Vaccination: motiver plutôt que convaincre, ou contraindre

Après avoir brandi la carotte puis le bâton, le gouvernement s’est doté d’une nouvelle approche pour convaincre les 540 000 adultes qui ne sont pas encore vaccinés dans la province. «On veut aller à la rencontre des gens sur le terrain, leur expliquer les bienfaits de la vaccination en utilisant une approche positive», a indiqué le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux du Québec, Lionel Carmant, lundi en conférence de presse. Des cliniques éphémères et des brigades de sensibilisation vont ainsi être déployées dans les communautés où les taux de vaccination sont les plus faibles. Cette stratégie, dite de «la main tendue», est une «très bonne chose», estime le Dr Arnaud Gagneur, dont les travaux de recherche portent depuis 10 ans sur l’hésitation vaccinale, en général, et celle des parents en particulier. «Les mesures incitatives fonctionnent toujours mieux que les mesures coercitives qui ont plutôt tendance à braquer les gens», explique le pédiatre en néonatalogie au CHU de Fleurimont, à Sherbrooke, convaincu que l’enjeu numéro un actuellement, c’est la polarisation du débat qui empêche tout dialogue constructif. À force de stigmatiser les non-vaccinés, «on a aujourd’hui deux clans qui s’affrontent et qui ne se comprennent pas», observe le médecin en constatant que cette polarisation est certes exacerbée par les réseaux sociaux, mais qu’elle se renforce aussi par le sentiment d’injustice induit par les méthodes coercitives. Il prend pour exemple le passeport vaccinal qui en a motivé certains, tout en renforçant l’opposition des plus farouches dont la motivation contre la vaccination s’est transformée en combat pour la défense des libertés individuelles. «On a ainsi changé la donne et élargi le problème.» En finir avec le terme «antivax» Pour inverser cette tendance, il faut d’abord cesser d’employer le terme «antivax», affirme le Dr Gagneur, qui pense que l’on a perdu du temps en mettant tout le monde dans le même sac. «La majorité de ceux qui hésitent à se faire vacciner n’ont rien à voir avec les “antivax” purs et durs, qui ne représentent que 2 à 3% de la population et ne se feront pas vacciner quoi qu’il en soit. On parle plutôt de gens qui ont des questions pertinentes et légitimes, auxquelles on doit répondre. Ça ne sert à rien de les stigmatiser, si ce n’est de les convaincre à devenir des “antivax”.» L’important ensuite, c’est d’accepter l’hésitation. «C’est normal que les gens hésitent!» Et ce serait même sain, à en croire le néonatalogiste d’origine française. «La pensée critique est à la base de nos sociétés», souligne-t-il. «La majorité des personnes qui hésitent, ce sont des personnes sensées, qui réfléchissent et qui se posent des questions. Quand on commence à les stigmatiser, les prendre de haut, ça ne fonctionne pas. » Si dans la tête des décideurs de la santé publique, les choses sont claires - la vaccination est LA solution pour enrayer la COVID-19 -, force est de constater qu’il règne de la confusion à ce sujet au sein de la population. L’objectif du vaccin est-il de limiter la circulation du virus ou de protéger contre ses formes graves? À quel point est-il efficace dans le temps? Quels seront ses effets secondaires à plus long terme? «Les gens ont besoin de réponses, d’affirmations, or la science du coronavirus s’appuie sur des recherches en cours et il y a beaucoup d’incertitudes. On navigue encore à vue», note le clinicien-chercheur. De projet pilote à programme provincial La clé réside, selon lui, dans le dialogue et l’écoute bienveillante ainsi que dans un climat de non-jugement et de respect. «Les études montrent que les deux attitudes qui permettent à quelqu’un de changer, c’est l’empathie et le respect de l’autonomie. Il ne faut pas chercher à convaincre, mais aider l’autre à résoudre son ambivalence», indique le Dr Gagneur, qui a conçu il y a quelques années la stratégie Promovac en s’appuyant sur ces grands principes. Il s’agit d’avoir une discussion ouverte, appelée «entretien motivationnel», avec les parents qui hésitent à faire vacciner leurs enfants contre les maladies infantiles telles que la coqueluche, la méningite ou le tétanos. «Ce n’est pas une méthode, précise le médecin. C’est une façon d’être qui consiste à recevoir leur hésitation avec bienveillance et à répondre de manière transparente à leurs interrogations.» Et ça marche! Les évaluations ont montré que Promovac améliorait l’intention de vaccination d’environ 15% et faisait baisser de 40% l’hésitation vaccinale. Un succès qui a transformé ce projet pilote en programme provincial (le Programme d’entretien motivationnel en maternité pour l’immunisation des enfants, ou EMMIE) qui a été implanté dans toutes les maternités au Québec. Cette approche pourrait-elle être transposée à la campagne de vaccination contre la COVID-19? Si Québec ne semble pas vouloir essayer cette avenue, l’Agence canadienne de la santé publique va l’emprunter. «On développe avec eux un projet pilote pour mettre des conseillers en vaccination à la disposition de la population hésitante. Ils seront disponibles sur appel ou sur Zoom pour des entretiens en tête-à-tête au cours desquels ils répondront aux questions, sans jugement et sans vouloir faire changer les gens d’avis», indique le Dr Gagneur. Présentement, ces conseillers sont en cours de recrutement. Il faudra ensuite les former, l’objectif étant qu’ils soient opérationnels en avril ou mai prochain.

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