Votre cabanon est-il plein?

Droit | Profession Santé, décembre 2024La saine gestion des inventaires est essentielle afin d’éviter des débalances qui peuvent être difficiles à expliquer si la Régie de l’assurance maladie du Québec enquête.Bien connue de tous, la Loi sur l’assurance maladie (R.L.R.Q., c. A-29) accorde à la Régie de l’assurance maladie du Québec (la «Régie») le pouvoir de se «rembourser par compensation ou autrement» de tout acte qu’elle juge faussement décrit ou non fourni et ayant été réclamé par un professionnel.L’article 22.2 alinéa 2 de la loi édicte ceci :22.2 Lorsque la Régie, suite à une enquête, est d’avis que des services dont le paiement est réclamé par un professionnel de la santé ou pour lesquels il a obtenu paiement au cours des 10 ans précédents, étaient des services qui n’ont pas été fournis, qu’il n’a pas fournis lui-même ou qu’il a faussement décrits, ou des services non assurés, des services non considérés comme assurés par règlement ou des services non déterminés comme services assurés par règlement, elle peut refuser le paiement de ces services ou procéder à leur remboursement par compensation ou autrement, selon le cas.Mais le plus intéressant, pour la Régie s’entend, est le quatrième alinéa du même article :Dans les cas prévus au présent article, il appartient au professionnel de la santé de prouver que la décision de la Régie est non fondée.Dans ses enquêtes, la Régie se plaît à couvrir de longues périodes pouvant mener jusqu’à 10 ans en arrière, sur des dates ne correspondant pas à l’année civile ni à des périodes fixes, par exemple de 12, 24 ou 36 mois, et surtout, jamais aux dates de fins d’années financières des pharmaciens.Ainsi, un récent «Avis d’enquête» reçu par un pharmacien propriétaire couvrant la période suivante : du 26 janvier 2014 au 26 avril 2016. Ou cet autre pharmacien, plus chanceux, ayant subi une enquête portant sur la période du 1er décembre 2013 au 30 juin 2020.De surcroît, ces enquêtes portent généralement sur plusieurs dizaines de produits, chaque «débalance» entre les achats et les ventes constituant aux yeux de la Régie un ensemble d’actes non servis, et partant, remboursables…Ce même raisonnement trouve son application chez le syndic de l’Ordre des pharmaciens du Québec sous l’égide de l’article 15 du Code de déontologie (R.L.R.Q., c. P-10, r. 7), lequel prévoit :15. Le pharmacien doit mettre en place dans sa pharmacie les mesures de sécurité requises afin de préserver la confidentialité des renseignements personnels et l’intégrité de ses inventaires et médicaments.Évidemment, on ne peut vendre ce qu’on n’a pas acheté et il sera toujours nécessaire que des organismes chargés de prévenir et de sanctionner la fraude disposent de moyens propres à assurer l’accomplissement de leur mission.Mais la question se pose : vous qui n’avez jamais triché, seriez-vous en mesure sur une période de six ou sept ans de balancer vos ventes et vos achats sur des dates où aucune prise d’inventaire ne peut vous secourir?La simple comparaison des achats et des ventes d’un pharmacien est-elle suffisante et indicative de fraude?Les sources des débalancesElles sont nombreuses et variables d’un milieu de pratique à un autre. Citons les exemples suivants :Les variations d’inventaires annuelles ou en cours d’année : la plupart des pharmaciens constateront qu’à chaque prise d’inventaire annuelle (en préparation des états financiers), les stocks sont plus élevés. Une copie de vos inventaires de départ et de fin pour la période faisant l’objet d’une enquête est essentielle, sinon on considérera cette fluctuation comme ne justifiant d’aucune débalance, même si cette affirmation est généralement inexacte. De même, selon les dates de début et de fin d’enquête, des différences marquées peuvent survenir selon les habitudes d’achats de chaque milieu de pratique. C’est pourquoi il est fondamental de conserver ses factures d’achats pour 10 ans, lesquelles nous permettront de concilier les inventaires en prenant appui sur le dernier inventaire physique réalisé.Les ventes et les achats entre pharmacies : sans qu’il soit question de ventes en gros (au sens fédéral du terme), il peut arriver de dépanner un collègue ou d’effectuer des achats regroupés si on est propriétaire de plusieurs pharmacies. La pharmacie «vendeur» inscrira généralement la vente dans un dossier créé au nom de la pharmacie «acheteur», mais trop souvent cette dernière oubliera d’inscrire ces médicaments dans son registre des achats. Il s’agit d’une erreur fréquente.Les erreurs dans les livraisons des grossistes : elles sont beaucoup plus fréquentes que l’on croit! Qu’il s’agisse d’une erreur de format (p. ex., une unité qui contient en réalité six formats d’un médicament commandé), ou de produits livrés n’apparaissant pas à la facture, ces erreurs peuvent être coûteuses… De même, une attention doit être portée sur les retours de marchandises, les produits expirés, etc. Ici encore, la conservation des factures est essentielle. Nous avons également constaté des erreurs dans la production de rapports d’achats par des grossistes pour des périodes données.Erreurs dans les numéros d’identification (DIN) : Il arrive lors de changements de fournisseurs (manufacturiers) que le DIN d’un produit puisse changer, et même qu’un produit puisse devenir disponible sous deux ou plusieurs DIN différents. S’assimilent à ce genre d’erreur les changements de fabricants au moment d’effectuer la substitution d’un produit générique pour un autre générique. Bien souvent, en additionnant le déficit d’un produit avec l’excédent d’un autre médicament de même dénomination commune, on arrive à concilier les achats et les ventes.Ces quelques exemples ne sont pas exhaustifs, mais sont souvent à la source même d’une grande partie des débalances pouvant être constatées entre les achats et les ventes d’un pharmacien sur une assez longue période.L’intégrité des inventairesFort heureusement, l’adéquation mathématique des achats et des ventes de médicaments comme preuve de fraude semble vouloir être nuancée, tout au moins en déontologie. Ainsi, le Conseil de discipline de l’ordre s’exprime comme suit :[190] Selon la preuve retenue par le Conseil, l’absence de registres fiables des achats, des ventes et des transferts de médicaments et d’instruments médicaux (bandelettes) ne permet pas de retenir les transferts allégués par l’intimée pour expliquer les écarts observés.1En appel, le Tribunal des professions se prononce ainsi :[32] Ainsi, le Conseil se dirige bien en droit lorsqu’il décide que la preuve d’expert n’est pas nécessaire pour déterminer si l’appelante a pris les mesures de sécurité requises pour préserver l’intégrité de ses inventaires de médicaments.[33] De surcroît, le Conseil résume les lacunes importantes dans la gestion de l’inventaire, constat qui relève du sens commun.2ConclusionÀ défaut d’apporter une attention particulière à la saine gestion des inventaires, des débalances peuvent s’avérer difficiles à expliquer, surtout devant la Régie où le fardeau de preuve relève toujours du professionnel.C’est pourquoi ce grand ménage que vous souhaitiez effectuer dans votre cabanon devrait peut-être attendre encore quelques années…1. Pharmaciens (Ordre professionnel des) c. Vu, 2022 QCCDPHA 45 (CanLII).2. Vu c. Pharmaciens (Ordre professionnel des), 2024 QCTP 56 (CanLII).

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