Une polyclinique d’un nouveau genre dans un centre commercial

Elna Medical a de grandes ambitions. Fort du succès de sa clinique de médecine familiale inaugurée en 2016 au Carré Décarie, à Montréal, le groupe de santé prévoit d’ouvrir, d’ici trois ans, une cinquantaine de nouvelles cliniques situées dans des centres commerciaux à travers le Canada. La première sera localisée dans le centre Rockland, situé à Ville Mont-Royal, en bordure de l’autoroute Métropolitaine. Ce nouveau centre de soins de 24 000 pieds carrés (environ 2230 mètres carrés) sera construit sur le concept du «one-stop shop», indique le président d’Elna Médical, Laurent Amram. «L’idée, c’est d’offrir un guichet unique proposant un accès facile et rapide à des soins primaires et spécialisés, de qualité, dans un lieu ultra-moderne et hautement technologique», détaille-t-il en insistant sur l’expérience client «enrichie» à laquelle contribue l’implantation dans un centre d’achat, pour l’aspect stationnement notamment. Sur place, les usagers trouveront un groupe de médecine familiale (GMF), incluant un service de rendez-vous d’urgence, et plusieurs spécialités médicales (neurologie, cardiologie, pédiatrie) dont les consultations seront couvertes par la RAMQ. «Notre objectif est de donner accès à des spécialistes de renom dans un délai de deux à trois semaines, contre deux à quatre mois dans le réseau de la santé», précise le fondateur d’Elna. Les clients pourront aussi accéder à des soins privés: service de laboratoires, clinique esthétique, de physiothérapie, d’audiologie, etc. Et, comme dans les autres centres du réseau d’Elna Médical, des services à domicile et de télémédecine seront également disponibles. En outre, le complexe louera un espace dédié de 2000 pieds carrés (186 mètres carrés) à une clinique de médecine privée qui sera gérée par «une entreprise bien installée au Québec», indique Laurent Amram qui ne souhaite pas en dire plus pour l’instant, si ce n’est que cette entreprise «n’a rien à voir avec le groupe Elna.» Cette proximité entre médecine publique et privée fait sourciller Régis Blais, professeur au département de gestion, d’évaluation et de politique de santé de l’École de publique de l’Université de Montréal: «C’est un peu incestueux, car ça donne l’impression que le privé va se servir du public pour recruter des patients. Normalement, le GMF et la clinique privée ne devraient pas se retrouver dans un même édifice. La RAMQ a dû faire un compromis», estime le professeur. Sa consœur à HEC Montréal, Marie-Hélène Jobin, souligne que la loi n’est pas tout à fait claire à ce sujet. «Il faut une cloison très étanche pour éviter les vases communicants, mais la loi ne précise pas formellement la nature de cette cloison», indique la directrice associée du Pôle santé de HEC. Questionné sur ce point, Laurent Amram répond que les deux entités seront indépendantes et n’auront pas la même adresse physique. «Chacune aura son propre personnel et la clinique privée aura une porte d’entrée et une salle d’attente séparées», souligne-t-il en ajoutant que son groupe «suit les règles à lettre» et que «le ministère n’a eu aucun problème avec notre approche». Le risque d’une médecine à deux vitesses De son côté, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) réfère Profession santé à la Loi sur l’assurance maladie concernant la rémunération des médecins participant au régime public qui ne peuvent «recevoir d’autres avantages ou sommes d’argent que ceux prévus aux ententes négociées pour la prestation d’un service assuré au sens de la Loi». Sur la proximité entre soins publics et privés en revanche, le service de presse du ministère se contente de préciser que «dans une perspective de trajectoire complète, le MSSS considère que la disponibilité de services complémentaires, par exemple de services diagnostiques, peut permettre une prise en charge plus complète du patient selon ses besoins». «Il ne faut pas nécessairement faire haro sur le privé», convient Marie-Hélène Jobin qui voit plutôt d’un bon œil la possibilité que des patients bien informés, et qui le souhaitent, puissent payer pour voir plus rapidement un spécialiste. «C’est un futur désirable selon moi, tant et aussi longtemps que les balises fixées sont respectées.» «On peut être en religion et s’opposer au privé en santé», considère pour sa part le docteur Alain Larouche qui préside le Groupe santé Concerto, une firme de consultation spécialisée dans l’organisation des soins. «Mais à partir du moment où notre système autorise des organisations à offrir des services qui respectent la loi, je n’ai pas d’arguments objectifs pour dire que ça n’a pas de bon sens. Pour autant, je ne dis pas que c’est une bonne nouvelle», ajoute-il, craignant une porte ouverte vers une médecine à deux vitesses. «Il y a un marché pour tout et c’est aujourd’hui une réalité: certains patients veulent payer pour accéder rapidement à un médecin», observe Laurent Amram. Mais si ce marché existe, «c’est parce que les services dans le réseau public de la santé ne sont pas satisfaisants», note Régis Blais, convaincu que pour éviter cette médecine à deux vitesses, «il faut réorganiser le réseau pour le rendre plus efficient.» En attendant, la construction de la nouvelle polyclinique du groupe Elna Médical débutera en septembre 2021, les services à la population devant être offerts à partir du mois de décembre 2021. Le projet est évalué à près de quatre millions de dollars pour les infrastructures, auxquels s’ajoutera un million de dollars pour le mobilier et les équipements médicaux et technologiques.

Une polyclinique d’un nouveau genre dans un centre commercial

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