Vers la détection systématique de la détresse chez les personnes atteintes de cancer au Québec

La détresse est le sixième signe vital qui devrait être évalué chez les patients atteints de cancer. Considérée comme une norme essentielle en 2017, cette détection est pourtant encore omise dans certains centres en cancérologie. Le ministère de la Santé a décidé d’en faire un chantier prioritaire à la suite des recommandations formulées par un groupe d’experts dans un rapport intitulé La détresse des personnes atteintes de cancer: un incontournable dans les soins.Ambitieux, ce comité aspire à ce que toutes les équipes du réseau de cancérologie du Québec procèdent à ce dépistage systématique d’ici 2018. Ce virage, dit le directeur de la cancérologie au MSSS, le Dr Jean Latreille, va exiger un changement de pratique important.Médecin psychiatre entièrement dédiée à l’oncologie depuis six ans, la Dre Jacynthe Rivest pratique au CHUM, où elle coordonne un projet de recherche sur un programme de détection de la détresse en oncologie impliquant des patients partenaires. Elle était membre de ce comité d’experts. Entrevue.Au Québec, où en est-on en matière de dépistage de la détresse chez les patients atteints de cancer?On le fait depuis plusieurs années dans quelques centres de cancérologie, il est en voie d’implantation dans plusieurs autres, mais on peut toujours faire plus. Les recherches récentes nous ont appris que plusieurs facteurs influencent l’implantation de tels programmes. Notre rapport vise justement à mieux outiller les médecins, infirmières et autres professionnels, et leur donne des recommandations et des outils pour y parvenir.Combien de patients souffrant d'un cancer vont ressentir de la détresse ? La psychiatre Jacynthe Rivest coordonne un projet de recherche sur un programme de détection de la détresse en oncologie.On estime que 40% de cette clientèle va présenter une détresse significative à un moment ou à un autre de la maladie. Elle peut être légère, modérée, sévère, visible ou moins visible pour les soignants. Ces niveaux, de même que le type de problème à l’origine de la détresse, vont guider les cliniciens et les soignants dans leurs actions.À quel stade apparaît la détresse et qui est le plus touché?La détresse peut affecter tout patient, à tout moment: lors de l’investigation, du diagnostic, pendant les traitements, lors d’une récidive ou même pendant la période de survivance. Certains semblent toutefois plus à risque. Des données montrent que des gens ayant eu des antécédents psychiatriques ou des difficultés d’ordre psychologique dans le passé seraient plus vulnérables. C’est parfois le cas aussi de jeunes patients ou de gens qui ont un cancer avancé ou qui sont en stade terminal.Pourquoi est-ce si important de procéder à ce dépistage systématique?Il va permettre d’identifier des patients qui ne signalent pas leur détresse ou qui ne confient pas leurs émotions à leur oncologue, leur médecin ou un membre de leur équipe soignante par peur de déranger ou d’être stigmatisés. Ces gens pourraient bénéficier d’une intervention en santé mentale ou psychosociale, mais tous les patients présentant de la détresse n’auront pas besoin de soins spécialisés. Environ 50% des patients vont s’adapter à cette épreuve grâce à leur résilience, le soutien de leurs proches ou des équipes interdisciplinaires médecins, infirmières, pharmaciens, etc., sans nécessiter d’aide supplémentaire. Mais on estime que 10% à 15% auront besoin de l’intervention d’un spécialiste en santé mentale et le défi est de s’assurer qu’ils y auront accès.Quand une personne atteinte de cancer souffre de détresse, cela peut-il avoir un impact négatif sur le pronostic?Une détresse qui persiste peut être associée à divers effets néfastes, incluant des risques de morbidité et des coûts de santé plus élevés. Ces patients peuvent avoir tendance à consulter plus de médecins, à avoir une plus faible qualité de vie. Des patients qui ont des troubles d’anxiété ou de dépression sévère peuvent ne pas se présenter pour leurs traitements, incluant des chirurgies, alors que ces interventions pourraient diminuer la sévérité de leur cancer ou les amener en rémission.Lire la suite à la page suivanteComment procède-t-on à la détection de cette détresse?Elle se fait au moyen de l’ODD, l’Outil de Détection de la Détresse du patient atteint de cancer. L’ODD comprend trois outils, dont l’utilisation a été étudiée et validée en cancérologie:- le thermomètre de la détresse;- la liste canadienne de vérifications des problèmes;- l’échelle d’évaluation des symptômes.Les trois questionnaires sont complémentaires. Avec ces outils, on arrive à identifier plusieurs types de détresse.À quel stade la démarche de détection devrait-elle être entreprise?On recommande qu’elle soit faite et répétée à plusieurs moments de la trajectoire de soins, à plusieurs moments charnières de la maladie, soit:1. le plus près possible du diagnostic (mais pas lorsque le patient est sous le choc de la nouvelle);2. lors de la phase de traitements;3. quand les traitements se terminent.Pourquoi cette détection n'est-elle pas systématique dans tous les centres de cancérologie du Québec?Il peut y avoir plusieurs obstacles à la mise en place de ce dépistage. Il faut un certain temps pour implanter cette pratique, qui exige un travail de collaboration interdisciplinaire et demande l’ajout d’un formulaire. Elle exige un soutien organisationnel significatif. Des soignants vont parfois penser que cette démarche va leur demander trop de temps. Or, une fois la démarche mise en place, ils se sentent plus outillés pour détecter la détresse, offrir du soutien et référer les patients au professionnel le mieux placé, au bon moment.Qui a la responsabilité de lancer cette détection? L’oncologue, le médecin de famille, l’infirmière pivot, une infirmière clinicienne?Le questionnaire est analysé par un médecin ou une infirmière, qui sont en mesure tous les deux d’évaluer la santé physique et mentale du patient. Après l'évaluation et l'identification des besoins, la réponse est interdisciplinaire. On va référer le patient à des intervenants psychosociaux (psychologues, psychiatres, travailleurs sociaux, sexologues en oncologie) selon ses préférences, ses valeurs, en fonction du degré de sa détresse, de son désir ou non d’obtenir de l’aide.Détecter une détresse conduit-il forcément à un traitement?Le rapport parle plutôt de réponse et celle-ci peut prendre plusieurs formes. Elle peut même concerner le transport pour conduire le patient à ses traitements de chimiothérapie.Votre comité recommande que 100% des centres de cancérologie au Québec procèdent à cette détection systématique en 2018. Ça vous semble réaliste?C’est un défi et c’est la raison pour laquelle le ministère a décidé d’en faire un chantier prioritaire. Implanter un programme de dépistage de détection de la détresse suppose un changement de culture et de pratique assez important qui doit être planifié, coordonné, et ce, en présence de leaders de changement dans les centres de cancérologie. Le rapport suggère des étapes d’implantation par le biais d’équipes qui serviront de modèles. La mise en œuvre exige aussi la formation des soignants. Elle représente probablement la pierre angulaire du changement attendu.

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