Unifier milieu de vie et exigences de soins: un enjeu majeur pour les CHSLD en 2017

Oui, il y a les patates en poudre, les couches qu’on tarde à changer et les bains/douches parfois rarissimes dans les CHSLD. « Parler des mauvais coups a le mérite d’alerter l’opinion sur la situation de personnes vulnérables. Mais ça contribue aussi à inquiéter les proches de celles qui sont en attente d’être hébergées », indique à Profession Santé la Dre Nathalie Champoux, médecin de famille à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal. « Il faudrait aussi diffuser les bons coups, auxquels, d’ailleurs, médecins et pharmaciens peuvent largement contribuer dans ce milieu tant décrié. » Alors, vraie ou fausse, la publicité négative entourant nos aînés hébergés dans les CHSLD ? La Dre Nathalie Champoux, médecin de famille à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal. Photo : Pierre LongtinIl y a du vrai et de l’exagération, répond la Dre Nathalie Champoux, aussi directrice du programme Soins aux personnes âgées, au département de médecine familiale de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. Au fil des ans, en effet, et sans égard à la couleur politique des gouvernements, dit-elle, on note une diminution constante des budgets accordés aux aînés.Québec a par exemple réduit le nombre d’infirmières, indique celle qui travaille auprès des malades hébergés depuis plus de 26 ans. Des patients qu’elle qualifie de survivants. Quand survient un problème aigu comme une pneumonie, comment gérer une injection intraveineuse sans la présence d’une infirmière ? « C’est bien beau de déléguer des tâches aux infirmières auxiliaires et aux préposés, mais certaines réalités cliniques ne sont carrément pas de leur ressort. »Dans les cas plus graves, le réflexe sera de diriger la personne vers l’urgence hospitalière, un lieu inadapté à l’état de santé des aînés vulnérables en perte d’autonomie. Les risques y sont multiples : chutes, délirium, déshydratation, plaies de civière, avec toutes les difficultés qu’entraînent souvent les troubles de la vue, de l’audition. « Mieux vaut recourir le moins possible aux urgences, même si certaines font de réels efforts pour bien accueillir cette clientèle, comme à l’Hôpital du Sacré-Cœur, où j’ai pu le vérifier par moi-même. » Selon la Dre Champoux, le meilleur endroit pour traiter une personne en perte d’autonomie sévère reste le milieu naturel où elle vit. « Une prise de conscience commence heureusement à s’opérer à ce chapitre. »La médecin croit aussi qu’il existe une volonté réelle d’améliorer les choses. Ainsi, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, a-t-il indiqué son intention d’accroître le nombre d’infirmières en CHSLD. Mais il aura fallu pour cela une tragique démonstration du fait que des ratios trop bas infirmières/patients peuvent devenir dangereux, comme l’affirme la coroner Mélanie Laberge. Elle a attribué le décès d’un homme lourdement handicapé dans un CHSLD de Beauport, en 2015, à la surcharge de travail de la seule infirmière de service ce soir-là. Elle avait alors 175 résidents sous sa responsabilité directe, dont cette personne morte d’une dose erronée d’hydromorphone (Dilaudid). La coroner a publié son rapport en novembre dernier, en synchronicité avec la tenue par le gouvernement, à Montréal, du Forum sur les meilleures pratiques en CHSLD.Rouvrir des litsMe Paul G. Brunet y participait. Le président du Conseil pour la protection des malades s’est étonné d’y voir les présidents-directeurs généraux des CISSS/CIUSSS occuper la table d’honneur. « N’est-ce pas plutôt le patient hébergé qui aurait dû y siéger, en toute légitimité ? Or, il brillait par son absence à cette rencontre », s’indigne-t-il à Profession Santé. Une preuve, selon lui, que le réseau semble d’abord exister pour ceux qui le font tourner plutôt que de s’adapter à ceux dont il doit s’occuper. Me Paul G. Brunet, président du Conseil pour la protection des malades. Photo : CPMQuébec a éliminé 5 000 lits de longue durée depuis 10 ans, poursuit-il. « Or, ce chiffre correspond environ au nombre de personnes qui attendent une place en hébergement*. Rouvrir ces lits en 2017 serait une bonne idée ! » Au moins, ajoute-t-il, le ministre Barrette a eu l’humilité d’écouter des experts lui démontrer qu’on peut faire mieux dans ce réseau, avec le même argent déjà disponible. « À preuve, certains établissements ont de bien meilleurs résultats que d’autres. On peut certes accuser le ministre, mais il faudrait d’abord que tous les établissements fassent leur part sans blâmer les patients qui essaient de se trouver une place en hébergement. » Pour la seule Montérégie, précise-t-il, 200 personnes sont cotées prioritaires pour obtenir un lit de longue durée.Le moment est pourtant propice au changement, croit Me Brunet. « Côté structures, tout devient certes plus gros, mais la gestion est aussi plus dynamique, dans la mesure où le ministre a une poigne directe sur ses 34 PDG. Plus facile donc de faire bouger les choses. » Le premier changement, à ses yeux, consisterait à commencer par laisser chaque professionnel de la santé faire son travail, selon son champ de compétences. Le Conseil rappelle aussi que les CHSLD, censés être d’abord des milieux de vie, ne peuvent pas dissocier l’hygiène de vie au quotidien (alimentation, bains, etc.) des soins à la personne.Le Conseil a d’ailleurs émis diverses recommandations pour adoucir le sort des résidents, lors de son colloque annuel tenu en Abitibi-Témiscamingue à l’automne 2016. Entre autres, qu’on leur reconnaisse le droit de ne pas être surmédicamentés. Que ceux qui ne sont pas incontinents aient le droit d’être accompagnés aux toilette sans avoir à porter une couche gériatrique. Et que, dans chaque CHSLD, au moins un membre de l’administration prenne quotidiennement le même repas que celui qui est servi aux résidents, comme cela se fait déjà à plusieurs endroits.« C’est sûr qu’il faut améliorer la qualité et la diversité de la nourriture. Il y a des choses à faire de ce côté-là, note la Dre Champoux. Mais c’est en général équilibré au plan nutritif et il n’y a rien non plus de périmé. Cela dit, quand vous souffrez d’une grave perte d’autonomie, il ne vous reste plus grand plaisir. » D’où son message aux médecins et aux nutritionnistes : « Ne soyez pas trop restrictifs dans la diète des patients, car le plus grand fléau qui les guette, c’est la malnutrition. Plusieurs sont affligés de maladies dégénératives et souffrent de problèmes de déglutition. Ça ne les aidera en rien si la nourriture est fade. Côté sel, côté sucre, il faut donc peser le pour et le contre à cet égard et surtout éviter de restreindre inutilement la diète. »VirageGlobalement, la Dre Champoux relève cependant une évolution pour le mieux quant aux conditions de vie des aînés hébergés. Cela se perçoit aussi dans la mentalité des professionnels de la santé, selon elle, en ce qui concerne la clinique, l’enseignement et la recherche. « Quand j’ai commencé ma pratique, je notais bien peu d’intérêt de la part des facultés pour la clientèle gériatrique, alors jugée ennuyante. On a pris un virage vers le mieux, parce qu’on a brisé quelques préjugés envers une population traditionnellement délaissée. »Tant chez les médecins que chez les pharmaciens, indique la Dre Champoux, on sent un intérêt grandissant pour les gens âgés. Une clientèle qui constitue aussi, selon elle, « un magnifique lieu d’enseignement. » Comment composer par exemple avec des personnes polymédicamentées (interactions médicamenteuses, déprescription) ? « Nous avons là un terrain interdisciplinaire commun aux résidents en pharmacie et en médecine familiale. Sans oublier tous les problèmes d’éthique que posent les soins de fin de vie. »Lentement mais sûrement, l’expertise professionnelle s’organise, dit-elle. On doit à la Dre Champoux le Guide médical en soins de longue durée. Cette référence disponible en ligne (mdsld.ca), lancée en 2013 après trois ans de travail, propose des cas cliniques, des conseils pratiques et de communication. La rédaction du guide a nécessité le concours de 22 experts en soins de longue durée. Linda Vaillant, directrice générale de l’APES. Photo : APESLe Regroupement de pharmaciens experts en gériatrie de l’Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec (APES) prépare de son côté un guide sur les soins pharmaceutiques à l’admission d’une personne âgée en hébergement. « Il s’agit de faire ressortir toutes les bonnes pratiques adaptées aux personnes âgées. Des pratiques qui doivent faire l’objet de préoccupations à chaque fois qu’une personne âgée est admise dans un établissement de santé, sans égard au type d’établissement », explique à Profession Santé la directrice générale de l’APES, Linda Vaillant.Un résident en CHSLD, précise-t-elle, prend en moyenne 18 médicaments, dont 6 pris au besoin et 12 régulièrement.LeadershipAu-delà du volet clinique, il est demandé aux dirigeants d’établissements d’affirmer leur leadership et de se rendre sur le terrain pour constater par eux-mêmes l’état des choses. Là où ça ne va pas, affirme le ministre Gaétan Barrette, c’est souvent parce que le leadership fait défaut. Il a notamment relevé l’écart important qui existe d’un endroit à l’autre dans le maintien des aînés à domicile.Concernant les CHSLD, le ministre lie en partie la mauvaise publicité qui leur est faite à des manœuvres syndicales. Pourtant, un rapport de députés issus des trois grands partis politiques abonde dans le même sens que les critiques. Les parlementaires, qui ont visité six établissements entre le 7 décembre 2015 et le 22 janvier 2016, établissent un triple constat. En résumé : manque de personnel, soins insuffisants et nourriture tiède. Ils relèvent aussi que les personnes hébergées présentent des problèmes physiques et psychologiques de plus en plus lourds.Le ministre Barrette a récemment promis l’embauche de 1150 personnes supplémentaires dans les CHSLD. Le budget de 65 millions $ associé servira notamment à offrir de meilleurs soins de base et des bains supplémentaires. Les gestionnaires auront toute latitude pour embaucher le personnel requis, selon les besoins locaux jugés prioritaires – infirmières, infirmières auxiliaires ou préposés aux bénéficiaires.Gaétan Barrette a aussi promis d’intervenir sur la question des ratios infirmières/patients. Lors du Forum sur les meilleures pratiques en CHSLD, il a martelé l’importance, pour les gestionnaires, de s’aligner sur ceux des établissements qui performent le mieux, tant en ce qui concerne l’hygiène de vie en général que les soins médico-pharmaceutiques prodigués aux résidents.Des questionsLa pression démographique et le vieillissement rapide de la population soulèvent bien des questions. Celle que pose le Département d’administration de la santé de l’Université de Montréal – Services aux personnes âgées : faisons-nous les bons choix ? – les résume toutes. Elle ouvrira la 34e édition du Colloque Jean-Yves-Rivard que tient l’organisme le 9 février 2017.Forum d’échanges entre gestionnaires, cliniciens et chercheurs, le Colloque se demande notamment si la notion de « fragilité » généralement accolée aux résidents hébergés en CHSLD – et qui sont principalement des gens âgés – est un concept utile en santé publique. Quelles sont par ailleurs les preuves que l’on peut prévenir la perte d’autonomie ? Les services aux personnes âgées en perte d’autonomie visent-ils les bonnes personnes, sont-ils accessibles et de qualité, à domicile comme en établissement ? Et comment doit-on les financer ?Pour la Dre Nathalie Champoux, il faut nuancer l’opinion que l’on porte sur le tableau d’ensemble des résidents hébergés en CHSLD. « Ni peindre leur quotidien en rose, ni le voir tout en noir. La réalité se trouve sans doute entre ces deux extrêmes. »* Le MSSS parle plutôt de 3 551 personnes en attente d’hébergement pour 2016-2017.

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