Briser les mythes: la prise en charge des troubles liés à l’usage de substances en première ligne

Tout comme pour les autres maladies chroniques, la prise en charge des troubles liés à l’usage de substances (TUS) est tout à fait adaptée en première ligne. Idéalement, les médecins de famille connaissent bien leurs patients depuis longtemps, ont établi une relation solide avec eux et, espérons-le, ont gagné leur confiance.Il s’agit également de troubles qui nécessitent de traiter à la fois une série de symptômes physiques (par exemple, des douleurs chroniques) et des symptômes liés à la santé mentale. Les médecins exerçant en première ligne peuvent s’assurer que ces symptômes ne sont pas traités de manière isolée, mais dans le cadre d’une approche globale.Bien que la médecine de la toxicomanie soit un pilier des soins primaires, certains mythes persistent et peuvent rendre les médecins hésitants à intégrer la prise en charge de la toxicomanie dans leur pratique.Mythe 1: Tous les cas de TUS sont difficilesUn article publié en 2024 dans le Canadian Family Physician présentait les résultats d’une enquête menée auprès de 218 médecins de famille de la Saskatchewan leur demandant pourquoi ils ne prescrivent pas de traitement par agonistes opioïdes (TAO) pour traiter les troubles liés à l’usage d’opioïdes. L’une des raisons était que ces patients étaient «difficiles».Les personnes atteintes de TUS sont comme les autres patients souffrant d’une maladie chronique qui ont besoin d’un soutien et de soins intensifs au début, mais qui se stabilisent ensuite et requièrent moins de soins. Comme pour les autres affections chroniques, il existe une grande variété de cas. Certains patients bénéficient d’une intervention, d’un traitement médicamenteux et d’autres ressources et se portent très bien, signale la Dre Jennifer Wyman, directrice médicale du service de toxicomanie du Women’s College Hospital de Toronto et responsable des programmes cliniques de META:PHI (Mentoring education and clinical tools for addiction: Partners in health integration). «Tout le monde ne souffre pas de troubles médicaux et psychiatriques complexes et multiples, même si les traumatismes sont nombreux.» Les cliniciens doivent déterminer dans quelle mesure ils peuvent équilibrer tous ces aspects et quand demander de l’aide dans les cas complexes.Mythe 2: Cela prend trop de temps«Je pense que c’est un peu un mythe de dire que cela prend beaucoup de temps», estime la Dre Wyman. «Tout comme pour les autres patients atteints de maladies chroniques qui nécessitent beaucoup de soutien lors d’un nouveau diagnostic, il faut souvent beaucoup d’efforts, de conseils et de coordination au début, puis cela se stabilise et devient alors beaucoup plus routinier.»Elle compare cela à une consultation en santé mentale dans le cadre de soins primaires. Cela prend du temps, mais «ce n’est pas éternel, et ce n’est pas toujours très complexe et compliqué», affirme-t-elle.Ce mythe sur le temps à passer avec un patient ayant un TUS est bien sûr lié à la préoccupation des médecins concernant la rémunération appropriée de leur intervention. Il est difficile de comparer la rémunération des médecins pour la prise en charge des TUS entre les différentes provinces, car chacune d’elles aborde la question de manière différente. Certaines ont des codes de facturation qui tiennent compte du temps passé. D’autres reconnaissent la complexité d’autres façons. Au Manitoba, les médecins de famille reçoivent des paiements supplémentaires pour les soins prodigués aux personnes atteintes d’un TUS (à l’exclusion de la caféine et du tabac) dans le cadre du nouveau modèle de financement longitudinal des soins primaires, Family Medicine Plus. Ailleurs au Canada, les associations et fédérations médicales s’efforcent d’obtenir des augmentations de la rémunération des médecins de famille dans ce domaine. À lire aussi: Quelle est la meilleure façon de déprescrire les benzodiazépines?Mythe 3: L’abstinence est le seul objectifLe traitement de la dépendance ne consiste pas seulement en l’abstinence, mais plutôt en un continuum de réduction des méfaits, signale la Dre Wyman. Il s’agit d’impliquer et de soutenir les patients là où ils en sont afin de les aider à être en meilleure santé et à progresser vers le rétablissement. Lorsque les médecins ne saisissent pas ce concept, «Je pense que parfois, ils ne comprennent pas l’intérêt de certaines de nos interventions», considère la médecin. Les données suggèrent que le traitement par agonistes opioïdes permet aux personnes de se constituer un «capital de rétablissement», une approche qui aide le patient à obtenir une meilleure qualité de vie en favorisant le rétablissement de son trouble de manière holistique. En ce qui concerne la consommation d’alcool, certains traitements sont indiqués pour la réduire, tandis que d’autres sont utilisés pour soutenir l’objectif d’abstinence. Les objectifs des patients peuvent différer, mais il existe des médicaments fondés sur des données probantes pour les aider, et les médecins de famille devraient se sentir à l’aise de les prescrire. Intégration des troubles liés à l’usage de substancesCette «prise en charge initiale» peut souvent être assurée en dehors des cliniques de première ligne. La plupart des provinces disposent de cliniques qui offrent un accès rapide aux soins en médecine de la toxicomanie. En Ontario, au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta, ces cliniques sont appelées «cliniques RAAM» (pour rapid access to addiction medicine), et en Colombie-Britannique, «cliniques RAAC » (le C signifiant «care»). Les autres provinces offrent des services similaires sous des noms différents. Au Québec, elles sont répertoriées ici.L’objectif est généralement de stabiliser le patient, puis de le renvoyer vers son médecin de famille, explique la Dre Erin Knight, présidente de la Société canadienne de médecine de l’addiction (SCMA) et médecin de famille à Winnipeg.Le retour à une prise en charge en première ligne peut être difficile si les médecins de famille ne prescrivent pas les médicaments utilisés par les cliniques RAAM. Les exigences réglementaires varient d’une juridiction à l’autre en matière de prescription des TAO, telles que la méthadone ou la morphine orale à libération prolongée. Dans la plupart des provinces, les prescripteurs doivent obtenir une autorisation spécifique de leur collège ou de leur ordre pour prescrire ces médicaments. Souvent, ils en sont dispensés pour prescrire la buprénorphine ou la buprénorphine/naloxone (SuboxoneMD). À lire aussi: L'utilisation problématique du téléphone intelligent ressemble à une dépendanceIndépendamment des exigences réglementaires, comme pour tous les médicaments, les médecins doivent avoir des connaissances et des compétences suffisantes pour prescrire des TAO. La plupart des collèges et des ordres proposent ou recommandent des formations sur différents types de prise en charge des TUS. La SCMA propose certaines formations, notamment un cours d’une journée organisée lors de sa conférence annuelle en octobre. Le B.C. Centre on Substance Use propose également un programme de formation en ligne sur la toxicomanie.«C’est vraiment formidable lorsque les médecins ont une connaissance suffisante des médicaments tels que la buprénorphine et la méthadone pour pouvoir aider leurs patients en matière de co-prescription, de transition ou d’interruption des soins», signifie la Dre Wyman. Une interruption des soins peut se produire lorsqu’une personne sous TAO subit une autre intervention médicale et que les médecins de l’hôpital sont réticents à lui administrer un traitement de substitution. Le patient doit alors supporter la douleur liée à l’intervention, ainsi que le sevrage du médicament dont il est physiologiquement dépendant.Les médecins doivent également se familiariser avec les médicaments afin d’aider les patients qui souhaitent modifier leur consommation d’alcool. En tant que médecin travaillant dans une clinique spécialisée dans les toxicomanies, «Je suis vraiment ravie de voir des médecins de famille prescrire des médicaments avant d’orienter leurs patients vers un spécialiste», déclare la Dre Wyman.Pour les médecins qui souhaitent intégrer davantage le traitement des troubles liés à l’usage de substances dans leur pratique, la Dre Knight conseille de commencer par accepter les patients référés par les cliniques RAAM (ou similaires) et/ou d’accepter de nouveaux patients dont l’état est stabilisé: «Vous pourrez ainsi vous familiariser avec des situations plus simples, puis enrichir progressivement vos connaissances au fil du temps».À lire aussi: Sterinova lance la première naloxone entièrement produite au QuébecLa Colombie-Britannique dispose d’un service de consultation téléphonique pour les médecins de famille et autres cliniciens qui travaillent avec des patients atteints de SUD. La Dre Wyman considère que ce service serait utile en Ontario, tant pour les médecins en première ligne que pour les hôpitaux.«C’est vraiment un défi, non seulement en première ligne, mais aussi lorsque les patients sont admis à l’hôpital et que les cliniciens ne savent pas comment bien gérer le sevrage alcoolique ou le sevrage des opioïdes, ou encore la douleur chronique en plus du sevrage des opioïdes ou de la méthadone», indique la Dre Wyman.Un autre aspect complexe de la prise en charge des TUS en soins primaires consiste à déterminer si une personne a besoin d’opioïdes pour lutter contre la douleur chronique ou si elle recherche des opioïdes en raison d’une dépendance.«Honnêtement, le chevauchement entre la douleur chronique et le trouble lié à l’usage d’opioïdes en particulier est probablement l’une des situations cliniques les plus difficiles à gérer», reconnaît la Dre Knight. L’une des choses auxquelles j’encourage les gens à réfléchir, c’est que ce n’est pas spécifiquement la dose de médicament qu’ils utilisent ni la quantité totale. Ce qui est important, c’est leur relation avec la consommation de substances, donc il faut essayer de travailler avec les patients qui identifient l’impact de cette substance sur leur vie.»Les soins liés à la dépendance doivent tenir compte des traumatismes. «Réfléchissez à ce qui leur est arrivé pour les mener à cette situation, plutôt qu’à ce qui ne va pas chez eux», conseille la Dre Wyman. Ces patients ont souvent été victimes de stigmatisation au sein du système de santé et peuvent être réticents à se faire soigner, ce qui les fait passer pour des patients non coopératifs, observe la médecin. «Il est vraiment important d’établir une relation de confiance.»Les médecins doivent reconnaître que la toxicomanie est un comportement humain courant, insiste la Dre Knight. Elle exhorte les médecins à «normaliser le fait d’en parler et à l’intégrer autant que possible dans les examens de santé périodiques afin que nous puissions aider les gens à bien vivre, malgré leur consommation de substances».

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