuis ce qui vous semble être une éternité. «Oh, merde», marmonnez-vous à voix basse, pour ne pas perturber Tom et Becky et les préparatifs de son prochain accouchement. Un DFG de 18, un potassium de 3,0 et un taux d’hémoglobine de 98 apparaissent à l’écran du DME de Marge. Son taux de digoxine n’a pas été mesuré depuis un an. Marge n’aime pas les aiguilles. Matt n’aime pas le rythme cardiaque de 40 de sa mère. Vous voyez des problèmes se profiler à l’horizon. Vous vous rappelez ce conseil de l’ACPM — «L’honnêteté est la meilleure des politiques» (Benjamin Franklin) — et vous vous demandez si vos REER ne seraient pas suffisants pour vous permettre de prendre une retraite anticipée. Lire aussi: Apprendre à vivre avec ses erreurs «Bonjour Matt, c’est Doc Roberts. Oui, je sais qu’il est 15h30. Oui, nous essayons de ne pas vous déranger au travail. Mais vous avez parlé de vomissements, et nous avons vu cela avec certains médicaments, chez des personnes âgées. Peut-être que Marge devrait suspendre la prise de certaines pilules et faire des analyses de sang, qu’en pensez-vous? Oui, il vaut mieux être prudent. La semaine prochaine? Non, je pensais à demain matin, comme ça. Oui. Oui. 8 heures. Oui, vraiment. Je vais faxer la demande cet après-midi — non, bien sûr que non, c’est pour ça que je suis là. Dites bonjour à Marge de ma part. Et dites-lui de ne pas prendre de digoxine ni de metformine jusqu’à ce que je la rappelle, d’accord? Et de rester hydratée.»Vous raccrochez. Vous consignez l’appel dans le DME. Un miroir installé malencontreusement dans le bureau reflète un visage découragé. «Comment ai-je pu être aussi stupide?» Cette nuit-là, vous dormez mal, attendant avec impatience (ma femme ne se plaint jamais que j’ai le souffle coupé) son électrocardiogramme, son test digestif, son DFG et les résultats du dosage de potassium. Le lendemain, vous appelez Marge et lui dites qu’il existe de nouveaux médicaments améliorés pour le contrôle de la fréquence cardiaque. «Venez donc en discuter.» Elle vous aime (encore).D’abord ne pas nuireAlors, comment pouvons-nous nous faire ça à nous-mêmes? J’ai appris que n’importe qui peut prendre 125 mg de Digoxin par jour. Qu’il existe des effets secondaires que je n’aurais jamais imaginés (pancréatite et hypertrophie gingivale, dues aux inhibiteurs calciques). Que les pharmaciens peuvent aider (et pas seulement entraver) dans le processus de la «sécurité d'abord». L’infirmière des urgences qui m’a remis un flacon d’Isuprel (au lieu d’Isoptin) n’était pas à blâmer. Ce sont des choses qui arrivent. C’est pourquoi un patient sur dix subit un préjudice dans le cadre des soins de santé (principalement à cause des médicaments) et trois millions de personnes en meurent dans le monde. Non, pas à cause d’appareils de radiologie qui leur tombent dessus ou d’incendies dans la cuisine de l’hôpital, mais à cause d’erreurs de prescription, d’infections postopératoires, d’escarres, de thromboses veineuses et de transfusions sanguines non sécurisées. La devise «D’abord ne pas nuire» semble être un conseil sensé. Mais à mesure que le volume et la complexité des soins de santé augmentent, que les patients vieillissent et deviennent de plus en plus fragiles et dépendants des médicaments, la capacité à adhérer à ce principe devient difficile. Ce que nous devons faire, c’est reconnaître que nous faisons partie d’un SYSTÈME, un SYSTÈME très compliqué, qui ne devrait pas nous permettre de faire des erreurs. Les erreurs doivent être prévues et évitées avec succès avant qu’elles n’aient la moindre chance de se produire. À lire aussi: Risques médico-légaux: les connaître pour mieux les prévenirComment rendre les systèmes infaillibles? Eh bien, les dirigeants doivent en faire une priorité. Nous devons tous donner le meilleur de nous-mêmes dans des environnements de travail sûrs et contrôlés. Les erreurs doivent être identifiées, analysées, signalées et étudiées, afin de ne pas les reproduire. Parfois (comme dans ce cas), il s’agit d’un médecin surchargé, qui n’a pas le temps d’évaluer la situation dans son ensemble, qui suppose la normalité alors que la normalité devient inhabituelle, et qui ne tient pas compte des contrôles (le bon vieux Aaron). Nous sommes tous humains et nous essayons de faire de notre mieux. Mais «l’erreur est humaine» (Alexander Pope).Comment serez-vous jugé si vous commettez une erreur? Parce que vous serez jugé. Par vos collègues, vos patients (et leurs familles), votre Ordre et peut-être même par votre système judiciaire. Et par vous-même. Mais veillez à ne pas vous juger trop sévèrement lorsque vous commettez une erreur. J’ai connu des personnes qui se sont suicidées pour cette raison, ce qui est une immense tragédie. Souvent, un tribunal vous obligera à respecter la norme de précaution que l’on peut attendre d’un praticien dans des circonstances similaires. Même si d’autres placent la barre plus haut. Si vous faites de votre mieux, si vous restez ouvert et honnête et si vous réparez ce qui peut l’être, les choses devraient s’arranger.D’ailleurs, la Journée mondiale de la sécurité des patients (17 septembre) a pour but de vous faire réfléchir à l’amélioration de la sécurité du SYSTÈME et non pas de cocher un jour de congé sur votre calendrier! Dans ma carrière, je pense avoir fait deux erreurs (… de qui je me moque?)

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