Une pharmacienne n’assume pas son erreur de calcul

Norma Adas-Ataya admet qu’elle a fait une erreur dans le calcul de la posologie d’un médicament qu’elle a délivré à un jeune enfant. Une erreur que la pharmacienne salariée qualifie de «bête», mais qu’elle refuse d’assumer. Devant le Conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ), la professionnelle expérimentée a donc plaidé non coupable, affirmant qu’elle n’a pas été négligente et qu’elle a agi avec la même rigueur qu’à l’habitude. Pour sa défense, elle incrimine le fort achalandage au moment des événements. «C’est la situation qui amène ça», considère-t-elle. Ses pairs n’ont pas souscrit à ses arguments. Ils l’ont reconnue coupable puis l’ont condamnée à verser une amende de 4000$. Ils énoncent que «le pharmacien doit prendre les mesures appropriées pour s’assurer d’offrir en tout temps des soins et services pharmaceutiques de qualité à la population. Il lui revient d’être attentif et vigilant. Celui-ci doit apprendre à composer avec un fort achalandage et à s’assurer que le médicament prescrit est adapté à la condition du patient».Les faits en question remontent au 28 septembre 2022. Ce soir-là, Norma Adas-Ataya est la seule pharmacienne derrière le comptoir de la pharmacie Janik Létourneau, à Gatineau. Compte tenu de l’achalandage important et du fait que l’assistant technique qui l’accompagne n’est pas expérimenté, la professionnelle explique qu’elle doit tout faire elle-même: répondre aux patients qui se présentent, faire les calculs, être interrompue, etc.La mère d’un enfant de 15 mois souffrant d’une pneumonie se présente alors avec une ordonnance sur laquelle ni le diagnostic, ni le dosage, ni la posologie ne sont précisés. Il y est simplement indiqué: «Clavulin-400 (Amoxicilline/Clavutanate de potassium) — 400MG-57 MG/5ML - suspension orale x 7 jrs — Sig. 1 per OS.»À lire aussi: Erreur de pilulier: une patiente reçoit un anticoagulant à la place de son antipsychotiqueLa pharmacienne demande à la mère le poids de son enfant (10,5 kg) puis consulte son Dossier santé Québec (DSQ). Le nourrisson présente divers problèmes de santé, notamment au niveau digestif (il fait des diarrhées à répétition). Dans les 30 derniers jours, il a reçu un antibiotique pour traiter des infections respiratoires. Norma Adas-Ataya renseigne ces informations dans le dossier pharmacologique de l’enfant avant d’effectuer le calcul de chaque dose de Clavulin à lui donner. Dans le dossier, comme sur l’étiquette des deux bouteilles remises à la mère, elle indique: «Donnez 11 ml. 2 fois par jour aux 12 heures au milieu du repas pour 7 jours ou si non toléré 7 ml 3 fois par jour pour 7 jours ***Antibiotique***».Elle commet ainsi une erreur de calcul. L’enfant pesant 10,5 kg, la professionnelle aurait dû lui servir 945 mg, soit 11,8 ml, par jour. Puisque ce médicament doit être pris deux fois par jour, chaque dose aurait dû être de 5,9 ml. Or, la posologie calculée par la pharmacienne est plutôt de 22 ml par jour, ce qui correspond à 1760 mg, soit 167 mg/kg/jour. Le Conseil de discipline en déduit qu’elle a «possiblement omis de diviser cette quantité par deux».Norma Adas-Ataya découvre son erreur lorsqu’elle retourne travailler à la pharmacie, quelques jours plus tard. Un collège la lui mentionne puis l’informe qu’il fera désormais le suivi avec la mère, à la demande de celle-ci.Obligations déontologiques versus conditions de travail Au syndic chargé de l’enquête, comme lors de son audience sur culpabilité, la professionnelle a déclaré: «Je me demande ce qui est arrivé. Comment j’ai pu. Comme je vous ai dit, là quand mon collègue m’a confrontée, tout de suite, j’ai pris la calculatrice. J’ai dit, c’est ça le poids, puis c’est ça. Puis j’ai dit, comment j’ai pu faire ça? Je sais vraiment pas. Je sais vraiment… J’arrive même pas à savoir comment j’ai pu calculer (cette) dose.» Au cours de son témoignage, elle avance toutefois une piste d’explication: «Honnêtement, probablement que j’étais débordée, mon jugement ou mon attention était trop perturbée. J’avais pas remarqué que j’avais fait une erreur dans mon calcul.» La pharmacienne explique également que son milieu de travail est à risque au point qu'elle en avait déjà avisé la propriétaire de la pharmacie.Ces moyens de défense ne peuvent pas être retenus, estime le Conseil de discipline. «Un pharmacien ne peut pas compromettre la sécurité d’un patient ni la qualité du service au motif que l’achalandage de la pharmacie est important et qu’il est interrompu par d’autres tâches. Le patient se fie totalement à son pharmacien et ce dernier doit alors redoubler de prudence. Dans le présent cas, (Norma Adas-Ataya) sert un médicament à une personne vulnérable, un enfant malade. Or, elle n’a pas revérifié ni demandé qu'on revérifie si la quantité de médicaments servie correspondait à celle qu’elle voulait lui remettre. De plus, le Conseil souligne qu’il lui appartenait «d’assumer pleinement ses responsabilités déontologiques, quel que soit le niveau d’expérience de ses collègues de travail ou le manque de personnel».Face à des conditions de travail difficiles, la pharmacienne aurait dû prendre des mesures, estiment ses pairs. Elle aurait pu par exemple demander à un collègue de revoir le dossier le lendemain matin. Au-delà, la décision rappelle que «l’article 35 du Code de déontologie prévoit que le pharmacien doit s’abstenir d’exercer la pharmacie dans des circonstances susceptibles de compromettre la qualité de son exercice». Dans un dossier précédent, une pharmacienne débutante surchargée de travail n’avait pas décelé l’erreur commise par l’assistante dans la délivrance d’une ordonnance. Évoquant ses conditions de travail à risque, le Conseil avait indiqué que si «aucune modification organisationnelle n’est apportée ou si elles sont insuffisantes pour garantir sa santé physique et mentale ainsi que la sécurité de ses patients, (un pharmacien) doit se résigner à démissionner», ce qu’en l’occurrence, la professionnelle avait fini par faire.À lire aussi: Quand la surcharge de travail mène à une erreur dans l’exécution d’une ordonnanceDans sa décision sur sanction, le Conseil souligne le caractère intrinsèquement grave de l’infraction commise par Norma Adas-Ataya: «L’exécution d’une ordonnance est un privilège exclusif qui se situe au cœur même de la profession de pharmacien. La protection du public est compromise de façon directe lorsqu’un pharmacien fait preuve de négligence dans l’exécution d’une ordonnance. Par ailleurs, le public est en droit de s’attendre à ce qu’un pharmacien serve le bon médicament à la bonne personne avec la bonne posologie, et ce médicament doit être administré de la bonne façon au bon moment.» De plus, «le pharmacien a un devoir de vérification. Ici, (la professionnelle) manque de vigilance eu égard à une pratique de base.» Dans le cas d’un patient vulnérable, tel un enfant en bas âge, la vigilance doit être accrue afin de ne pas le mettre en danger, insistent ses pairs.Risque de récidiveBien que Norma Adas-Ataya déclare qu’elle a apporté des changements dans sa pratique et qu’elle n’hésiterait pas à demander au technicien de refaire des calculs si elle est la seule pharmacienne en service, le Conseil juge que son risque de récidive est encore présent. «Tout en niant faire porter son erreur aux autres, elle continue à penser que sa conduite s’explique par des conditions hors de son contrôle et continue à croire qu’elle a fait tout ce qu’elle pouvait», souligne la décision qui signale également que la pharmacienne «tente de se présenter comme une personne victime d’une injustice. Elle semble avoir des récriminations contre le (syndic) et contre un collègue. Elle ne peut dire si elle a manqué de jugement au moment des événements.» Le Conseil retient également que la pharmacienne a du mal à accepter les conséquences de ses propres gestes.En outre, ses pairs ne sont pas rassurés. Norma Adas-Ataya était en arrêt depuis des mois au moment de l’audience et celui-ci venait d’être renouvelé pour une période indéterminée. Elle déclare ne plus vouloir travailler «dans des milieux difficiles», tout en envisageant un retour au travail dans la même pharmacie. Selon le Conseil, la pharmacienne «devra nécessairement composer avec des facteurs externes parfois difficiles. Pourtant, elle devra toujours servir le bon médicament, au bon patient, à la bonne dose et au bon moment, peu importe que les conditions de travail ne soient pas optimales à ses yeux. (Et) vu sa longue absence du travail, il est difficile d’évaluer jusqu’à quel point les changements (qu’elle dit avoir opéré dans) sa façon de travailler, ont été réellement intégrés dans sa pratique.»

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