Antibiotiques ou culture d'urine : une règle de décision clinique pour traiter la cystite aiguë

Geneviève Lévesque, MD, FCMF, UMF Rimouski genevievelevesque@globetrotter.net Article de référence McIsaac WJ, Moineddin R, Ross S. Validation of a decision aid to assist physicians in reducing unnecessary antibiotic drug use for acute cystitis. Arch Intern Med, novembre 2007;167:2201-6. RÉSUMÉ Objectif Évaluer la validité d’une règle de décision clinique dans le traitement de la cystite auprès d’une population différente de celle soumise à la règle lors d’une première étude (1). Conception Étude de validation d’une règle de décision clinique. Contexte En tout, 418 médecins de famille canadiens parmi 4000 pressentis ont accepté de recruter deux patientes ayant des symptômes urinaires semblant indiquer une cystite aiguë. Participants Femmes de 16 ans et plus consultant leur médecin en raison de symptômes de cystite aiguë. Celles prenant des antibiotiques ou ayant une cystite compliquée étaient exclues. Les participantes ont été recrutées entre avril 2002 et mars 2003. Interventions Pour chaque patiente, les médecins remplissaient un questionnaire comprenant une liste d’éléments à l’anamnèse parmi lesquels se trouvaient, sans être identifiés, les critères de la règle de décision clinique (tableau 1). Ils colligeaient également les résultats de l’examen physique, leur diagnostic clinique, la prescription ou non d’antibiotiques, leur intention de recourir ou non à une culture d’urine ainsi que les résultats de la recherche de leucocytes et de nitrites par bâtonnet réactif et d’une culture d’urine (positive si 102 colonies/ml ou plus) demandée pour toutes les patientes. Les patientes devaient répondre à deux questions portant sur la gravité de leurs symptômes et leur accord à attendre le résultat de la culture avant d’être traitées. Principales mesures de résultats La sensibilité et la spécificité de la règle ont été calculées. Les autres mesures de résultats concernaient la proportion d’antibiotiques prescrits et la proportion d’antibiotiques inutiles (prescrits d’emblée et cultures négatives). Résultats Parmi les 418 médecins, 225 ont participé à l’étude et recruté 422 femmes. On a obtenu l’information complète sur les quatre critères et la culture pour 331 femmes (78 %) dont l’âge moyen était de 45 ans; 64 % d’entre elles s’étaient présentées en deçà de trois jours après le début des symptômes. La fréquence de cultures positives était de 63 %. La sensibilité de la règle de décision à quatre critères a été de 84 % (IC 95 %, 78 %-88 %) avec au moins deux critères, ce qui est comparable au résultat de l’étude précédente (81 %). La spécificité a été de 47 % (IC 95 %, 38 %-56 %), comparativement à 65 % dans l’étude précédente. La présence de symptômes depuis moins d’une journée n’était pas associée à une culture positive alors qu’elle l’était dans l’étude précédente. La sensibilité de la règle en excluant ce critère a été de 80 % comparativement à 79 % dans l’étude précédente (p = 0,75). La spécificité a été de 53 % contre 69 % (p = 0,02), et la valeur prédictive positive, de 75 % contre 74 % (p = 0,98). L’application de la règle à trois critères aurait réduit en termes relatifs la prescription d’antibiotiques de 24 % et d’antibiotiques inutiles de 40 % ainsi que le nombre de cultures de 59 %. Chez les participantes, 44 % n’auraient pas attendu la culture avant de recevoir un antibiotique. Conclusion Une règle de décision clinique à trois critères pourrait réduire de façon significative la prescription d’antibiotiques inutiles et de cultures d’urine chez les patientes présentant des symptômes de cystite aiguë. Tableau 1. Règle de décision clinique pour la prise en charge des femmes chez qui l’on soupçonne une cystite aiguë Antibiotiques d’emblée si présence d’au moins deux des critères suivants, sinon culture et attendre Symptômes depuis une journée ou moins* Brûlements mictionnels Leucocytes plus grands que traces Nitrites positifs * Ce critère a été exclu de la règle finale. Tableau 2. Étapes de la création d’une règle de décision clinique (2) Étapes Niveau de preuve Étape 1 : Dérivation Identification de facteurs prédictifs IV Étape 2 : Validation : Démonstration que la règle est valide et reproductible Validation restreinte : Application de la règle dans un environnement clinique semblable à celui de la première étape Validation élargie : Application de la règle dans différents environnements cliniques avec des prévalences et des présentations variées de la maladie III II Étape 3 : Analyse d’impact Démonstration de changements dans les conduites des médecins, amélioration de la santé des patients et/ou diminution des coûts I COMMENTAIRE Pertinence de l’étude Les infections urinaires chez la femme sont fréquentes en pratique de première ligne. Certains guides de pratique recommandent d’entreprendre le traitement par les antibiotiques de façon empirique avec ou sans culture d’urine selon le tableau clinique. Cette pratique fait en sorte que jusqu’à 40 % des femmes reçoivent des antibiotiques sans qu’une infection soit effectivement présente. Dans un contexte d’émergence de résistance bactérienne, une règle de décision clinique simple permettrait-elle de réduire la prescription d’antibiotiques ? Importance des résultats En présence d’une infection urinaire, la règle de décision clinique à trois critères a permis de prescrire d’emblée des antibiotiques 8 fois sur 10 (sensibilité de 80 %). En l’absence d’infection, la règle a permis d’éviter l’antibiothérapie empirique environ une fois sur deux (spécificité de 54 %). La règle a permis une réduction relative de la prescription d’antibiotiques inutiles de 40 %, c’est-à-dire de 29 % en pratique courante à 17,2 % en suivant la règle (p < 0,001). La règle a également permis une réduction relative de cultures d’urine de 59 %, soit 79 % de cultures prescrites en pratique courante contre 32,3 % selon la règle. Les risques sont nuls puisque les patientes n’ayant pas les critères pour l’antibiothérapie empirique ont une culture d’urine. Selon le questionnaire soumis aux participantes, 140 sur 319 d’entre elles n’auraient assurément pas accepté d’attendre le résultat de la culture alors que seulement 36 auraient effectivement dû attendre selon la règle de décision. Critique de la méthodologie Il s’agit d’une étude de validation d’une règle existante qui est bien faite. Les facteurs prédictifs importants sont bien définis; ils ont été inclus dans la règle et étaient présents dans une grande proportion de la population à l’étude. Les événements sont bien définis et mesurés de façon objective par culture d’urine. La taille de l’échantillon était suffisante. Les participantes ont été sélectionnées à partir d’une pratique courante représentative de la pratique de première ligne quant au problème étudié. On ne précise pas si l’analyse a été faite à l’aveugle des résultats des cultures, mais on sait que les données ont été gérées par informatique. On déplore que pour plus de 20 % des participantes, les données n’aient pas été disponibles et n’aient donc pas fait l’objet d’analyse. Mise en perspective selon l’état des connaissances Cette étude a permis de valider la règle évaluée lors d’une étude précédente 1, mais appliquée à une population différente (médecins en pratique de première ligne vs médecins en UMF) et à l’aide d’un échantillon de plus grande taille (331 participantes contre 231). La performance de la règle même simplifiée est comparable à celle démontrée précédemment. Cela lui confère un niveau de preuve II selon la hiérarchie des règles de décision (tableau 2). Contribution à la prise de décision clinique La règle de décision clinique à trois critères est un outil simple et valide en première ligne chez les femmes adultes présentant des symptômes urinaires de cystite aiguë non compliquée. McIsaac WJ, Low DE, Biringer A et coll. The impact of empirical management of acute cystitis on unnecessary antibiotic use. Arch Intern Med, mars 2002;162:600-5. Traduction et adaptation de Guyatt G., Drummond R. Users’ Guides to the Medical Literature : A Manual for Evidence-Based Clinical Practice, JAMA, 2002, p. 474. par Julien Poitras et Michel Labrecque, réviseurs de Critique et pratique.

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