Une pharmacienne doublement sanctionnée pour des erreurs «de base»

L’argumentaire du Conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ) ne prête à aucun malentendu. Chau Vien Linh Ngo a commis une infraction «intrinsèquement grave», qui a compromis la santé de son patient, en faisant preuve de négligence et de manque de rigueur lors de l’exécution d’une ordonnance. Un acte qui est «un privilège exclusif» situé «au cœur même de la profession de pharmacien», souligne le Conseil dans une décision rendue dernièrement. La pharmacienne expérimentée aurait pu corriger sa faute. Mais elle n’a pas effectué de suivi des traitements qu’elle a délivrés à un patient vulnérable, client régulier de la pharmacie où elle travaillait comme responsable du secteur des piluliers, et dont elle connaissait le dossier en ayant toutes les informations à disposition. Ces deux erreurs «font partie des règles de base de l’exercice de la pharmacie», juge le Conseil en insistant sur les conséquences subies par le patient et les «conséquences potentielles graves auxquelles il a été exposé». Mme Ngo, qui a reconnu les faits, convient elle aussi qu’il s’agit d’infractions graves. Elle affirme avoir compris ses erreurs et qu’elle fait depuis les vérifications nécessaires, à toutes les étapes de traitement des ordonnances, pour ne plus les reproduire. Malgré sa bonne foi, la professionnelle aux 15 ans de pratique, vierges de tout antécédent disciplinaire, n’a pas convaincu le Conseil qui «n’est pas rassuré» et considère que le risque de récidive est bien «présent» et qu’il est «élevé». Il impose ainsi deux amendes de 4000$ à Mme Ngo, en lui accordant un délai de six mois pour les acquitter, et «s’attend à ce que l’Ordre soit attentif à la pratique de cette pharmacienne». Rappel des faits Les faits reprochés à Mme Ngo remontent au 10 février 2021 et visent un patient hémodialysé trois fois par semaine à l’hôpital Charles-Lemoyne, depuis trois ans. Il souffre d’insuffisance rénale et de phlébite-thrombophlébite et reçoit sa médication en pilulier chaque semaine. Seul le Coumadin lui est servi hors pilulier, car le suivi de son anticoagulothérapie est assuré par les néphrologues et les infirmières de l’unité d’hémodialyse — et non par la pharmacie —, qui ajoutent l’anticoagulant oral en fonction des ajustements de doses nécessaires. Ce 10 février, le patient se présente à l’urgence de l’hôpital pour des douleurs à la vessie. Le médecin qu’il consulte lui prescrit «Dilaudid 1 mg 1 co. q 4h PRN» ainsi que «Septra SS 400mg/80 mg 1 co. bid» pendant 7 jours. Lors du traitement d’hémodialyse qu’il reçoit le même jour, il avise les infirmières qu’un antibiotique a été ajouté à sa thérapie médicamenteuse. De son côté, la pharmacienne exécute aussitôt l’ordonnance et la médication est livrée au patient dans la journée, mais ce n’est pas la bonne. Bien qu’on lui ait prescrit du «Septra SS 400 mg/80mg», il reçoit plutôt du «Sulfatrim DS 800 mg/160mg». Durant l’enquête, Mme Ngo a indiqué qu’elle croyait que «SS» signifiait «super strength» et non «single strength», comme c’est le cas. Elle a également admis qu’elle n’était pas familière avec cette abréviation, étant plutôt habituée à «reg», mais qu’elle n’a pas contacté le médecin prescripteur pour clarifier les choses. Lire aussi: Un pharmacien sanctionné pour une double négligence qui aurait pu avoir de lourdes conséquences Durant l’appel qu’elle a passé au patient pour lui donner des conseils en lien avec l’antibiotique, la pharmacienne n’a pas discuté de ses possibles interactions médicamenteuses avec le Coumadin, alors qu’elle savait que celles-ci sont élevées et risquées. Elles peuvent, par exemple, provoquer la rupture d’un vaisseau sanguin. Étant donné que la gestion de l’anticoagulant est effectuée à l’unité d’hémodialyse, Mme Ngo a considéré que les professionnels de l’hôpital s’en chargeraient, sans s’en assurer auprès d’eux. Résultat, le test de coagulation (RNI) du patient passe à 6,74 le 12 février. Il grimpe à 11 puis à 13,02 le 15 février, bien qu’il ait cessé de prendre du Coumadin depuis trois jours. C’est alors qu’une néphrologue découvre le pot aux roses. Elle cesse immédiatement l'antibiotique et prescrit de la Vitamine K au patient, en envoyant aussitôt une ordonnance en ce sens à la pharmacie de Mme Ngo. Manques de jugement Il s’agissait certes d’un événement isolé, le patient s’en est tiré avec quelques saignements de nez et il s’est ensuite montré compréhensif en demeurant client de la pharmacie. Il n’en demeure pas moins que le Conseil a tenu compte des conséquences sérieuses auxquelles il a, par chance, échappé. Selon lui, la pharmacienne avait «suffisamment d’expérience pour ne pas faire de supposition quant à la signification des lettres SS dans le nom du médicament qu’elle devait servir. (…) Elle n’a pas cru utile de faire les vérifications à ce sujet. Il s’agit d’un manque de jugement». Idem lorsqu’elle tient pour acquis que la clinique d’hémodialyse allait effectuer les ajustements requis. «Or, c’est une habileté de base pour un pharmacien d’intervenir dans une situation d’interactions médicamenteuses», rappelle le Conseil. «Dans le présent cas, il ne s’agit pas d’une interaction qui est rare ou inusitée d’un médicament qui ne passe pas fréquemment en pharmacie», souligne-t-il. Lire aussi: Un pharmacien coupable d’inconduites vaccinales Même si Mme Ngo affirme qu’elle se montre plus prudente et qu’elle prend plus de temps pour effectuer des vérifications, le Conseil estime que le risque de récidive demeure. Il explique que la pharmacienne n’a pas fourni de preuves des mesures concrètes qu’elle a prises pour ne pas reproduire ses erreurs. «Le fait de mentionner qu’elle sera plus vigilante à l’avenir (nous) semble insuffisant, car elle avait l’information pertinente et elle a commis une grave erreur de jugement», insiste le Conseil qui aurait aimé qu’elle s’inscrive par exemple à une formation ou qu’elle propose des changements dans sa charge de travail ou dans le classement des dossiers des patients vulnérables de la pharmacie. Bien qu’elle ait plaidé coupable à son défaut de suivi, la décision souligne que Mme Ngo a aussi évoqué l’idée que les néphrologues de l’hôpital auraient également pu prendre les devants pour ajuster la médication du patient, tout en estimant par ailleurs «qu’il y a eu des erreurs du médecin dans cette affaire». Le Conseil en déduit que la pharmacienne «ne semble pas avoir tiré une leçon du processus disciplinaire dans lequel elle est impliquée. [Elle] savait que ce patient est hémodialysé et prend du Coumadin. C’est à elle de prendre toutes les mesures pour assurer la protection de son patient. Or, le pharmacien est responsable du suivi du médicament qu’il sert. [Elle] ne pouvait pas présumer que la clinique d’hémodialyse savait ou était en position de savoir que ce patient prend du Coumadin. Elle ne peut chercher à faire partager le blâme avec la clinique médicale», tranche le Conseil. Ce dernier a conclu sa décision par un avertissement: Mme Ngo «doit réaliser que c’est à elle de faire toutes les vérifications et tous les suivis requis et qu’elle ne peut jamais tenir pour acquis que d’autres le feront à sa place».

Une pharmacienne doublement sanctionnée pour des erreurs «de base»

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