Une troisième année de résidence en médecine familiale: Ah! bon… Pourquoi?

On apprenait récemment que le Collège des médecins de famille du Canada (CMFC) avait résolu d’ajouter une année supplémentaire au programme de formation standard en médecine de famille. Cette décision découle du rapport Préparer la relève en médecine familiale: Solutions en éducation pour renforcer les soins de santé face au changement, qui émet diverses recommandations, dont celle-ci: «Explorer la mise en œuvre d’une durée de formation standard de trois ans pour améliorer la préparation à la pratique et favoriser l’élargissement du champ de pratique, tel que le définit le Profil de formation pour la résidence, afin de mieux répondre aux besoins des communautés.»1 Pour justifier sa décision, le Collège invoque que le Canada a changé, que les soins prodigués par les médecins ne sont plus les mêmes qu’il y a 50 ans lors de l’instauration de la résidence en médecine familiale, que la médecine familiale est de plus en plus complexe, que la population est vieillissante avec de multiples conditions et comorbidités, que l’innovation technologique a bouleversé la pratique et que les connaissances médicales ont explosé. Cela est bien vrai. Il est indéniable que la pratique de la médecine de famille n’est pas de tout repos. Il suffit de considérer l’ensemble des responsabilités des médecins de famille pour s’en convaincre2. On attend d’un médecin de famille qu’il puisse s’occuper de la prestation de soins pour toute la population, à tous les âges, à toutes les étapes du cycle de vie et dans tous les contextes; dans tous les domaines cliniques, à tous les stades, dans tous les contextes et environnements. Rien de moins! Face à tant de responsabilités, on ne sera dès lors pas surpris que de moins en moins d’étudiants choisissent la médecine de famille et que de moins en moins de médecins de famille soient disponibles. Mais cela c’est une autre histoire. La véritable question ici est plutôt de savoir dans quelle mesure l’ajout d’une année au programme de résidence en médecine familiale changera quoi que ce soit? D’ailleurs, pourquoi une année de plus, et non pas deux ou trois, voire davantage? Car, si former les autres spécialistes requiert quatre, cinq et parfois six ans, pourquoi cela serait-il différent pour les médecins de famille, eux qui doivent exercer dans tous les domaines de la prestation des soins contrairement aux autres spécialistes confinés à un champ. Peut-être que ce n’est pas une année, mais bien deux ou trois qu’il faudrait rajouter? Mais ce qui est le plus troublant dans cette recommandation est l’absence de données probantes. Sur quoi, le CMFC se base-t-il pour prendre cette décision? Dispose-t-on de preuves qui démontrent l’avantage d’une année supplémentaire? Existe-t-il des études comparatives contrôlées qui évaluent les performances des médecins de famille issus d’un programme de trois ans contre ceux d’un programme traditionnel? Existe-t-il des données qui laissent entendre que les certifiés d’un programme prolongé font de «meilleurs médecins de famille»? Avons-nous des preuves, même imparfaites, qui montrent que les résidents ayant terminé une troisième année réussissent mieux les examens de certification, embrassent davantage les principes de la médecine familiale ou sont davantage appréciés de leurs patients? Hélas, non! On a beau parcourir attentivement les documents à l’appui, rien – à part quelques opinions et études de faible valeur – ne vient faire cette démonstration3,4,5,6. Ce mouvement repose uniquement sur des croyances qui, même si elles sont raisonnables, ne sont pas documentées. Le Collège a beau dire qu’ailleurs dans le monde, des pays comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Irlande ou la Grande-Bretagne offrent des formations plus longues, et que si nous ne faisions rien, le Canada deviendrait le seul pays avec un programme de deux ans, cela n’en fait pas nécessairement un argument crédible. Ce n’est pas parce que tout le monde le fait que nous devons nécessairement le faire nous aussi. Ce n’est pas parce que des experts se prononcent qu’ils ont nécessairement raison. On n’a qu’à songer à la Classification GRADE7 pour réaliser à quel point les opinions des experts ont une valeur bien relative. Cela vaut aussi pour les avis andragogiques. En contrepartie, il importe de réfléchir aux impacts potentiellement négatifs d’une telle mesure. Des impacts sur l’adhésion au programme Déjà que nous sommes à court de médecins de famille et que les étudiants en médecine boudent cette voie, l’ajout d’une année supplémentaire ne risque-t-elle de décourager encore davantage8? Des impacts sur la période active des médecins de famille L’ajout d’une année réduit la période pendant laquelle les médecins de famille sont actifs. Actuellement, ceux-ci obtiennent leur diplôme vers l’âge de 28 ans et prennent leur retraite vers 65 ans. L’ajout d’une année amènera une réduction de la période active de travail, d’approximativement 3% (1 année/ 37 ans). Si l’on optait pour deux ans de plus, ce serait 5% de moins. Des impacts financiers Déterminer le coût d’une année de formation supplémentaire est difficile. On dirait que personne ne veut en parler. Comme s’il y avait là une Omerta. Néanmoins, certaines informations laissent entendre qu’une année de formation coûterait approximativement 100 000 $ (sans compter les salaires et bénéfices)9,10. Au Québec, il y a approximativement 500 résidents en médecine familiale par année. Cette mesure engendrerait des coûts excédentaires de 50 000 000 $. Ce n’est pas rien! À pareil coût, tout ministre de l’Éducation ou de la Santé aurait à rendre des comptes. Mais le plus aberrant dans cette histoire est que le CMFC tente d’imposer ce qui est actuellement accessible de plein gré… en tout cas au Québec. En effet, tous les résidents en médecine familiale diplômés qui désirent parfaire leur formation avec des stages supplémentaires peuvent actuellement le faire. Ils sont déjà nombreux à faire une Résidence 3 en urgence, en gériatrie, en soins palliatifs, en hospitalisation, pour ne nommer que ces domaines-là. Si l’objectif du CMFC est de faire en sorte que des résidents puissent faire une année supplémentaire en médecine familiale, un genre de «Résidence 3 en médecine familiale avancée», il suffit simplement de l’offrir à ceux que cela intéresse. Peut-être seront-ils nombreux à y adhérer. Mais il n’y a actuellement aucune raison de l’imposer.

Bâbord amures

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Derrière ce blogue:

Roger Ladouceur

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