Violence verbale: c’est désormais «tolérance zéro» en pharmacie

«Respect et courtoisie, aucune violence verbale ne sera tolérée! Merci d’être respectueux envers votre équipe en pharmacie!» Dans le sillage de la campagne de prévention contre la violence au travail lancée début novembre par la CNESST, les associations de pharmacie font front commun face aux patients agressifs. L’Association québécoises des pharmaciens propriétaires (AQPP), l’Association professionnelle des pharmaciens salariés du Québec (APPSQ) et l’Association québécoise des assistant(e)s et technicien(ne)s en pharmacie (AQATP) ont dévoilé, lundi soir, des affichettes qui orneront désormais toutes les officines québécoises. Une alliance symbolique, pour un constat commun: «Les comportements agressifs sont en augmentation depuis la COVID, à cause de l’anxiété généralisée, du stress et de ses répercussions sur les gens. Et puis avec l’avènement des réseaux sociaux, les gens semblent penser que c’est légitime d’exprimer leur mécontentement», regrette Maryléne Lévesque, présidente de l’AQATP. «Hier encore, ma collègue a raccroché avec un patient qui lui a manqué de respect car elle ne pouvait pas prolonger son ordonnance, relate son homologue de l’APPSQ, Patrick Hémery. Pareil quand les commandes ne sont pas prêtes. Depuis la pandémie, les patients estiment qu’ils sont les rois, et nous menacent même de ne plus revenir dans notre pharmacie en faisant jouer la compétition!» Un constat qui se vérifie dans les chiffres: un pharmacien salarié sur deux (48%) et plus de la moitié des pharmaciens chefs confient avoir été victimes de violence verbale au travail de la part des patients lors des deux dernières années, selon le sondage mené en 2022 par l’APPSQ auprès de ses membres. «Lorsqu’on interroge nos collègues ATP, nous nous approchons du 100%, et si nous posons la question aux employées à la caisse, nous sommes dans le 100%!» affirme Patrick Hémery. «Jusqu'à présent, il y avait de l'inertie face à ce problème»En effet, les assistants techniques en pharmacie sont bien souvent en première ligne face aux patients difficiles, en particulier les femmes, qui représentent 75% de l’effectif en pharmacie selon l’Ordre des pharmaciens du Québec. «Nous avons la tâche d’accueillir les clients, d’assurer un service à la clientèle, explique Marylène Lévesque. Notre sécurité doit être garantie par notre employeur.» Sur ce point, APPSQ et AQATP se rejoignent: les pharmaciens propriétaires doivent se saisir de la question et protéger leur personnel. C’est pourquoi cette union des trois associations est si symbolique. «Il était très important pour nous à l'APPSQ de se rapprocher des autres associations qui composent l'équipe de la pharmacie, car tout le personnel d'une pharmacie est exposé à ce risque psychosocial. [...] Jusqu’à présent, il y avait une inertie dans les pharmacies face à ce problème, alors que nous subissons tous et toutes de la violence verbale gratuitement, des insultes au téléphone ou au comptoir!» s’insurge Patrick Hémery. «Cela crée de l’écœurement et de l’absentéisme parmi les équipes. Même si 99% de nos patients sont satisfaits, le 1% qui nous pourrissent notre journée finissent par avoir un impact psychologique durable.» À lire aussi: De plus en plus de services cliniques rendus en pharmacieUne requête à laquelle répond Benoit Morin, président de l’AQPP: «je ne perçois pas que les pharmaciens propriétaires n’ont pas bien agi. Évidemment, la sécurité du personnel est de notre responsabilité, mais aussi celle des pharmaciens responsables du laboratoire au moment où les événements surviennent. Ils agissent comme support pour l'équipe dans ces situations, peuvent établir un plan d’action au cas où, prendre la décision de servir ou non un patient.» Une situation aggravée par les pénuries de personnel et de médicamentsCar tous les patients agressifs ne se ressemblent pas, et il s’agit de déterminer la bonne conduite à adopter pour chaque cas. On peut distinguer le patient impatient, frustré, qui va manifester son agacement de manière ponctuelle et qui serait assez simple à prendre en charge en calmant les choses, du patient dont les agressions et les comportements violents sont récurrents et notés dans son dossier, face auquel la seule solution est parfois le refus. «Notre code de déontologie nous permet de ne pas servir un patient violent ou agressif, mais pas de le laisser sans solution, prévient Benoit Morin. Les gens sont parfois vulnérables, souffrent parfois de maladies mentales. Il ne faut pas déplacer le problème, mais être en mesure de rendre service autrement, en demandant à la personne de partir puis de nous appeler par exemple. Toujours garder la prise en charge du patient en perspective, car c’est notre responsabilité.»À lire aussi: Relations soignants-soignés: désamorcer les tensionsLa pharmacie est-elle devenue un commerce de base pour les patients, qui ne la considèrent pas comme faisant pleinement partie de l'offre de soin, au même titre que leur médecin de famille? Possible, répondent en chœur les trois présidents, mais les raisons de la colère semblent bien plus profondes, structurelles. Si la COVID-19 est évidemment passée par là, d’autres facteurs empirent le phénomène selon les professionnels, à commencer par les pénuries de personnel et les nouvelles attributions des pharmaciens, qui les font crouler sous les actes additionnels. «On a augmenté les activités déléguées aux pharmaciens et ça prend plus de temps, on est moins de gens pour le faire, donc le public devient impatient, critique. Les patients ne comprennent pas la façon dont ça fonctionne, les horaires, la tarification, la facturation… Il faut les sensibiliser, estime Marylène Lévesque. En plus de la pénurie de main d'œuvre et du vieillissement de la population, nous pâtissons d’un trop faible nombre d’inscriptions dans les formations ATP, même si les nouveaux étudiants en techniques de pharmacie doivent venir renforcer nos rangs au printemps 2024. La pénurie de médicaments ajoute un stress supplémentaire. Les assistants techniques sont des personnels dévoués, mais certains finissent par quitter le milieu, car ils en ont assez de leurs conditions de travail. »À lire aussi: Télétravail en pharmacie: un nouveau guide de l’AQPP bientôt publiéPour remédier à ces situations problématiques, bien que minoritaires, et en complément de cette campagne de prévention à destination du public, l’AQPP a décidé de réactiver ses formations sur la gestion des clients difficiles et de soumettre des exemples de cas pratiques à ses membres. Une initiative réclamée par les personnels de pharmacie. «Contrairement à ce qui existe dans le secteur public, nous avons un sérieux manque de formation dans la gestion du conflit et la prise en charge des patients difficiles en pharmacie», indique Patrick Hémery, rejoint par Marylène Lévesque: «Pendant notre formation, nous avons des cours de service à la clientèle, mais pas en gestion de conflit. Une majorité du personnel technique en pharmacie n’a pas de formation professionnelle, mais on ne peut pas se passer d’eux. L’AQATP essaie de son côté d’offrir des formations pour outiller les ATP, mais il faut qu’on soit bien supportés par l’employeur, et que nous ayons la collaboration du public. On veut prendre soin de vous, alors prenez soin de nous.» Par ailleurs, des services de renouvellement par téléphone et en ligne ont été mis en place dans de nombreuses pharmacies afin que les patients évitent une attente inutile. VOTRE OPINION

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