Apocalypse postantibiotique

La résistance aux antibiotiques, c’est comme les changements climatiques: vous êtes au fait des conséquences potentiellement catastrophiques du phénomène, mais vos actions pour le contrer vous donnent l’impression de chercher à inverser le cours des chutes du Niagara avec un verre d’eau. D’où votre abdication devant cette mère inquiète de voir que son gamin est encore enrhumé après 14 jours. Allez hop, voici une ordonnance… Si cela peut aider à vous déculpabiliser, sachez que vous n’êtes pas les seuls à faire preuve de faiblesse. Les gouvernements du monde entier ne prêchent pas non plus par l’exemple. Notamment quand vient le temps de rappeler à l’ordre les compagnies pharmaceutiques et de biotechnologies quant à leurs devoirs au regard du bien commun. Ces dernières constituent pourtant le pivot de toute lutte contre la résistance aux antimicrobiens. Mais voilà, l’industrie ne crée pratiquement plus de nouveaux antibiotiques. Durant les 15 années précédant l’an 2000, 33 ont été approuvés aux États-Unis. Durant les 15 suivantes, seulement 13. Au sommet de Davos, en janvier, une organisation gouvernementale néerlandaise a fait résonner l’alarme nucléaire : c’est trop peu et sous le seuil de remplacement. Le pipeline doit encore être renforcé, a déclaré l’Access to Medicine Foundation (AMF), d’Amsterdam, lors du dévoilement de la première évaluation indépendante des mesures prises par les entreprises pharmaceutiques pour limiter la résistance aux antimicrobiens.Dans les laboratoires des 30 sociétés pharmaceutiques les plus importantes, 28 antibiotiques seraient rendus à un stade avancé de leur mise au point pour combattre les pathogènes jugés prioritaires par l’Organisation mondiale de la Santé, note l’AMF. Or, seulement deux de ces 28 candidats font l’objet de plans afin de garantir qu’ils sont accessibles et utilisés à bon escient. Les États ont depuis longtemps accordé au marché, à la main invisible d’Adam Smith, le soin de déterminer quelles affections méritent de la recherche et du développement. Ils ne laissent pas l’industrie jouer à Dieu, mais pas loin. Disons, à son secrétaire. Mais le marché a failli à la tâche. Face à l’avancée d’une armée de superbactéries équipées pour éradiquer l’espèce humaine, la réponse est de faire de l’évitement. Car affronter la bête coûte cher : le retour net sur investissement pour la conception de nouveaux antibiotiques est négatif. L’industrie perd 50 millions $US par année, alors que le retour sur investissement rapporte 720 millions $US pour des traitements en neurologie, et dépasse le milliard et demi pour des traitements reliés aux troubles musculo-squelettiques, selon des données colligées par l’AMF.Les gouvernements partout dans le monde riche se montrent pourtant assez efficaces pour promouvoir la grappe industrielle pharmaceutique sans trop rien demander en retour. D’une dose de subventions à une prolongation des brevets en passant par l’octroi de crédits d’impôts. Les gouvernements devraient, sans lui porter secours, lui donner des outils, comme des incitatifs pour les forcer à réinvestir le champ de recherche des antibiotiques. De l’aide directe aux plus petits acteurs, aux start-ups. Des prolongations, s’il le faut, des brevets pour cette catégorie de médicaments. Les sociétés pharmaceutiques, quant à elles, doivent prendre en compte l’effet de levier marketing que représenterait une reconnaissance du public à l’égard de leurs efforts pour trouver de nouveaux antibiotiques.En octobre dernier, le médecin en chef de Grande-Bretagne, la Dre Sally Davies, a changé son vocabulaire diplomatique habituel pour celui d’un appel aux armes, lancé aux dirigeants du monde. Elle n’évoque plus la résistance aux antibiotiques, elle parle désormais d’apocalypse postantibiotique. « La fin de la médecine moderne est tout près », a-t-elle décrété.La résistance est déjà là. Le moment n’est plus de prévenir l’invasion, mais de la repousser. Mais au rythme où la lutte contre la résistance aux antibiotiques s’accélère, elle fera bientôt du surplace. Les bactéries vont nous enterrer dans nos tranchées.

Apocalypse postantibiotique

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Derrière ce blogue:

Éric Grenier

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