Usée par la médecine, elle quitte tout pour partir en «road trip»

«J’ai eu l’idée de me retrouver avec moi-même parce ce que j’avais l’impression de m’être perdue. L'une des choses qui me fait le plus de bien est de ne plus avoir cette pression des examens de labos à gérer et des formulaires à remplir. Pour moi, ce road trip est thérapeutique», raconte la Dre Dominique Guénard qui, au moment de l’entrevue avec ProfessionSanté.ca, était à Monterey, en Californie. Partie seule en novembre dernier, la femme de 58 ans - qui est revenue sporadiquement au Québec pour le temps des Fêtes et pour des funérailles - profite de cette nouvelle vie à mille lieues de la pression et de la lourdeur administrative de sa profession. «J’ai découvert les beautés de la nature aux États-Unis. C’est fantastique, spécialement en Arizona et aux Texas. J’ai juste envie d’être là et de me détendre. De lire un peu. Glander sans me sentir coupable de le faire. Maintenant, j’ai du temps…», observe-t-elle. La médecin, qui avait arrêté de faire de l’exercice physique en raison de ses obligations prenantes, part en randonnée à certaines occasions, ce qui lui fait «énormément de bien», dit-elle. Avant de prendre la grande décision de partir, Dominique Guénard a fait une dépression majeure qu’elle a pris des mois à reconnaître. «Comme médecin nous n’avons pas appris à reconnaître nos propres signes de faiblesse, puisque nous ne sommes pas dans un milieu qui autorise cela», explique celle qui n’avait jamais souffert de problème de santé mentale auparavant. Un ensemble de facteurs personnel et professionnel l’a conduit jusqu’à la dépression. Mais le facteur professionnel y a joué pour beaucoup, précise la médecin de famille. Son rêve de jeunesse Dominique Guérard rêvait dès son jeune âge de devenir médecin. Ce rêve est devenu réalité au milieu des années 90, lorsqu’elle a obtenu son permis de pratique. «J’étais très fière d’y être parvenue», dit-elle. Pendant des années, sa profession a été une grande source de bonheur; elle y a vécu des moments précieux sur le plan humain. «Avant, j’arrivais au bureau avec l’envie d’attaquer ma journée, prête pour les défis qui m’attendaient. Quand ça n’allait pas bien dans ma vie personnelle, je trouvais refuge dans mon travail et c'est là que je renaissais, c’était tellement agréable et valorisant.» Toutefois, au fil des années, son amour pour sa profession et sa fierté d’être médecin se sont progressivement effrités. Le «doctor bashing», lorsque le Dr Gaétan Barrette était aux commandes du ministère de la Santé de 2014 à 2018, a été l’un des éléments déclencheurs. «Je le suivais sur Twitter et je répondais aux commentaires que je trouvais insensés. J’étais émotivement affectée par les faussetés véhiculées sur les médecins. Je passais mon temps à répondre au Dr Barrette et à la population», se rappelle-t-elle. Selon la médecin, les gouvernements et la population critiquent souvent les médecins de famille pour le manque de prise en charge. Or, les médecins spécialistes ont également leur rôle à jouer, souligne-t-elle. «Les spécialistes doivent absolument prendre en charge et cesser de n’être que des consultants. Nous n’avons pas toujours le sentiment de travailler en équipe.» Des examens de labos dans le sud En plus du «doctor bashing», la pratique s’est alourdie, ce qui a affecté sa motivation au travail. «Très souvent je devais gérer des examens de laboratoires le soir. Je partais en vacances dans un tout inclus et je devais même en faire tous les matins! Mes enfants étaient tannés», raconte cette mère monoparentale de quatre enfants aujourd’hui majeurs. Le pire: elle a continué à gérer les examens de laboratoires durant les six premiers mois de son congé de maladie. «Il n’y avait pas de mécanisme pour m’aider à partir et à prendre en charge mes examens de laboratoire. Mon équipe était déjà débordée», dit-elle. Toutefois, pour la Dre Dominique Guérard, la pandémie a été la goutte qui a fait déborder le vase. Pourtant, durant la crise sanitaire, la médecin de famille s’est portée volontaire pour travailler dans les milieux COVID-19. Pour elle, il y avait quelque chose de grisant et de valorisant à mettre l’épaule à la roue en situation d’urgence. Or, les multiples changements durant cette période et la tension au sein des équipes de travail lui ont causé de l’anxiété et ont eu raison de sa santé. «Au départ, je me suis retroussé les manches, mais au fil des mois je voyais qu’il n’y avait pas de fin à la pandémie. J’ai perdu ma motivation. Aussi, j’ai eu mon lot de situations personnelles difficiles au cours des dernières années. J’ai donc fait une dépression», explique celle qui dit se sentir coupable d’«abandonner» ses patients et d’augmenter la charge de travail de ses collègues. De retour au Québec Cette semaine, la Dre Dominique Guérard prend la route vers les États du centre des États-Unis pour retourner vers l’est du pays. Elle traversera notamment l’Utah, l’Idaho et le Dakota. En juin, la médecin poursuivra sa virée, mais cette fois au Québec. Elle posera un pied à terre en novembre prochain, un an après le début de son escapade. Elle louera un condo avec une vue splendide sur le fleuve Saint-Laurent. «Louer me donne plus de liberté si j’ai le goût de partir une autre fois. J’ai eu la piqure des road trip», lance-t-elle. Professionnellement, elle jongle avec l’idée de travailler dans le secteur privé à temps partiel, mais elle n’est pas encore près d'un retour au travail. «Au privé, il n’y a pas la même pression qu’au public à prendre plus de patients», estime-t-elle. La médecin ne ferme pas complètement la porte à un retour dans le système public. Toutefois, elle ne retournerait certainement pas en GMF dans les circonstances actuelles, dit-elle. «On s’imagine encore avoir trouvé la solution miracle avec ce gouvernement, mais il y a quand même juste 24 heures dans une journée. Oui, nous pouvons améliorer la structure de travail. Mais on nous demande toujours d’en faire plus.» Heureusement, elle n'a pas perdu l'espoir de retrouver un jour la passion pour sa profession. «Il faut beaucoup d’amour, de bien des manières, pour exercer cette profession. Cet amour a bien failli mourir… Quand j’ai quitté, il était agonisant. Heureusement, je pense que mon road trip est en train de le guérir, tranquillement…»

Usée par la médecine, elle quitte tout pour partir en «road trip»

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes