Achat d’une entreprise: Qui est responsable des réclamations impayées des employés?

L’achat d’une entreprise est une décision professionnelle importante qui nécessite beaucoup de ressources et peut être très stressante. Cet achat peut se faire avec la collaboration du vendeur, mais, dans certains cas, l’acquéreur peut avoir de bien mauvaises surprises. En effet, la Loi sur les normes du travail («L.N.T») prévoit des protections pour les employés en cas d’aliénation d’entreprise, ce qui peut entraîner des réclamations inattendues pour le nouvel acquéreur, d’où l’importance d’être bien protégé. Plus précisément, les articles 96 et 97 de la Loi sur les normes du travail1 prévoient que l’aliénation ou la concession de l’entreprise, qu’elle soit partielle ou totale, n’invalide pas les réclamations impayées des employés, et que l’ancien employeur et le nouveau sont solidairement responsables du paiement de telles réclamations2. De plus, l’application des normes du travail se poursuit malgré l’aliénation, la concession de l’entreprise ou la modification de sa structure juridique3. Le nouvel acquéreur pourrait être tenu solidairement responsable des réclamations impayées faites par les employés auprès de l’ancien employeur. Plus précisément, la solidarité implique que le salarié pourrait exiger le paiement de la totalité de la dette au nouvel employeur. Certains critères doivent être remplis pour que l’article 96 de la L.N.T trouve application, mais les tribunaux ont réitéré à maintes reprises que cet article doit recevoir «l’acceptation la plus large qui soit et être interprété de façon libérale4». Il doit néanmoins y avoir eu aliénation ou concession totale ou partielle de l’entreprise pour que la solidarité s’applique. Afin de déterminer s’il y a eu aliénation ou concession de l’entreprise, les tribunaux doivent faire une analyse au cas par cas et regarder les éléments de l’entreprise qui ont été transférés à l’acquéreur. Plus il y a d’actifs transférés, plus on se retrouve dans une situation où l’article 96 de la L.N.T pourrait trouver application. Dans la décision Benavides et 9352-1698 Québec inc. (M Fitness Brossard)5, le Tribunal administratif du travail a conclu qu’il y avait eu aliénation de l’entreprise et que l’article 96 de la L.N.T trouvait application, car les éléments d’actifs suivants avaient été transférés au nouvel acquéreur : l’utilisation des mêmes locaux pour l’exercice des activités de l’entreprise; la continuité des mêmes activités; l’utilisation des mêmes équipements immobiliers, listes de clients, etc.; la continuation des contrats de services, de fournisseurs, de clients; l’utilisation du même numéro de téléphone; l’emploi des mêmes employés dans l’entreprise. Le nouvel acquéreur, à savoir le nouvel employeur, était solidairement responsable des obligations découlant de la réclamation d’une employée, et ce, bien que la réclamation ait été antérieure à la vente de l’entreprise et que le nouvel employeur n’ait pas été impliqué dans les faits justifiant cette réclamation. L’analyse doit être réalisée dans chaque situation en prenant les différents éléments propres à chaque dossier en considération et en testant leur capacité à maintenir les activités de l’entreprise. Ce test suppose que les éléments essentiels constituant l’entreprise se retrouvent également chez le nouvel employeur et qu’il y a continuité de l’entreprise6. Cependant, il faut préciser que pour que l’acquéreur et le vendeur soient solidairement responsables d’une réclamation antérieure à la vente, l’employé qui prétend à une réclamation doit demeurer à l’emploi du nouvel employeur. Le raisonnement derrière cette situation de solidarité, qui peut sembler injuste pour l’acquéreur, est d’assurer la réclamation impayée des employés et les protéger en cas de changement de propriétaire7. Cet article étant d’ordre public, il est impossible pour les parties d’y déroger. Quelles sont alors les protections pour l’acquéreur? La première chose à faire en achetant les actifs d’une entreprise est de procéder à une vérification diligente, soit une évaluation des différents aspects de l’entreprise. Cependant, cette vérification ne permet pas de détecter tous les problèmes liés à une entreprise, surtout si le vendeur tente de cacher certaines situations. De plus, il est important de prévoir dans le contrat d’achat-vente des actifs ou des actions, selon le cas, une clause de représentations et de garanties du vendeur. Par ces représentations, le vendeur confirme qu’il n’a aucun recours contre lui, aucune réclamation, et qu’il a respecté les lois et règlements concernant ses employés. Évidemment, les représentations et garanties reposent sur le fait que le vendeur dit la vérité, ce qui peut malheureusement ne pas être le cas. Il est alors primordial de prévoir dans le contrat de vente-achat des actifs ou actions, en plus des représentations et des garanties, une clause d’indemnisation. Une clause d’indemnisation large devrait prévoir que le vendeur devra prendre fait et cause pour l’acquéreur en cas de recours quelconque et assumer tous les frais découlant d’un recours ou d’une réclamation. Enfin, malgré la vérification diligente, les représentations et garanties, et la clause d’indemnisation, les protections peuvent être insuffisantes si le vendeur est en faillite ou introuvable, rendant la réclamation difficile à percevoir pour l’acquéreur. Rappelons que les garanties prévues au contrat de vente ne sont pas opposables aux employés. Elles ne lient que le vendeur et l’acquéreur, et ne sont pas un motif justifiant que la solidarité ne devrait pas s’appliquer devant le Tribunal administratif du travail. La meilleure protection pour l’acquéreur, si le contrat et les discussions entre les parties le permettent, est de prévoir une retenue sur le prix de vente. De cette façon, une partie du prix de vente revenant au vendeur est conservée en sécurité chez un dépositaire durant une période déterminée par les parties. Si une réclamation survient, selon l’entente entre les parties ou une décision des tribunaux le cas échéant, l’acquéreur pourra se faire rembourser les sommes découlant de ce recours s’il est condamné à payer les employés solidairement avec le vendeur. R LRQ, c. N-1.1. Ibid, article 96 Ibid, article 97 Commission des normes du travail c. 3979229 Canada inc., 2008 QCCS 3616 2018 QCTAT 2803 U.E.S., local 298 c. Bibeault 1988 2 R.C.S. 1048. C.N.T. c. Foodcorp Ltd, 1988 CanLii 6944 (QC CQ)

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